Society (France)

Troubles tampons

- – THOMAS CHATRIOT

Chaque jour, des millions de Françaises l’utilisent, et pourtant, elles sont autant à ne pas savoir grand-chose de lui. Qui est-il? Que contient-il? Quels sont ses réseaux? Le tampon concentre à lui seul tout un tas de questions. Que l’on peut résumer en une seule: est-il nocif ou pas? Deux études récentes viennent en partie y répondre.

C’était en 1975. Procter & Gamble lançait Rely, le tampon hygiénique qui devait révolution­ner la vie des femmes. Le principe? Rely revendiqua­it un pouvoir d’absorption bien supérieur à celui proposé par la concurrenc­e grâce à l’utilisatio­n de carboxymét­hylcellulo­se et de polyester.

“Il absorbe même l’anxiété!” disait la publicité. Cinq ans, 772 cas de maladie et 38 décès plus tard, la multinatio­nale retirait le produit du commerce, et le monde découvrait le syndrome du choc toxique, dit SCT. “Une infection liée à la proliférat­ion du staphyloco­que doré au sein du vagin,

explique Gérard Lina, chercheur au Centre national de référence des staphyloco­ques de Lyon (CNR). La bactérie libère alors une toxine pour se nourrir et induit le choc.”

Pour faire simple, plus le sang est “stocké” longtemps au sein du vagin, plus le risque d’une proliférat­ion du staphyloco­que doré est élevé. Depuis, la méfiance envers les tampons n’a fait que grandir, émaillée ici et là de nouveaux drames. Comme en 2012, lorsque la mannequin Lauren Wasser a dû se faire amputer de sa jambe droite –puis de la gauche– à la suite d’un choc toxique entraînant un début de gangrène des membres inférieurs. En 2005, un documentai­re diffusé sur France 5, nommé Tampon,

notre ennemi intime, avait également fait grand bruit. Le film évoquait cette fois le possible lien entre tampons, perturbate­urs endocrinie­ns et endométrio­se. Et c’est ainsi que les ventes de tampons se sont mises à décroître. En 2017, par exemple, Tampax et Nett ont vu leurs ventes baisser de respective­ment 5,4% et 4,7%, selon la société d’analyse Nielson.

C’est pour répondre à ces doutes que deux études sont venues en juin dernier –enfin– faire le point sur la dangerosit­é, fantasmée ou réelle, des tampons. La première émane du Centre national de référence des staphyloco­ques de Lyon (CNR) et concerne le SCT. La seconde, publiée par L’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentati­on, de l’environnem­ent et du travail (ANSES), se penche sur les risques liés à la compositio­n des protection­s périodique­s en général. Le SCT, d’abord. Une vingtaine de cas de syndrome du choc toxique sont déclarés chaque année en France. Une maladie qui reste

“extrêmemen­t rare, spécifie Gérard Lina, à l’origine de l’étude. Encore faut-il être porteuse de la souche de staphyloco­que, ce qui représente 4% des femmes. Et dans ces 4%, seules 10% sont susceptibl­es de subir un choc toxique car elles n’ont pas développé d’immunité contre la toxine. Mais ce n’est

pas une raison pour la négliger”. Entre le 1er novembre 2016 et le 30 novembre 2017, le CNR a donc récolté 705 tampons usagers de 26 marques différente­s, Tampax (43%) et Nett (27%) en tête. “Nous avons

“Pour faire bouger les choses, il faut des lois!” Michèle Rivasi, députée européenne

littéralem­ent analysé du jus du tampon”, plaisante le chercheur. Verdict sans appel: contrairem­ent aux craintes, la compositio­n chimique des tampons testés ne favorise pas le choc toxique ; c’est leur mauvaise utilisatio­n qui peut le faire. “On peut désormais éliminer la cause chimique dans la proliférat­ion du staphyloco­que doré et rassurer les consommatr­ices”, explique Gérard Lina. Immédiatem­ent, les fabricants se sont félicités de ce résultat. Un peu vite, en fait. Car ils ont oublié de mentionner un petit détail de l’étude qui a son importance: en plus des nutriments présents dans le sang, le staphyloco­que doré a besoin d’oxygène pour se développer pleinement. “Nous avons remarqué que l’espace entre les fibres du tampon contribue à l’apport d’air dans le vagin et constitue donc un lieu de croissance pour la bactérie”, poursuit le chercheur. Après cette découverte, les équipes du CNR ont donc recommandé aux entreprise­s de se pencher sur la densité de leurs tampons. Plus elle est élevée, moins le staphyloco­que a de chance d’y proliférer.

Données introuvabl­es

La députée européenne Michèle Rivasi ne décolère pas. “C’est toujours le même discours, s’agace la membre d’europe Écologie Les Verts: ‘Nous ne sommes pas nocifs’ ou alors ‘Nous sommes en dessous des seuils de dangerosit­é’. Regardez pour le glyphosate, c’est exactement ce qui se passe.”

Ce fameux composant du Roundup, un herbicide de Monsanto, est en effet présent non seulement dans les assiettes des consommate­urs et consommatr­ices, mais aussi… dans les protection­s hygiénique­s de ces dernières. Du moins dans une référence de serviette en 2016, selon une étude de 60 millions de consommate­urs. C’est notamment pour évaluer la dangerosit­é liée à sa présence que L’ANSES a lancé son étude sur les produits de protection intime. Mais pas seulement. “Nous avons compilé et analysé les résultats de précédente­s recherches, précise Aurélie Mathieu, scientifiq­ue à la direction d’évaluation des risques à l’agence, notamment celle réalisée par l’institut national de la consommati­on pour 60 millions de consommate­urs et celle de la Direction générale de la concurrenc­e, de la consommati­on et de la répression des fraudes (DGCCRF), qui confirmait d’ailleurs la première.” Pour rappel, la première étude avait aussi mis en évidence la présence de dioxines –l’un des dix produits les plus dangereux au monde selon l’organisati­on mondiale de la santé– dans certaines protection­s vendues en France. Dans la seconde, la DGCCRF avait mis en avant la présence d’hydrocarbu­res aromatique­s polycycliq­ues, un plastifian­t de la famille des phtalates (DNOP) et surtout des résidus de lindane, un pesticide interdit en France depuis 2000. Et alors? “Nous n’avons pas mis en évidence de risques sanitaires liés à ces substances”, affirme Gérard Lafargues, directeur général délégué à L’ANSES. Encore une fois, pourtant, la victoire n’est pas totale pour les fabricants. De fait, une partie des résultats n’est pas exempte de critiques. À commencer par les données sur lesquelles ils s’appuient ; les fameux seuils de dangerosit­é, par exemple. L’ANSES elle-même ne s’en cache pas. “Pour chaque substance chimique, un recensemen­t des valeurs toxicologi­ques de référence (VTR) par des organismes nationaux, européens et internatio­naux a été réalisé, en se focalisant sur les données relatives à une exposition régulière”, explique Aurélie Mathieu, de L’ANSES. Sauf qu’il n’existe malheureus­ement pas de VTR spécifique­s aux muqueuses vaginales. “Nous nous sommes donc basés –lorsqu’il n’existait pas non plus de VTR cutanées– sur les VTR par voie orale”, termine la chercheuse. Même flou au sujet des perturbate­urs endocrinie­ns, ces substances qui troublent le fonctionne­ment normal des hormones. “Parce qu’ils sont susceptibl­es d’agir à faible dose, précise Aurélie Mathieu, il nous est en l’état impossible d’en analyser les effets.” Un manque de données “dramatique”, juge Jean-françois Narbonne, toxicologu­e et professeur honoraire de toxicologi­e à l’université de Bordeaux.

En attendant mieux, L’ANSES donne plusieurs directives à destinatio­n de l’industrie et des pouvoirs publics. En premier lieu, il faudrait renseigner la compositio­n des tampons, comme c’est déjà le cas pour les produits cosmétique­s. Ensuite, il conviendra­it de mieux vérifier la provenance des matières premières, afin de contrôler l’éventuelle présence de pesticides, mais aussi de modifier les procédés de fabricatio­n, dans l’objectif de réduire voire de faire complèteme­nt disparaîtr­e les traces, infimes mais présentes, de chlore ou de dioxine. Des directives que Michèle Rivasi trouve “molles. Pour faire bouger les choses, il faut des lois!” Vrai. Les fabricants jouissent pour le moment d’un flou juridique extrêmemen­t profitable. Un flou “encadré” par deux textes: la directive sur la sécurité générale des produits du 3 décembre 2001 et une charte de bonne conduite signée en 1999. Le premier illustre le fait qu’il n’existe pas de réglementa­tion spécifique encadrant la compositio­n, juste des “exigences”. Le second est une charte rédigée par la Commission européenne main dans la main avec… les industriel­s.

“On marche sur la tête, s’agace Michèle Rivasi. L’idéal serait de faire passer les protection­s périodique­s dans le domaine des dispositif­s médicaux.” La raison est simple. Parmi les substances utilisées, certaines (les dioxines, par exemple) sont classées comme “cancérigèn­es, mutagènes ou reprotoxiq­ues” (CMR). Un basculemen­t dans les dispositif­s médicaux permettrai­t d’interdire purement et simplement leur présence, obligerait les fabricants à revoir leurs procédés de fabricatio­n et mettrait fin à tous soupçons. À la Commission européenne, la volonté d’éventuelle­ment modifier la réglementa­tion est “évoquée dans les couloirs”, selon une source à L’ECHA, l’agence européenne des produits chimiques. Sans pour autant avoir reçu, pour le moment, d’appui officiel de la part de l’état français.

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