TERRAINS BONDÉS
“J’ai toujours été mauvais pour la photographie de rue. Je n’aimais pas m’approcher des inconnus ni pointer mon appareil sur le visage de quelqu’un.” Originaire de la région de Boston, l’américain Pelle Cass, 63 ans, aura passé une petite trentaine d’années de recherches formelles dans la solitude de son studio avant de finalement opérer un retour glorieux dans le monde en 2008, armé d’une technique lui permettant de rendre compte des gesticulations de l’homme sans se confronter directement à celui-ci. “Un sujet qui semble fascinant ne garantit pas forcément une prise de vue intéressante, explique le photographe, qui décide alors de privilégier la saturation de motifs à la quête mystique du moment parfait cher à Cartier-bresson et sa descendance. Grâce à ma technique à base de time-lapse, j’arrive désormais à dépasser l’ineptie de mon regard et à amplifier le moindre petit mouvement jusqu’à ce que quelque chose se passe. Par exemple, un ballon de basket suspendu en plein vol est assez ennuyeux, mais une douzaine, c’est tout de suite autre chose.” Car c’est dans le domaine du sport que Pelle le timide portera sa vision vers des sommets hystériques, plantant son trépied devant tout ce que le Massachusetts compte de stades, piscines et terrains de hockey, puis recomposant ses milliers de captations au sein d’une seule et même image pour un résultat proche d’un Massimo Vitali sous amphétamines: match de football américain évoquant un rassemblement de lemmings et corps de plongeuses enchevêtrés (“Je suis très influencé par les peintures de Nicolas Poussin et Jackson Pollock”), pistes d’athlétisme surpeuplées et parties de basket psychédéliques, la série Crowded Fields s’inscrit autant dans une perpétuation légèrement dégénérée de l’americana que dans un certain iconoclasme conscient. “En brouillant complètement la narration d’une rencontre sportive afin d’arriver à une sorte de non-sens athlétique, je transforme les protagonistes en motifs abstraits, l’aspect dramatique des actions disparaissant pour révéler la nature répétitive de l’activité humaine.” Le 400 mètres existentiel, sport du futur?