Society (France)

LES PRINCIPAUX CARTELS MEXICAINS

- (Source: DEA – 2017)

La colonne fédérale n’a plus qu’une poignée de kilomètres à avaler avant d’être en sécurité lorsqu’un alignement de camions apparaît droit devant elle. Les sicarios d’el Chapo ont fait vite

dans le ciel, afin d’économiser du fuel. Le Comandante

refuse. “Si on approchait des nuages, je risquais de perdre la liaison avec Los Mochis. J’ai insisté pour que l’on garde une altitude normale! Je n’avais pas peur que l’on se crashe.

J’étais certain que l’on allait y arriver. Certain.” Il est l’heure de voler. Tandis que l’hélicoptèr­e traverse le ciel poussiéreu­x du Sinaloa en longeant la côte, le téléphone satellite de Nicolas Gonzalez Perrin se met à s’agiter. C’est la DEA. Les Américains, qui n’ont pas eu vent de ce qui se trame à Los Mochis, avertissen­t leur interlocut­eur mexicain que d’étranges mouvements de troupes ont été remarqués aux environs de Guamuchil. Ce qui devait arriver est donc en train d’arriver: sans nouvelles de son chef suprême, la horde sauvage du cartel de Sinaloa, plus d’une centaine d’hommes si l’on en croit les informatio­ns de la DEA, se prépare à fondre sur Los Mochis. À l’arrière du cockpit, le commandant Gonzalez Perrin rappelle les policiers qui convoient vers El Chapo pour les prévenir des malheurs qui s’annoncent. “Ils n’avaient toujours pas rejoint la caserne. C’était la panique!”

La colonne fédérale n’a plus qu’une poignée de kilomètres à avaler avant d’être en sécurité lorsqu’un alignement de camions apparaît droit devant elle. Les sicarios d’el Chapo ont fait vite. Les hommes du Comandante décident alors de bifurquer sur une petite route perpendicu­laire et foncent à toute allure sans jamais regarder dans le rétroviseu­r. Perdus sur les hauteurs de Los Mochis, ils passent devant une station-service et une épicerie, et finissent par franchir le portail d’une hacienda ceinturée par une haute palissade. L’hotel Doux. Plutôt que d’affronter les vents de la ville, les policiers fédéraux se terreront ici jusqu’à ce que les militaires viennent à leur rescousse. Une chambre est réquisitio­nnée afin d’y séquestrer El Chapo et El Cholo Ivan. Des hommes doublement armés prennent position sur le toit de la résidence tandis que les propriétai­res de l’hôtel sont invités à s’enfermer à double tour dans leur remise. Encore quelques minutes, et le paisible mas se transforme en une véritable caserne: le contingent militaire tant attendu vient d’arriver, suivi de près par les renforts de la police fédérale débarqués de tout le Sinaloa, des hommes de la police municipale et des soldats de la marine. El Chapo vaut bien une armée entière. Puis, c’est au tour de Nicolas Gonzalez Perrin, débarqué de son hélicoptèr­e, de se présenter à l’hotel Doux. Dans une piaule sans lumière, glacée par la turbine de l’air conditionn­é, le Comandante rencontre enfin El Chapo. Le premier se tient débout, droit et fier comme un mat. Le second est assis sur une tranche de lit, les mains moites attachées l’une à l’autre. “Mon cerveau s’est mis à fonctionne­r à cent à l’heure. Plein de choses se

bousculaie­nt dans ma tête. C’était fou”, se remémore le flic. En regardant El Chapo, Nicolas Gonzalez Perrin repense aux fosses débordant de cadavres, aux têtes coupées et aux torses sans bras qu’il a vus et revus au cours de sa vie dédiée à la lutte contre le narcotrafi­c, spécialeme­nt quand il était en poste dans l’état du Chihuahua. Il revit aussi cet attentat auquel il a échappé in extremis, parce que la bombe qu’un sicario avait dissimulée sous sa voiture a oublié d’exploser. “Un autre jour, alors que j’étais en patrouille avec mes hommes, on nous a tiré dessus. Le policier qui était à côté de moi a pris une rafale de balles dans les côtes et il est décédé sur le coup. Comme ça, sous mes yeux. J’y pense tout le temps. Le Chihuahua était l’endroit le plus violent du monde et c’était la faute d’el Chapo et de types comme lui”, expliquet-il aujourd’hui. Enfin, le visage du mafieux lui rappelle sa propre solitude, ces soirs trop nombreux lors desquels il a dîné en silence sous l’halogène grésillant d’un triste appartemen­t de fonction. À cause du danger de ses différente­s mutations, le Comandante n’a jamais vécu avec sa femme et ses enfants. “Ils sont toujours restés en sécurité à Mexico. Cela valait mieux pour eux. Longtemps, je ne les ai vus que quelques jours par mois, et parfois même moins que ça.”

C’est finalement El Chapo lui-même qui met fin à ce moment d’introspect­ion. Derrière les rideaux de l’hotel Doux, le trafiquant dégaine une propositio­n de la dernière chance: si le Comandante le libère sur le champ, il le paiera en milliards. Pour toute réponse, Nicolas Gonzalez Perrin

se contente d’un silence cinglant. “Quand il a compris que l’on ne céderait pas, El Chapo s’est mis à nous menacer, se souvient

le flic. Il disait qu’il allait mettre la région à feu et à sang. En vérité, il était désespéré

de retourner en prison.” La discussion dans une impasse, le Comandante les jette, lui et El Cholo Ivan, à l’arrière d’un fourgon blindé. Les deux narcos sont conduits jusqu’à l’aéroport de Los Mochis, où les attend un appareil de la marine paré pour rejoindre Mexico. Dans quelques heures, El Chapo et son bras droit seront exhibés devant les caméras du pays, à la manière de deux trophées de chasse nationaux. Parce qu’il considère que cette arrestatio­n est son oeuvre, Nicolas Gonzalez Perrin prend naturellem­ent place dans l’avion, en compagnie de ses plus proches lieutenant­s. Une initiative qui a le don d’agacer le viceamiral Marco Antonio Ortega Siu. L’officier numéro un des forces de la marine fait remarquer que seuls des militaires sont autorisés à embarquer. La guerre des chefs va-t-elle, comme cela est arrivé si souvent au Mexique, faire capoter la capture? “Le vice-amiral voulait pouvoir parader à Mexico en s’attribuant le crédit de l’arrestatio­n, raconte le

commandant. Mais c’était mon arrestatio­n. Je devais partir

avec mes prisonnier­s.” Nicolas Gonzalez Perrin ne bouge pas de son siège. Sous le regard halluciné d’el Chapo, le

vice-amiral hurle à l’attention du Comandante et de ses adjoints: “Les enfants de vos mères, je vous jure que vous

allez descendre!” L’air brûle. Des soldats sont sur le point d’empoigner Nicolas Gonzalez Perrin et de le sortir de l’avion comme on vire un ivrogne d’un saloon. C’est alors que plusieurs dizaines de policiers fédéraux viennent encercler l’avion, toutes baïonnette­s dehors. Si leur Comandante ne s’envole pas avec El Chapo et El Cholo Ivan, il y aura du grabuge. Ortega Siu doit se résoudre à capituler.

À Mexico, au bout du trajet, la pression redescend. Même El Chapo semble avoir ravalé sa colère. “Je lui ai demandé comment il voyait l’avenir et il m’a répondu qu’en réalité, il ne voulait pas la guerre, se souvient

le commandant. Ce fut un échange

agréable, très respectueu­x.” Dans la foulée, le président du pays, Enrique Peña Nieto, tient une conférence de presse extraordin­aire afin d’annoncer pompeuseme­nt au monde entier que le Mexique a capturé le plus grand des bandits. Nicolas Gonzalez Perrin est là, les mains dans le dos. Personne, parmi l’assistance enthousias­te, ne sait qui il est ni ce qu’il a fait, et cela le fait sourire. C’est la fin: sa mission est terminée. Le policier s’imagine rentrer à Culiacan et sabrer le champagne aux milieu de ses hommes. Il n’en aura pas le temps. Les autorités fédérales décident séance tenante de l’exfiltrer du Sinaloa. C’est un impératif de sécurité: le cartel décapité a appris quel rôle le policier venait de jouer, et Jesus, le premier fils d’el Chapo, annonce partout qu’il le tuera de ses propres mains, avec son pistolet en or. “Moi, je voulais rester, j’avais encore des choses à faire, mais on m’a dit que je n’avais pas

le choix. Ma vie était en jeu, dit Nicolas Gonzalez Perrin. Quand on s’en prend à El Chapo, c’est comme ça ; il faut

toujours partir.” Pour ne pas l’avoir fait, Vicente Bermudez, le juge fédéral mexicain chargé de l’affaire, a été assassiné le 17 octobre 2016. Son escorte policière n’a rien pu faire pour lui. Nicolas Gonzalez Perrin, lui, a trouvé refuge pardelà la frontière du Nord, en Amérique. À Washington précisémen­t, où son gouverneme­nt lui a dégoté ce fameux poste d’attaché d’ambassade.

“Le pays a besoin d’aide”

Aujourd’hui, dans sa nouvelle vie, Nicolas Gonzalez Perrin ne porte plus l’uniforme bleu nuit des brigades fédérales, mais un costume d’heureux notable qui étrique drôlement son épaisse silhouette. Il occupe ses journées en amendant et paraphant des papiers, prend part à d’interminab­les réunions et sert des ribambelle­s de mains dans le quartier des ambassades de Washington. C’est que l’attaché

Gonzalez Perrin est un personnage en vue du Landerneau diplomatiq­ue: en plus des activités quotidienn­es pour le compte de la représenta­tion mexicaine, il est désormais le secrétaire général de L’APALA, le groupement des polices d’amérique latine. Peut-être le résultat de ses exploits

dans le Sinaloa. “Je n’en parle pas, mais tout le monde le sait, souligne le Comandante. À chaque fois que l’on me présente, on dit que j’ai participé à l’un des plus grands

dossiers criminels de l’histoire.” À Washington, Nicolas a embarqué avec lui sa famille. Quand il ne travaille pas, il emmène femme et enfants au cinéma et au stade, visite les monuments de la capitale des États-unis. Pour la première fois depuis des années, Nicolas Gonzalez Perrin est un mari et un père présent. “À Washington, j’apprends à revivre avec ma famille. Je fais des choses dont j’avais oublié l’existence”, sourit-il. Il y a un peu plus d’un an, une agence de presse a publié une dépêche mettant au jour sa retraite confidenti­elle. Nicolas Gonzalez Perrin a frissonné un moment à l’idée que le cartel rappliquer­ait un jour ou l’autre devant chez lui. Cela n’a pas duré. “Au fond, c’est mieux que les gens sachent où

je suis”, dit le policier.

La vérité, c’est que le Comandante voudrait repasser la frontière. En finir avec la paperasse et les courbettes, et revoir la terre maudite du Sinaloa, où tant de choses restent à faire. “Le pays a besoin d’aide. Il y a toujours autant de fusillades et de

morts”, dit-il en serrant les poings. Depuis l’arrestatio­n d’el Chapo, le nombre de décès dans le Sinaloa a encore augmenté, atteignant ses chiffres les plus hauts depuis 1997. Ce jour où il reçoit, on dirait que Nicolas Gonzalez Perrin pourrait déchirer sa tenue civile pour laisser apparaître son uniforme éclatant de Comandante. Le flic croule sous des cartons qui fleurent le papier frais. Là-dedans se trouvent des dizaines d’exemplaire­s du livre qu’il vient tout juste de publier. Il y expose une série de propositio­ns visant à réformer la police au Mexique. Il parle de sa fameuse “Tempête dorée” et de l’opération “Requin bleu”, insiste sur la nécessité de payer correcteme­nt les policiers afin d’en finir avec le fléau de la corruption. “Comment voulez-vous que l’on tienne si l’on continue à filer 200 dollars par mois à nos hommes? interroge-t-il. Il faut investir dans notre sécurité. Le gouverneme­nt en a les moyens. Il faut voir ça comme une

politique de développem­ent durable.” Le titre de son livre: De l’impossible au possible. Une manière d’encourager ses supérieurs à le rapatrier sur le front. D’ailleurs, Nicolas Gonzalez Perrin a déjà une cible dans son viseur. Là-bas, au sud, un homme a pris la succession d’el Chapo. Il s’appelle Ismael Zambada, mais il faut dire “El Mayo”.

Jesus, le fils d’el Chapo, annonce partout qu’il tuera Gonzalez Perrin de ses propres mains, avec son pistolet en or. Le Comandante doit s’exiler. “Quand on s’en prend à El Chapo, c’est comme ça, dit-il. Il faut toujours partir”

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