Society (France)

“Une fille qui se prend une cuite, c’est une alcoolique…”

Après avoir étudié la philosophi­e, Pascaline Lepeltier est devenue, le 11 novembre dernier, la première femme à être élue meilleure sommelière de France. À 37 ans, l’associée au sein du restaurant Racines NY, à New York, explique ce qui reste à faire.

- – THOMAS PITREL

Pourquoi a-t-il fallu attendre 2018 pour qu’une femme soit élue meilleure sommelière de France? C’est un milieu qui a mis plus de temps que d’autres à se féminiser. Il y a 20 ou 30 ans encore, je ne suis pas sûre que les parents étaient contents que leur fille travaille dans la restaurati­on. Et il y a dix ans, quand j’ai commencé, j’étais presque seule. La restaurati­on a connu le même paradoxe que la mode: on considérai­t la cuisine et la couture comme des activités féminines, mais les grands chefs et les grands couturiers étaient tous des hommes, sans doute parce que dès que l’on touchait à l’excellence d’un domaine, la femme devait rester ‘à sa place’. En 2004, lorsque j’ai voulu faire un stage chez Potel et Chabot, il était clairement indiqué dans la descriptio­n qu’ils n’acceptaien­t pas les femmes en cave. C’était justifié par le travail physique, l’obligation de porter des caisses… Aujourd’hui, en cours, il y a beaucoup plus de jeunes filles qu’avant. Mais on n’y est pas encore tout à fait. Le fait que le métier de sommelier(e) ait trait au vin, ça rajoute quelque chose? On a encore un problème avec les femmes et l’alcool? Il y a deux choses. D’abord, le vin est un produit agricole, et la place de la femme dans l’agricultur­e n’a jamais été facile. Il suffit de regarder le nombre de femmes cheffes d’exploitati­on agricole. Ensuite, il y a l’image de la femme et de l’alcool dans la société. Dans les peintures de Toulouse-lautrec, on comprend que dans l’imaginaire collectif, la femme ivre, c’est la femme perdue. Même aujourd’hui, quand un mec se prend une cuite, ses potes l’applaudiss­ent, alors que quand c’est une fille, c’est une alcoolique.

Vous travaillez à New York. C’est la même chose aux États-unis? Je suis plus acceptée ici pour mon boulot que pour mon sexe. Mais, il faut comprendre que je suis à New York, pas aux États-unis. Ça n’a rien à voir. New York est la ville par excellence où toutes les nationalit­és, toutes les sexualités, sont représenté­es. Je pense qu’ailleurs dans le pays, ce serait un peu différent. C’est un pays où il y a beaucoup de problèmes de discrimina­tion, évidemment.

Le fait de travailler dans le vin et la restaurati­on provoque-t-il des comporteme­nts limite de la part de vos collègues masculins? Ce sont des univers extrêmemen­t sociaux, avec un niveau de stress élevé, des horaires décalés. Si vous ajoutez le vin, ainsi que des produits qui permettent de tenir, vous altérez la conscience. On n’est pas devant un ordi, dans un bureau aseptisé. On finit à 2h, on va boire un verre, on est tous potes. C’est un terreau qui favorise des comporteme­nts déplacés. Quand j’en parle avec des collègues femmes, on a toutes la même expérience. On a toutes eu affaire à ce type de comporteme­nts. Plus largement, il y a beaucoup d’alcoolisme dans ce métier. Un alcoolisme snob: vous avez la chance d’ouvrir des bouteilles d’exception, pas de la piquette, donc vous n’allez quand même pas cracher ce vin après l’avoir goûté. Alors que si, il faut cracher, il faut boire beaucoup d’eau, faire du sport, bien dormir. Il faut faire gaffe.

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