Une histoire de faux
Dans les Pyrénées-orientales, le musée d’elne était fier de sa collection d’oeuvres du peintre local Étienne Terrus. Problème: 60% des tableaux sont faux. Question: et si le problème concernait aussi d’autres musées?
L’affaire a éclaté fin avril, dans les Pyrénées-orientales: le musée d’elne, dédié au peintre local Étienne Terrus, annonçait être victime d’une escroquerie à grande échelle, avec une collection constituée à 60% de faux. Émoi international, et questions: pourquoi lui? Pourquoi là-bas? Pourquoi maintenant? Réponses sur place, entre omerta, tentative de suicide, faux experts et boutiques qui ferment.
Il a souhaité organiser une conférence de presse “pour maîtriser la communication”. Habitué à recevoir au mieux quelques sollicitations de L’indépendant et de La Semaine du Roussillon, le quotidien et l’hebdomadaire local, Yves Barniol, petites lunettes rondes et la soixantaine avancée, maire de la petite commune d’elne, 8 600 habitants, à quinze kilomètres de Perpignan, a été pris de court quand il a fallu répondre aux demandes du New York Times, de la BBC, d’al-jazeera, du Monde et de France 2. Alors ce mercredi 9 mai en fin de matinée, il avait prévu de réunir les journalistes en grande pompe. Hélas, il s’est très vite rendu compte qu’ils n’étaient pas nombreux à avoir fait le déplacement. Trois en tout. Yves Barniol a donc commencé par un moment de lucidité: “Bon, vu le nombre, on va faire ça ici, je vais répondre à vos questions maintenant et ce sera plus simple pour tout le monde.” Il parle depuis le pas de la porte d’entrée du musée Terrus, l’épicentre de toute cette agitation, situé en plein coeur d’elne et consacré à Étienne Terrus, un peintre local. Le 27 avril, on apprenait par voie de presse que 82 tableaux, soit 60% des oeuvres de ce musée, étaient faux. Un préjudice évalué à 160 000 euros. Yves Barniol n’en mène pas large: “J’aurais aimé être un maire tranquille.”
Le New York Times a comparé cette affaire à celle dite du “faux mobilier du château de Versailles”, sortie l’année dernière. Une paire de chaises Delanois, achetées il y a quelques années et censées venir de l’appartement de Marie-antoinette, étaient en toc. Le Monde, lui, s’en est amusé, avec ces mots: “Elne et son musée sont désormais connus du monde entier. Et il va falloir mieux étudier Étienne Terrus. Merci aux faussaires.” Ici en revanche, ça ne fait rire personne. “On est déterminés à aller au bout du dossier”, assure Barniol, qui n’a pas tellement plus à annoncer aux journalistes, si ce n’est que
le musée voulait obtenir le label “musée de France” et que les travaux engagés pour cela en septembre dernier et terminés fin avril ont permis “de justifier une fermeture officielle”. Et de fait, de “passer sous silence l’information que les tableaux étaient faux pendant tout ce temps”. L’homme qui a révélé l’arnaque se tient juste derrière, accoudé au mur. Il attend son tour pour prendre la parole. Il s’appelle Éric Forcada, est historien de l’art, vient d’atteindre la quarantaine. Il porte des baskets aux couleurs du drapeau indépendantiste catalan, a les cheveux plaqués en arrière et passe son temps à tirer sur des cigarettes de la marque Vogue. Il explique qu’il a une boîte en ingénierie culturelle et que son job est de “monter des expos” en Catalogne française et espagnole. Dans le cas du musée Terrus, il avait été choisi par l’équipe dirigeante pour aider à obtenir ce fameux label et se développer avec l’arrivage de nouvelles oeuvres. Le 29 août 2017, alors que des bruits courent, il reçoit par Wetransfer les images des tableaux. Il doit donner son avis. Tout de suite, il remarque qu’“ils sont tous faux, ça saute aux yeux”. Parfois, il s’agit “d’anachronismes grossiers”. Sur une peinture représentant la ville de Collioure, par exemple, il aperçoit une tour du château royal ajoutée en 1958. Or, Terrus est décédé en 1922. Sur d’autres oeuvres, il remarque “un style approximatif ”. Dans la foulée, il prévient la municipalité. Une commission de quatre personnes est montée sur le champ. Elle est composée d’une restauratrice spécialiste de Terrus, d’un artiste du Centre de conservation et de restauration du patrimoine spécialisé dans la copie d’oeuvres, d’une historienne de l’art qui ne connaît pas l’artiste et d’éric Forcada lui-même. Le constat est sans appel: sur les 60 pièces acquises par le musée avant son expansion, 57 sont bel et bien fausses.
Matisse, Braque, Picasso et le narcissisme régional
Depuis, la municipalité a déposé plainte pour “faux, usage de faux, escroquerie, contrefaçon, abus de confiance, recel, détournement”. Et Éric Forcada, qui a déclaré dans la presse à l’occasion de la sortie de l’affaire que le marché “était en réalité inondé de faux”, se retrouve pris dans une lessiveuse, alimentée par l’actualité. Ainsi, le 5 mai, le musée Rigaud, à Perpignan, faisait la promotion d’une exposition sur la thématique de la Côte Vermeille sur son site internet avec deux tableaux d’augustin Hanicotte, un autre peintre local. Faux, eux aussi, selon Forcada, interrogé par L’indépendant. Il précise aujourd’hui: “La signature et son intégration dans le tableau sont complètement fantaisistes. Le H, on dirait les ailes d’un papillon alors qu’hanicotte avait une rythmique, une nervosité. Je ne sais pas pourquoi ces deux photos ont été choisies en illustration, mais il s’avère que ce sont des faux. Cela montre à quel point le marché est gangréné.” Désormais assis à une terrasse du centre-ville de Perpignan, Forcada monte légèrement en pression et dit comprendre pourquoi “les lanceurs d’alerte finissent tous dans des ambassades, en taule ou en exil”. Il dit ressentir “un peu ça depuis une semaine”. Pour se justifier, il montre son portable qui sature avec, d’un côté, les textos de collectionneurs inquiets qui veulent vérifier auprès de lui si leurs tableaux sont bien des vrais, comme le cousin de l’avocat de la mairie d’elne, Mathieu Pons-serradeil, qui a acheté une “fausse aquarelle de Terrus pour 4 000 euros chez un galeriste hypersérieux” ; et de l’autre, ceux de personnes mécontentes de l’effet d’annonce et qui n’ont pas envie que le doute se répande dans le coin. “Je suis l’homme par qui arrive le désastre, plaisante à moitié Forcada. On est dans un petit milieu, mes clients sont institutionnels, je le paierai très vite.” Autrement dit, musées et collectionneurs risquent de le blacklister dans les mois à venir. “Je n’ai pas maîtrisé l’impact de cette histoire”, reconnaît le passionné d’art local.
Pourtant, Éric Forcada connaît parfaitement le lien charnel qui relie les Pyrénées-orientales à l’art et ne pouvait pas sous-estimer les conséquences d’une telle annonce. Après tout, comme il aime à le dire, l’art moderne est né entre Collioure et Céret, il y a près d’un siècle. Il tire à nouveau sur une Vogue, et s’emballe: “Je vais dire un truc brillant.” Il se lance: “Au
xixe siècle, Cézanne s’est dit un jour: ‘Paris, j’en ai marre. Dans les salons, les discussions, mon art est galvaudé, je vais aller me ressourcer en périphérie.’ Le bond de Cézanne a eu lieu lorsqu’il est descendu à Aix. Celui de Van Gogh lorsqu’il est retourné à Arles. Il est seul face à sa folie, il va au bout de lui-même. L’art moderne est né du départ de la capitale pour la périphérie. Ici, on est une double périphérie, celle de la France et de l’espagne. Le premier mouvement d’art moderne d’avant-garde, qui s’appelle le fauvisme, est né à Collioure en 1905. Comment? Matisse quitte Paris, il appelle son ami Derain, ils investissent le paysage. La lumière est violente. Ce sont des nordistes, ils découvrent des tonalités qu’ils ne connaissent pas. Ils deviendront les méditerranéistes. En 1909, on observera le même phénomène avec les cubistes Picasso et Braque, qui se retrouveront à Céret et lanceront le mouvement.” Et Étienne Terrus? D’après l’historien de l’art, Terrus est “important lui aussi” parce que après s’être formé à Paris en 1878, anarchiste et rebelle, il a fait le choix “de revenir chez lui à la fin du xixe siècle”. Il accompagne ainsi ce mouvement fondateur “du retour aux origines pour explorer son propre primitivisme”. Avec Augustin Hanicotte, Louis Bausil et Martin Vivès, il fait partie de ces peintres locaux de la fin du xixe et de la première moitié du xxe revenus à la mode dans les années 90, souvent après que des musées les ont remis au goût du jour. Forcada prend en exemple une exposition sur Hanicotte en 2000 qui a fait “exploser sa cote”. “La bourgeoisie a toujours 50 ans de retard”, glisse-t-il. Tout cela, ajoute Forcada, alimente une forme de “narcissisme régional”. À Perpignan et dans les alentours, on aime bien avoir
De plus en plus d’oeuvres de Terrus font soudainement leur apparition. En 2013, elles sont seize à enrichir d’un coup la collection. Entre 2015 et 2016, c’est une cinquantaine de pièces qui réapparaissent “de deux
successions différentes” et sont proposées au musée Terrus. Qui les achète
des tableaux de maîtres locaux chez soi. “Il suffit qu’il y ait un clocher de Collioure et ça se vend.” C’est cette demande croissante en tableaux locaux qui aurait stimulé l’offre et favorisé la circulation de faux. Comme à Elne, où le musée Terrus voit le jour en 1994 sous l’impulsion d’odette Traby, adjointe à la mairie communiste, “passionnée et toucheà-tout”, confie une ancienne connaissance. Battue en 1995, son équipe municipale revient sur le devant de la scène en 2001, après quelques années d’alternance politique. La militante repart donc à la conquête de tous les Terrus pour compléter la collection. Cette ancienne connaissance n’hésite pas à dire que ce musée est “l’enfant qu’elle n’a pas eu. Odette Traby a cherché à exposer le maximum de tableaux”. Forcada complète: “C’est le travers des amateurs: être rassurés par le nombre.” Dans le milieu, cela se sait et de plus en plus d’oeuvres de Terrus font soudainement leur apparition. En 2013, elles sont seize à enrichir d’un coup la collection. C’est louche. “Quand l’artiste meurt, on vide son atelier, il y a beaucoup de pièces. Dix ans après, il y en a beaucoup moins, et 40 ans après, quasiment plus. Là, nous sommes près de 100 ans après sa mort”, ajoute Forcada, comme une évidence. À croire que plus c’est gros plus ça passe, entre 2015 et 2016, c’est une cinquantaine de pièces qui réapparaissent “de deux successions différentes” et sont proposées à l’achat au musée Terrus. Odette Traby, qui a alors 77 ans, les veut absolument dans “son” musée. Comme celui-ci n’a pas les moyens de les acheter, elle demande alors à deux associations qui défendent l’oeuvre de Terrus et l’art local, les Amis du musée Terrus et les Amis d’illibéris, de faire une souscription publique. Jackpot pour les heureux vendeurs. Jusqu’à ce fameux Wetransfer.
“Une arnaque à plus d’un million d’euros”
Bien que la gendarmerie se borne à répéter que “l’enquête avance”, sans donner plus de précisions, dans le petit milieu de l’art local, tout le monde a identifié les principaux suspects. “Je ne connais pas la main qui trompe, bien que j’aie une petite idée, mais je sais qui sont les intermédiaires”, se mouille – mollement– Robin Dominois, depuis sa petite boutique d’antiquités des rues piétonnes de Collioure, devant laquelle défilent les touristes. Chemise à fleurs, pantalon rouge serré, phrasé rapide et sourire malicieux, le bonhomme a plusieurs bonnes raisons de se pencher sur le sujet. D’abord, lui-même est un ancien flic reconverti dans l’art, sa passion, depuis sept ans. Alors, peut-être par vieux réflexes, peut-être parce qu’il a intérêt à ce que ça aille vite, il a commencé à mener l’enquête dans son coin. “Partout dans le monde, environ 30% des oeuvres exposées dans les musées sont fausses, assuret-il. On le sait, on fait avec. Quand je suis allé au musée d’elne, je n’ai eu besoin que de dix minutes pour me rendre compte que c’était bien pire que ce que je voyais sur le marché. Les anachronismes, le style, la signature. Rien n’était bon. Le faussaire a forcé le trait, a surjoué, pour plaire aux acheteurs.” Robin Dominois prend des photos, monte un dossier. Il repère deux types de ce qu’il appelle des “inauthentiques”: les aquarelles, “les plus faciles et rapides à faire” ; et les “croûtasses”, des vieilles toiles récupérées “pour cinq euros” que le contrefacteur vieillit artificiellement et repatine, avant d’ajouter la signature du peintre. “Je comptais écrire au parquet depuis plusieurs mois”, dit l’ancien des RG, spécialiste de la peinture des années 1880-1940. Certains lui reprochent ses attitudes de cow-boy et l’accusent de faire son business sur cette triste affaire. En cause: un encart publicitaire qu’il s’est offert dans L’indépendant, dans lequel il invite les collectionneurs de la région à venir faire expertiser leurs oeuvres chez lui, dans son laboratoire équipé pour la réflectographie infrarouge. “Je profite du scandale, répondil, sans chercher à se cacher. Moi, je suis commerçant, donc j’essaye de retourner la situation à mon avantage. On est 70 antiquaires et brocanteurs dans le département. Je suis le seul spécialisé dans le tableau.” Opportuniste ou pas, Robin Dominois a en tout cas le mérite de rester moins évasif que la plupart de ses confrères. S’il se garde bien de nommer directement les deux suspects, il explique ce qui semble être leur mode opératoire. “Tout le marché de l’art fonctionne sur la confiance, introduit-il. Moi, je pourrais vendre n’importe quoi à mes clients fidèles. Ces intermédiaires ont gagné celle d’odette Traby, ils ont vu que la municipalité d’elne était intéressée et ils se sont engouffrés dans la brèche. Mais le musée n’est que la partie émergée de l’iceberg. Je connais des collectionneurs qui ont 50 Terrus chez eux. On est sur une arnaque à plus d’un million d’euros.” Des fausses toiles et aquarelles du peintre anarchiste, l’ancien policier en a lui aussi eu entre les mains. “Peu avant les révélations, un client est venu me voir ici. Il m’a dit: ‘J’ai un plan pour acheter des Terrus! On est venu m’en proposer, mais il ne faut pas le dire.’ Les gens se sentent flattés, et ça marche: on leur vend sous le manteau des tableaux à 5 000 euros, alors qu’ils en valent 700.” Dans le milieu de l’art, ce mode de transaction a un nom: la vente en chambre. Il se fait à l’abri des regards, en arrière-boutique. Une pratique courante, notamment chez le fameux duo dans le viseur, dont le local situé dans le vieux Perpignan est en travaux, comme l’était officiellement le musée d’elne avant la révélation de la supercherie. L’un, A., est antiquaire depuis 2001, année où Odette Traby est devenue élue en charge de la culture à la mairie d’elne et où les premières acquisitions de tableaux ont été faites. L’autre, G., est “expert judiciaire” en peintures anciennes (ce qui lui permet de délivrer des certificats d’authenticité pour des oeuvres de plusieurs artistes locaux), proche de madame Traby et membre du Comité Étienne-terrus. Le siège de cette association, créée officiellement fin 2014, a été transféré en septembre 2016, soit un mois et demi après la mort de sa fondatrice, à... l’adresse de la boutique de ce couple antiquaire-expert. Après plusieurs coups de
sonnette, “l’expert judiciaire” ouvre la porte. Âgé et en petite forme, il dit prendre des antidépresseurs, alors que son acolyte, lui, aurait fait une tentative de suicide. Parce que l’étau se resserre? Eux disent autre chose. Les deux hommes seraient tout simplement affectés par “l’atteinte à la mémoire d’odette”. “Le Comité n’avait aucune fonction, balaye G. C’est elle qui validait tout.” Mais comment lui-même, expert attitré et membre du Comité Terrus, aurait-il pu ne pas détecter les 82 faux tableaux passés sous ses yeux pendant toutes ces années? “Je ne suis qu’un expert généraliste. Pour nous, Odette, c’était comme une parole d’évangile”, répond-il, rejetant la faute sur la défunte, ce qui est toujours pratique.
“Honnêtement, c’est la galère”
Une façon un peu simple de se dédouaner? Peut-être, mais cette défense est permise par une chose: l’omerta qui règne autour du sujet. Depuis le début de l’affaire, les antiquaires ferment provisoirement leur boutique, ou ne sortent plus les tableaux sur les brocantes, place de la Méditerranée à Canet-enroussillon ou “aux Platanes”, à Perpignan, et c’est un petit milieu qui s’observe en silence. Grand classique du samedi matin, le vide-greniers perpignanais voit circuler un peu de tout. Un vendeur était connu pour y écouler des Terrus de temps à autre. S’il lui arrive encore de repasser en coup de vent à 8h prendre le pouls, il “ne déballe plus en ce moment”, glisse un voisin. Côté clients aussi, on se tait, pour différentes raisons. Face à l’escroquerie dont beaucoup sont victimes, certains collectionneurs optent pour le déni, d’autres préfèrent rester discrets, pour soigner leur réputation. Des textos circulent en privé: “Bonjour, j’ai un doute sur ces tableaux. S’agitil de vrais? Photos en PJ.” Tous ont confié leur sort à un avocat, Me Vachet, qui a reçu l’ordre de ne pas s’exprimer dans les médias. “Il y a peu d’actes qui indiquent comment tous ces tableaux sont entrés. C’est donc difficile de remonter jusqu’à la source”, regrette Me Pons-serradeil. Dans cette drôle d’ambiance, une hypothèse fait donc son chemin: si ceux qui savent des choses se taisent, c’est aussi qu’ils ne sont pas tout à fait à l’aise avec la provenance de leur propre marchandise. “J’ai appelé tous mes clients pour les rassurer, explique un antiquaire, revenu récemment dans la région après plusieurs années à Paris. À la suite d’un article de L’indépendant, j’ai eu un doute sur la signature d’un Hanicotte que j’avais vendu. Je l’ai donc racheté au client en attendant d’en savoir plus.” Plutôt spécialiste du xviiie siècle, ce dernier a été obligé de se réorienter vers les peintres locaux, parce que “ici, les gens n’achètent que ça”. Récemment, “un chineur qui traîne aux Platanes” lui a proposé “deux aquarelles de Terrus. Elles étaient tellement moches que j’ai dit non. Pareil avec un Hanicotte sur un papier pas plus vieux que les années 90. Quand on voit des faux comme ça, on n’achète pas et puis voilà. Mais on ne va pas dénoncer les vendeurs”. Face aux demandes sur l’origine de leurs oeuvres, antiquaires et salles des ventes emploient souvent le mot magique: “succession”.
“Le musée n’est que la partie émergée de l’iceberg. Je connais des collectionneurs qui ont 50 Terrus chez eux. On est sur une arnaque à plus d’un million d’euros” Robin Dominois, antiquaire
“Honnêtement, c’est la galère”, souffle Bernard Rouflay, président du Groupement des antiquaires et brocanteurs du Roussillon. Il y a quelques années, lui-même s’est fait avoir, achetant et revendant un faux tableau de Blanche Odin, une aquarelliste du début du xxe siècle de Bagnères-de-bigorre, à un collègue de Pau. Preuve supplémentaire que le mal est profond: en plein centre de Perpignan, au moins trois faux tableaux sont exposés en vitrine d’une boutique d’antiquités, dont le propriétaire est pourtant membre du groupement présidé par Bernard Rouflay. Parmi ces tableaux, un Martin Vivès, peintre –et ancien résistant– natif de Prades, dans l’arrière-pays roussillonnais. Marc Tamon, le petit-fils de l’artiste, et Jacqueline Vivès, la fille, attendent que l’antiquaire réapparaisse pour faire retirer l’oeuvre de la vitrine, comme ils l’ont déjà fait à deux reprises dans Perpignan. “Dans une boutique, où le mec l’a déchirée devant nous, puis il y a peu dans une salle des ventes”, précise le premier. Depuis son magnifique appartement près de la cathédrale, dont les murs sont remplis des tableaux de son père, Jacqueline Vivès, 77 ans, veille à ce que l’héritage familial ne soit pas usurpé. Car ce qui est arrivé à Terrus pourrait arriver à tous ces artistes dont les héritiers ont disparu des radars régionaux. Sur la liste des principaux menacés: Balbino Giner Garcia. Peintre valencien chassé d’espagne par le franquisme, il s’est installé dans le Roussillon et a fini sa vie à Collioure. Son fils, Balbino, peintre lui aussi, est mort en 2012 à Perpignan. Quant à sa fille, Hélène, elle a vendu l’essentiel de son oeuvre et laissé le rôle d’expertise à un professionnel de la ville. Qui n’est autre que G., le fameux suspect de l’affaire Terrus. Ces dernières années, G. a enchaîné les certificats d’authentification sur les tableaux signés Balbino Giner, dont “100 à 200 faux, qui seraient actuellement en circulation”, d’après Éric Forcada. Et d’autres noms d’artistes risquent de resurgir bientôt. Mi-mai, la presse locale révélait qu’une “énorme collection” était léguée au musée de Céret, sous-préfecture des Pyrennées-orientales. “Des oeuvres réalisées en grande majorité par des artistes locaux ou des peintres qui ont séjourné dans notre département”, était-il précisé.