Troubles tampons
Chaque jour, des millions de Françaises l’utilisent, et pourtant, elles sont autant à ne pas savoir grand-chose de lui. Qui est-il? Que contient-il? Quels sont ses réseaux? Le tampon concentre à lui seul tout un tas de questions. Que l’on peut résumer en une seule: est-il nocif ou pas? Deux études récentes viennent en partie y répondre.
C’était en 1975. Procter & Gamble lançait Rely, le tampon hygiénique qui devait révolutionner la vie des femmes. Le principe? Rely revendiquait un pouvoir d’absorption bien supérieur à celui proposé par la concurrence grâce à l’utilisation de carboxyméthylcellulose et de polyester.
“Il absorbe même l’anxiété!” disait la publicité. Cinq ans, 772 cas de maladie et 38 décès plus tard, la multinationale retirait le produit du commerce, et le monde découvrait le syndrome du choc toxique, dit SCT. “Une infection liée à la prolifération du staphylocoque doré au sein du vagin,
explique Gérard Lina, chercheur au Centre national de référence des staphylocoques de Lyon (CNR). La bactérie libère alors une toxine pour se nourrir et induit le choc.”
Pour faire simple, plus le sang est “stocké” longtemps au sein du vagin, plus le risque d’une prolifération du staphylocoque doré est élevé. Depuis, la méfiance envers les tampons n’a fait que grandir, émaillée ici et là de nouveaux drames. Comme en 2012, lorsque la mannequin Lauren Wasser a dû se faire amputer de sa jambe droite –puis de la gauche– à la suite d’un choc toxique entraînant un début de gangrène des membres inférieurs. En 2005, un documentaire diffusé sur France 5, nommé Tampon,
notre ennemi intime, avait également fait grand bruit. Le film évoquait cette fois le possible lien entre tampons, perturbateurs endocriniens et endométriose. Et c’est ainsi que les ventes de tampons se sont mises à décroître. En 2017, par exemple, Tampax et Nett ont vu leurs ventes baisser de respectivement 5,4% et 4,7%, selon la société d’analyse Nielson.
C’est pour répondre à ces doutes que deux études sont venues en juin dernier –enfin– faire le point sur la dangerosité, fantasmée ou réelle, des tampons. La première émane du Centre national de référence des staphylocoques de Lyon (CNR) et concerne le SCT. La seconde, publiée par L’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), se penche sur les risques liés à la composition des protections périodiques en général. Le SCT, d’abord. Une vingtaine de cas de syndrome du choc toxique sont déclarés chaque année en France. Une maladie qui reste
“extrêmement rare, spécifie Gérard Lina, à l’origine de l’étude. Encore faut-il être porteuse de la souche de staphylocoque, ce qui représente 4% des femmes. Et dans ces 4%, seules 10% sont susceptibles de subir un choc toxique car elles n’ont pas développé d’immunité contre la toxine. Mais ce n’est
pas une raison pour la négliger”. Entre le 1er novembre 2016 et le 30 novembre 2017, le CNR a donc récolté 705 tampons usagers de 26 marques différentes, Tampax (43%) et Nett (27%) en tête. “Nous avons
“Pour faire bouger les choses, il faut des lois!” Michèle Rivasi, députée européenne
littéralement analysé du jus du tampon”, plaisante le chercheur. Verdict sans appel: contrairement aux craintes, la composition chimique des tampons testés ne favorise pas le choc toxique ; c’est leur mauvaise utilisation qui peut le faire. “On peut désormais éliminer la cause chimique dans la prolifération du staphylocoque doré et rassurer les consommatrices”, explique Gérard Lina. Immédiatement, les fabricants se sont félicités de ce résultat. Un peu vite, en fait. Car ils ont oublié de mentionner un petit détail de l’étude qui a son importance: en plus des nutriments présents dans le sang, le staphylocoque doré a besoin d’oxygène pour se développer pleinement. “Nous avons remarqué que l’espace entre les fibres du tampon contribue à l’apport d’air dans le vagin et constitue donc un lieu de croissance pour la bactérie”, poursuit le chercheur. Après cette découverte, les équipes du CNR ont donc recommandé aux entreprises de se pencher sur la densité de leurs tampons. Plus elle est élevée, moins le staphylocoque a de chance d’y proliférer.
Données introuvables
La députée européenne Michèle Rivasi ne décolère pas. “C’est toujours le même discours, s’agace la membre d’europe Écologie Les Verts: ‘Nous ne sommes pas nocifs’ ou alors ‘Nous sommes en dessous des seuils de dangerosité’. Regardez pour le glyphosate, c’est exactement ce qui se passe.”
Ce fameux composant du Roundup, un herbicide de Monsanto, est en effet présent non seulement dans les assiettes des consommateurs et consommatrices, mais aussi… dans les protections hygiéniques de ces dernières. Du moins dans une référence de serviette en 2016, selon une étude de 60 millions de consommateurs. C’est notamment pour évaluer la dangerosité liée à sa présence que L’ANSES a lancé son étude sur les produits de protection intime. Mais pas seulement. “Nous avons compilé et analysé les résultats de précédentes recherches, précise Aurélie Mathieu, scientifique à la direction d’évaluation des risques à l’agence, notamment celle réalisée par l’institut national de la consommation pour 60 millions de consommateurs et celle de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), qui confirmait d’ailleurs la première.” Pour rappel, la première étude avait aussi mis en évidence la présence de dioxines –l’un des dix produits les plus dangereux au monde selon l’organisation mondiale de la santé– dans certaines protections vendues en France. Dans la seconde, la DGCCRF avait mis en avant la présence d’hydrocarbures aromatiques polycycliques, un plastifiant de la famille des phtalates (DNOP) et surtout des résidus de lindane, un pesticide interdit en France depuis 2000. Et alors? “Nous n’avons pas mis en évidence de risques sanitaires liés à ces substances”, affirme Gérard Lafargues, directeur général délégué à L’ANSES. Encore une fois, pourtant, la victoire n’est pas totale pour les fabricants. De fait, une partie des résultats n’est pas exempte de critiques. À commencer par les données sur lesquelles ils s’appuient ; les fameux seuils de dangerosité, par exemple. L’ANSES elle-même ne s’en cache pas. “Pour chaque substance chimique, un recensement des valeurs toxicologiques de référence (VTR) par des organismes nationaux, européens et internationaux a été réalisé, en se focalisant sur les données relatives à une exposition régulière”, explique Aurélie Mathieu, de L’ANSES. Sauf qu’il n’existe malheureusement pas de VTR spécifiques aux muqueuses vaginales. “Nous nous sommes donc basés –lorsqu’il n’existait pas non plus de VTR cutanées– sur les VTR par voie orale”, termine la chercheuse. Même flou au sujet des perturbateurs endocriniens, ces substances qui troublent le fonctionnement normal des hormones. “Parce qu’ils sont susceptibles d’agir à faible dose, précise Aurélie Mathieu, il nous est en l’état impossible d’en analyser les effets.” Un manque de données “dramatique”, juge Jean-françois Narbonne, toxicologue et professeur honoraire de toxicologie à l’université de Bordeaux.
En attendant mieux, L’ANSES donne plusieurs directives à destination de l’industrie et des pouvoirs publics. En premier lieu, il faudrait renseigner la composition des tampons, comme c’est déjà le cas pour les produits cosmétiques. Ensuite, il conviendrait de mieux vérifier la provenance des matières premières, afin de contrôler l’éventuelle présence de pesticides, mais aussi de modifier les procédés de fabrication, dans l’objectif de réduire voire de faire complètement disparaître les traces, infimes mais présentes, de chlore ou de dioxine. Des directives que Michèle Rivasi trouve “molles. Pour faire bouger les choses, il faut des lois!” Vrai. Les fabricants jouissent pour le moment d’un flou juridique extrêmement profitable. Un flou “encadré” par deux textes: la directive sur la sécurité générale des produits du 3 décembre 2001 et une charte de bonne conduite signée en 1999. Le premier illustre le fait qu’il n’existe pas de réglementation spécifique encadrant la composition, juste des “exigences”. Le second est une charte rédigée par la Commission européenne main dans la main avec… les industriels.
“On marche sur la tête, s’agace Michèle Rivasi. L’idéal serait de faire passer les protections périodiques dans le domaine des dispositifs médicaux.” La raison est simple. Parmi les substances utilisées, certaines (les dioxines, par exemple) sont classées comme “cancérigènes, mutagènes ou reprotoxiques” (CMR). Un basculement dans les dispositifs médicaux permettrait d’interdire purement et simplement leur présence, obligerait les fabricants à revoir leurs procédés de fabrication et mettrait fin à tous soupçons. À la Commission européenne, la volonté d’éventuellement modifier la réglementation est “évoquée dans les couloirs”, selon une source à L’ECHA, l’agence européenne des produits chimiques. Sans pour autant avoir reçu, pour le moment, d’appui officiel de la part de l’état français.