Society (France)

Le roi de la sextape

Kevin Blatt est un homme au métier étrange: il débusque des vidéos intimes de célébrités, puis les diffuse contre un gros paquet de dollars. Un bandit? Lui dit que non, et préfère se présenter comme un spécialist­e des relations publiques, à qui les stars

- PAR WILLIAM THORP, À LOS ANGELES ILLUSTRATI­ON: RAPHAËLLE MACARON POUR SOCIETY

Kevin Blatt a un drôle de métier: il débusque des vidéos intimes de célébrités, puis les diffuse contre un gros paquet de dollars. Une crapule? Il ne voit pas les choses comme ça.

vide La terrasse du Patys, à Los Angeles, est encore quand, la démarche nonchalant­e et un gobelet de café à la main, arrive Kevin Blatt. Sans un coup d’oeil à la carte, il alpague la serveuse, commande des “oeufs Bénédicte” et commence à râler. Contre son président, Donald Trump, d’abord, “un idiot, la pire chose arrivée au pays et au monde”. Puis contre cette

société qui glorifie les stars de télé-réalité, “ces gens qui ne sont rien. Moi, j’ai travaillé dur pour arriver là où je suis”. Kevin Blatt, 49 ans, chemise bleue à carreaux et crâne dégarni, insiste: “Je suis avant tout quelqu’un de respectabl­e.” Aurait-il quelque chose à se reprocher, pour ainsi enfoncer le clou? Le fait est qu’en ville, Blatt est connu sous le titre de “roi de la sextape”. Dit autrement: il est devenu quelqu’un en dénichant des vidéos intimes pornograph­iques de célébrités, soit pour empêcher leur sortie, soit au contraire pour les vendre à des diffuseurs. Cela l’a rendu riche.

Car les sextapes sont affaire de gros chiffres, et de gros dollars. Un exemple: début 2017, Kim Kardashian “fêtait” les 10 ans de sa sextape. En l’espace d’une décennie, 210 millions de personnes ont pu visionner ses ébats avec le rappeur Ray J, et la boîte de production de films pour adultes Vivid Entertainm­ent a remporté la bagatelle de 100 millions de dollars en monnayant le film. Les vidéos de Pamela Anderson, Paris Hilton ou Colin Farrell ont atteint les mêmes scores. “Tout le charme de la pornograph­ie est de voir des personnes sur lesquelles on fantasme faire des choses inimaginab­les, avance Blatt, avant d’annoncer, comme une évidence: Les sextapes ne pouvaient donc que marcher.” L’homme gobe une cuillère de muffin dégoulinan­t de sauce hollandais­e, puis montre sur son portable un cliché de lui avec Paris Hilton, tout

sourire. “Elle devrait avoir une photo de moi au-dessus de son lit qu’elle embrassera­it chaque soir. J’en ai fait une star gigantesqu­e, elle n’était personne avant moi.” Kevin Blatt est en effet l’homme qui a déniché et rendu publique la fameuse sextape de l’héritière avec Rick Salomon, qu’elle fréquentai­t à l’époque. Son premier gros coup. C’était en novembre 2003. Un certain Donald Trasher demande à voir Kevin Blatt, qui travaille alors dans la communicat­ion dans le domaine du porno. Il se présente comme le colocatair­e de Rick Salomon, et dit être en possession de “quelque chose d’intéressan­t: une vidéo de Paris Hilton et son petit copain en train de faire l’amour”.

On est alors un mois avant la première diffusion de l’émission de télé-réalité The Simple Life, qui a propulsé la jeune femme vers la célébrité ; elle n’est pas encore “la” Paris Hilton, mais une simple “fille de”. “Je l’ai tout de

même achetée 50 000 dollars, raconte Blatt. J’ai transmis ensuite des extraits à deux médias américains, et ils m’ont

tous les deux envoyé une réponse similaire: ‘Whaouh!’” Kevin Blatt partage également un extrait sur un site pornograph­ique,

Sexbrat, pour lequel il collabore. “Et c’est rapidement devenu un phénomène.” Kevin réfléchit à voix haute. “À un moment, je me suis dit: ‘Putain, si ça se trouve, je ruine sa vie.’ Mais c’est vite passé. Il y a ce que j’appelle la ‘taxe des abrutis’: si tu es suffisamme­nt stupide pour te filmer en pleins ébats, tu le paieras un jour ou l’autre.”

“L’extorsion est un vilain mot”

Kevin Blatt fait partie de ces gens qui s’expriment en grands connaisseu­rs d’un milieu pour mieux donner l’impression d’en faire partie. Lorsque la serveuse vient verser une deuxième tournée d’americano, il demande si Steve Carell, “un voisin”, n’est pas venu récemment. Il précise ensuite qu’il le voit aussi souvent

à la pizzeria du coin, “tout comme Angelina Jolie, d’ailleurs”. “Los Angeles est une ville folle, s’extasie-t-il. Regardez-moi: j’étais à des années-lumière de penser devenir ce que je suis aujourd’hui.”

Avant de chiper le titre de “roi de la sextape”, Kevin Blatt était, dit-il, “un petit juif de Cleveland, Ohio”, aux “milliers de boulots”. “J’ai vendu tout ce que vous pouvez imaginer: des sex-toys, des pilules pour faire grandir le pénis, des smartphone­s, des voitures. Puis, je suis arrivé à L.A. C’était la fin des années 90. L’industrie du porno était en plein essor. Je me suis dit que c’était là que je

devais être.” Il se met à bosser pour différente­s compagnies qui produisent du contenu pornograph­ique et devient rapidement, à l’écouter, “l’homme qu’il vous faut si vous voulez communique­r

sur le X”. Puis arrive l’affaire Hilton, et Blatt devient une référence dans le milieu. Il dit recevoir aujourd’hui trois à quatre coups de fil par semaine de personnes qui lui proposent des sextapes de célébrités. “La plupart du temps, c’est l’ancien petit copain, explique-t-il. Il possède donc déjà 50% des droits de la vidéo.” Blatt a alors deux méthodes: convaincre la star impliquée de lui céder les autres 50%, puis vendre la vidéo au plus offrant (producteur, média…); ou au contraire vendre les 50% du maître-chanteur à la célébrité et la laisser faire disparaîtr­e l’enregistre­ment “ou ce qu’elle veut

avec”. Ce qui fait dire à certains que Kevin Blatt fait de l’extorsion, et Kevin Blatt n’aime pas cela. “L’extorsion est un vilain mot. Si je te dis que j’ai une sextape de toi et ton ex et que si tu ne me donnes pas un million de dollars, je la fous sur Internet, là, c’est de l’extorsion, se défend-il. Ce que je fais, moi, c’est de l’acquisitio­n de droits, et c’est bien plus légal.” Blatt dit qu’il est parfois plus simple de vendre l’histoire quelques milliers de dollars à un média plutôt que la sextape en elle-même. Moins risqué aussi. Il prend un exemple récent, celui du procès perdu en 2016 par Gawker, un média people friand de ragots, contre le catcheur Hulk Hogan. Ce dernier avait porté plainte contre le site après qu’il eut publié sans son autorisati­on une sextape sur laquelle il apparaissa­it. La sanction: une amende de 140 millions de dollars pour violation de la vie privée et la mort du site. Kevin a participé au procès en tant qu’expert. Il était chargé de mesurer la valeur d’une telle vidéo. “Elle ne valait certaineme­nt pas 140 millions de dollars, sourit-il. Personne ne veut voir un catcheur de 65 ans faire l’amour.” Le problème: la vidéo était illégale. Hulk Hogan ne se savait pas enregistré, la caméra était cachée. “Et là, vous passez un cap.” Blatt dit ne pas s’approcher de ce genre de vidéos. La plupart de ses films à lui sont tournés avec le consenteme­nt des participan­ts.

“Et pour une bonne raison, avoue-t-il comme s’il livrait un secret: dans la moitié des cas, les ‘célébrités’ sont derrière la manoeuvre.”

Une manière de donner un coup de boost à sa carrière. “Après tout, avant sa sextape, Kim Kardashian n’était qu’une copine de Paris Hilton et la fille de l’avocat d’o. J. Simpson, illustre-t-il. Et regardez qui elle est maintenant: multimilli­onaire, mariée à Kanye West et avec son propre show télé. Tout cela grâce à une sextape.”

Le fantasme Donald Trump

Kevin Blatt dit aussi oeuvrer pour les célébrités, cette fois pour empêcher la sortie des vidéos. Prix de ses services: aux alentours des 25 000 dollars, plus le coût de la sextape. Il l’a fait avec Cameron Diaz en 2004. L’actrice est alors victime d’un maîtrechan­teur qui lui réclame 2,5 millions de dollars en échange de photos d’elle, seins nus, réalisées dans sa jeunesse. Appelé à la rescousse par son avocat, Blatt déniche rapidement l’auteur du larcin. Des années plus tard, Kevin est au restaurant lorsqu’il aperçoit l’actrice, accompagné­e de Justin Timberlake. “Je suis allé

la voir et je lui ai dit: ‘Hey Cameron, je suis Kevin Blatt, l’homme qui vous a aidée à foutre en taule celui qui voulait vous racketter.’ Elle s’est levée et m’a fait un câlin, se souvient-il. Ils sont comme

mes meilleurs amis maintenant, ils m’aiment.” Si Kevin semble mélancoliq­ue au souvenir de cette rencontre, c’est que la vie n’est pas “facile tous les jours” pour lui. “Les filles me disent: ‘Pas question que je reste près de toi’, quand je leur dis ce que je fais dans la vie. Et d’autres aimeraient me péter la gueule.” Certains de ses amis lui conseillen­t parfois de porter un flingue sur lui. Même ses parents ne le comprennen­t pas, dit-il. La seule personne avec qui ça allait vraiment était sa petite amie, Sarah Peachez. Mais leur relation a pris fin récemment. “J’ai fait quelque chose de stupide, et elle est partie”, soupire-t-il. Ces derniers mois, pourtant, Kevin Blatt s’est mis à rêver à nouveau. Il a un fantasme: être celui qui mettra la main sur la supposée sextape de Donald Trump tournée en Russie. “Une vidéo de ce genre doit valoir une fortune”, s’enthousias­me-t-il, avant de

monter son plan à voix haute: “Qui sont ceux qui ont le plus intérêt à voir Trump partir? Les démocrates. Donc ce sont eux que j’irai voir en priorité. Et bonus, avec la publicatio­n d’une telle vidéo, le pays

se dirait enfin: ‘Bon, ça suffit avec Trump.’” Kevin Blatt dit qu’il aurait le beau rôle, cette fois, celui du “héros”. “Et ça, ce serait bien.” Car ce qui l’inquiète vraiment, c’est ce que l’on dira de lui

après sa mort. “Je ne veux pas qu’on lise sur ma tombe: ‘Ci-gît Kevin Blatt, celui qui a aidé plusieurs millions de personnes à se masturber sur des sextapes.’ Je mérite mieux.”

“Paris Hilton devrait avoir une photo de moi au-dessus de son lit. J’en ai fait une star gigantesqu­e. Elle n’était personne avant moi”

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