Society (France)

Hismo le Boss Au mois de janvier dernier, au coeur du XIE arrondisse­ment de Paris, un adolescent était tué d’un coup de couteau. Pourquoi? Comment? Récit intime.

Le 13 janvier dernier, un samedi, en plein Paris et en pleine vie, un adolescent était tué d’un coup de couteau. Il s’appelait Hismaël, il avait 15 ans. Voici son histoire. Et celle de son quartier.

- PAR MARC BEAUGÉ ET RAPHAËL MALKIN

C'est arrivé en pleine happy hour, un samedi, entre la terrasse chauffée d’un bistrot de quartier et la devanture d’un pressing Super Clean. Ce soir-là, au coeur du XIE arrondisse­ment de Paris, malgré la nuit tombée, la vie battait son plein. Quand, soudaineme­nt, un groupe d’ados a traversé la chaussée en courant. Bientôt rejoint par un autre. Dans la mêlée, un coup de couteau est parti, sans que personne ne le voie, pas même Hismaël, qui a marché quelques mètres avant de dire “j’ai mal aux pieds”, puis de lâcher “ils m’ont planté”. L’adolescent s’est effondré devant le 129 de la rue de la Roquette, alors qu’une dame sortait du pressing, une veste sous plastique à la main. Immédiatem­ent, un passant a accouru et tenté de pratiquer un massage cardiaque. Puis la sirène des pompiers s’est fait entendre, et celle de la police a suivi, rappellant que ces tragédies font toujours un bruit funeste. Awa, la maman d’hismaël, était en voiture, porte d’aubervilli­ers, lorsque son portable a sonné. Quelques minutes plus tard, c’est celui de Christine, la soeur d’hismaël, qui a retenti à Montpellie­r, dans la chambre qu’elle loue le temps de ses études en communicat­ion. Un peu plus tard, la nouvelle est arrivée jusqu’à Abidjan, en Côte d’ivoire. Là-bas, Magloire, le papa d’hismaël, a été réveillé par des membres de sa famille. Comme le veut la pratique, ceux-ci l’ont attrapé et serré fermement, pour mieux prévenir une réaction violente, avant de lui annoncer que son fils était mort. Dans la nuit, Magloire a hurlé de douleur.

Hismaël Diabley avait 15 ans et il est mort à Roquette, dans son quartier, celui où il avait grandi, celui où il étudiait et passait tout son temps libre. Celui aussi qui avait inspiré le nom de son groupe de rap. L’arme du crime est connue, un Opinel, le numéro 13, “le géant”, avec sa lame de 22 centimètre­s, mais l’identité de l’assassin n’a, elle, pas encore pu être déterminée. À l’heure où ces lignes sont écrites, six garçons, tous mineurs, ont été mis en examen, soupçonnés d’avoir porté le coup fatal. Tous étaient là lors de l’altercatio­n, mais aucun n’a encore formulé le début d’un aveu aux enquêteurs, qui sont convaincus que, sous la pression, le meurtrier finira par avouer son crime. En attendant le coupable (le procès ne devrait pas avoir lieu avant 2020), on cherche le responsabl­e. Hismaël est-il mort par hasard, tué parce qu’il se trouvait au mauvais moment au mauvais endroit? Ou bien l’avait-il “cherché”? Entre l’accident et le symbole, la frontière est souvent mince et, quelques heures après les faits, certains avaient déjà tranché. Sur le plateau d’une chaîne d’info nationale, on parla ainsi d’une “guerre des bandes”, résonnant comme une “guerre des gangs”. En creux, on dressa le portrait d’un adolescent rodé à la violence, toujours dans les mauvais coups, finalement aussi coupable que victime. Pourtant, Hismaël n’avait aucun antécédent, aucune histoire impliquant la police. “Mon fils n’était pas un gangster, c’est une honte que l’on puisse dire ça!” appuie aujourd’hui Magloire, installé dans le petit appartemen­t de la famille, cerné de photos. Sur celles-ci, Hismaël est toujours le plus grand, souvent le plus souriant. “Nous avons vécu quinze ans de bonheur avec notre fils.”

La France, par hasard

À l’époque, Magloire est fonctionna­ire au sein du ministère des Finances. Après avoir oeuvré comme secrétaire d’ambassade, Awa tient, elle, un commerce de fourniture­s de bureau. Dans l’appartemen­t familial, au coeur du quartier résidentie­l de Marcory, à Abidjan, papillonne déjà Christine, première enfant du couple. La famille est heureuse et parfaiteme­nt installée en Côte d’ivoire, mais elle cultive aussi un lien fort avec la France. Il arrive aux Diabley d’embarquer de temps à autre pour Paris afin de rendre visite à des proches ou de faire des emplettes pour le magasin d’awa. C’est ainsi que cette dernière se retrouve dans la capitale française à l’été 2002. Elle est enceinte d’un garçon. Mais la grossesse est difficile et quelques examens de santé passés à la volée dans un hôpital parisien la forcent à prolonger son séjour en France. Awa est sujette à de terribles sautes de tension. “Il fallait m’opérer d’urgence. Les médecins m’ont dit que je risquais de mourir et mon enfant aussi”, grimace-t-elle encore aujourd’hui. Le 26 septembre 2002 à 20h30, soit deux mois avant le terme, Awa donne naissance au petit Hismaël Junior à la maternité de Colombes. L’enfant, considéré mort-né, est immédiatem­ent transféré dans un hôpital voisin et placé sous assistance respiratoi­re dans une couveuse. Awa reste plusieurs jours dans un semi-coma. “Ma femme a bien fait de rester en France, raconte Magloire, qui a aussitôt déboulé d’abidjan. Si elle était rentrée en Afrique comme prévu, je l’aurais certaineme­nt perdue, et mon fils aussi. À vrai dire, Hismaël est un miraculé.” Au présent, c’est encore comme ça que Magloire parle de son fils. Que le petit soit né en France est le fait de circonstan­ces, alors très vite, la famille Diabley rentre au pays, pour reprendre la vie là où elle s’est arrêtée. Mais en Côté d’ivoire, justement, la guerre vient d’éclater. Le Sud légitimist­e contre le Nord rebelle, Abidjan qui brûle, et la santé du petit Hismaël qui vacille. Son coeur bat terribleme­nt vite, les médecins disent qu’il fait de l’asthme. “Rien n’était favorable pour que mes enfants soient bien en Côte d’ivoire”, se remémore Magloire. Décision est donc prise: les deux enfants partent s’installer en France avec leur mère, et tant pis si celle-ci rechigne à abandonner son mari. À l’hiver 2006, un visa temporaire permet au trio de s’envoler vers Paris et d’atterrir chez un demi-frère dans un appartemen­t coincé sous les combles d’un vieil immeuble de la rue Saint-maur, code postal 75011. On est loin du confort de Marcory, mais on s’accommode de cette chambre unique et de cette cuisine fixée dans le salon. “On se sentait bien, sourit Awa. Les hôpitaux n’étaient pas loin pour mon fils

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