Society (France)

Tout le monde en montage

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Thierry Ardisson: Après le tournage, on allait manger au Costes –rien d’original, hein. On avait une table attitrée, au fond, près de la cheminée. On finissait parfois au petit matin. Et dès le lendemain, je partais au montage. Pendant 24 heures.

Frédérique Arnoux: Ce n’était pas encore l’époque du montage numérique. On fonctionna­it avec des bandes et des magnétosco­pes. Pour faire simple, quand tu veux couper trois secondes au milieu de l’émission, tu dois tout réenregist­rer depuis le début. Raison pour laquelle ça prenait un temps fou.

José Sanz Navarro: J’arrivais toujours au moins une heure en avance pour vérifier que tout marchait bien, car Ardisson pouvait être cinglant quand quelque chose ne fonctionna­it pas. Lui, il arrivait vers 10h. Au début, on se serrait la main mais comme il passe son temps à la mettre dans son pantalon et qu’il ne porte pas de sous-vêtements, un jour, j’ai préféré qu’on se fasse la bise. On est restés sur la bise.

Thierry Ardisson: J’enlevais mes chaussures, je mettais mes pieds nus sur la console, je me grattais les orteils et je fumais des pétards. Je faisais comme chez moi. J’étais chez moi. J’ai passé 30 ans de ma vie à faire des nuits blanches en montage. J’aime bien me voir comme un héros, alors dans le fait d’être le seul animateur télé français qui ne dormait pas pour monter son émission, il y avait un petit côté héroïque ridicule que j’adorais. Je n’ai même pas pu assister à la naissance de ma deuxième fille, parce que j’avais montage. José Sanz Navarro: Pendant le montage, pour qu’on se nourrisse, on nous rapportait une grande corbeille de fruits. Il adorait les kakis. D’ailleurs, je n’aimais pas quand il en mangeait, putain. Il bouffe vraiment salement, je n’ai jamais vu ça! (Rires) Il en foutait partout sur la moquette. Ce qu’il aimait beaucoup, aussi, c’étaient les gâteaux Mamie Nova. ‘Cette pute de Mamie Nova’, qu’il disait. Sinon, qu’il fume ou qu’il ne fume pas, tu ne voyais pas la différence. Il n’est jamais vraiment défoncé. Là-dessus, il tient la route.

Frédérique Arnoux: La nuit, Thierry faisait des petits sommes. On continuait à monter sans lui et dès qu’il se réveillait, on avait peur de devoir tout recommence­r. Ce qui arrivait quand même souvent… (Rires)

Thierry Ardisson: J’ai été le premier en France à faire des talk-shows montés. Parce que les invités ne sont pas toujours intéressan­ts. Je livre un best-of de ce qu’ils racontent. On filmait six heures d’émission pour en garder seulement deux et demie. Je ne gardais que les choses sexy, drôles et avec une plus-value culturelle.

José Sanz Navarro: Un jour, on reçoit le groupe Zebda. L’interview ne plaît pas du tout à

“On ne devient pas starlette sans sacrifier quelque chose. Moi, j’ai sacrifié ma vie de famille. Je ne voulais pas les avoir dans les pattes” Thierry Ardisson

Ardisson. On commence quand même à la monter mais, tout à coup, il me dit: ‘Ils me cassent les couilles, tu coupes tout Zebda.’ Moi, gêné: ‘Thierry, c’est pas possible. On les voit sur des plans larges, ils sont là depuis le début de l’émission.’ Lui: ‘Pas grave, c’est nul ce qu’ils racontent, tu me les vires.’ Résultat: tu vois les mecs pendant trois heures autour de la table et tu te demandes ce qu’ils foutent là. Mais lui, rien à foutre! Pour un monteur, c’est un peu la honte… Mais c’est resté: à chaque fois qu’on coupait quelqu’un, on appelait ça ‘une Zebda’.

Laurent Baffie: Les gens pensent que je suis très drôle mais c’est parce que Thierry avait la gentilless­e de couper mes mauvaises vannes.

Thierry Ardisson: Quand Baffie mettait quelques secondes à trouver sa vanne, on l’avançait au montage. Le montage, ça rétrécit le temps. Si l’émission avait été en direct, les gens ne seraient jamais restés jusqu’à 2h devant leur télé. C’est comme la coke: tu prends une trace, qui te donne envie d’en reprendre une, qui te donne envie de boire un bon whisky et d’en reprendre encore une. Avec Tout le monde en parle, c’est pareil. On ne laissait pas le temps aux gens de zapper. Le concept, c’était ‘l’émission qui zappe toute seule’. Béatrice Ardisson: Le montage se finissait le samedi matin. Ensuite, il prenait un train pour nous rejoindre, les enfants et moi, en Normandie, où l’on vivait.

Thierry Ardisson: Je pense qu’on ne devient pas starlette sans sacrifier quelque chose. Moi, j’ai sacrifié ma vie de famille. Je ne voulais pas les avoir dans les pattes. De leur côté, le samedi, c’était branle-bas de combat: ils passaient deux jours à ranger la maison pour qu’elle soit exactement comme je l’avais laissée. Chez moi, chaque chose a une place. Quand j’arrivais et que les choses n’étaient pas à leur place, avant de dire bonjour, je rangeais. Je me suis disputé avec eux pendant des années à cause de ça. C’est horrible quand j’y repense. Béatrice Ardisson: À un moment, on a décidé de définir ce qu’on appelait ‘la zone tribale’, composée en gros de ma chambre et de celles de nos enfants, dans laquelle Thierry n’avait pas le droit d’aller.

Thierry Ardisson: C’était un apartheid, en fait. Le samedi, je restais en croix dans mon lit, je réapparais­sais le dimanche matin. On allait faire des balades à cheval et l’après-midi, je travaillai­s dans ma chambre. Le dimanche soir, je préparais Graine de star, que je produisais, ou je regardais un film. Puis c’était reparti pour une semaine identique à la précédente.

“Les gens pensent que je suis très drôle mais c’est parce que Thierry avait la gentilless­e de couper mes mauvaises vannes” Laurent Baffie, sniper

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Apparemmen­t, on lui avait promis un avion, mais il a eu une moto…
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Baffie, Bigard et… Môssieur Philippeuh Cortiiiiii! Ci-contre: Johnny, déjà au comptoir.
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