Society (France)

Monsieur le maire

- PAR LUCAS MINISINI, À WISSOUS / PHOTOS: PAUL ARNAUD POUR SOCIETY

Il s’est fait parachuter sur sa ville, a armé sa police municipale de fusils à pompe, a signé un arrêté anti-voile. Mais Richard Trinquier vient surtout de prendre six mois de prison avec sursis pour avoir menacé des gens du voyage avec un katana. Le maire de Wissous méritait bien une petite visite.

Il s’est parachuté sur sa ville, a armé sa police municipale de fusils à pompe, a signé un arrêté anti-voile. Son dernier coup d’éclat en date: il a pris, le 21 novembre dernier, six mois de prison avec sursis pour avoir menacé des gens du voyage avec un katana. Richard Trinquier, maire de Wissous, règne depuis plus de 20 ans sur cette ville tranquille de l’essonne avec des méthodes dignes d’un western. Et il ne voit pas pourquoi ça changerait.

“Pendant la fête des Américains organisée au Mémorial de Caen il y a quelques années, je voulais être parachuté d’un avion B-17 sur le cimetière pour aller y déposer un drapeau, mais les Américains n’ont pas voulu. Pourtant, ce mitrailleu­r ne vole pas très vite, 140 km/h environ ; il aurait suffi que j’enlève la porte, que je chemine jusqu’au bout de l’aile en plein vol et que je saute de la carlingue. Ils ont eu peur! C’est dommage, ça aurait été un grand moment.” Lundi, 14h. Dans son bureau, Richard Trinquier finit l’une de ses nombreuses histoires. Il pointe du doigt le tableau où figure l’engin phare de la Seconde Guerre mondiale, un cadeau de ses amis outre-atlantique. Puis s’assoit derrière une épaisse table en bois sombre, stylo en main. Par la fenêtre, on aperçoit l’église du xiie siècle de Wissous et une calèche garée sur un parvis désert. Sur la commode en face, une tasse siglée NYPD, la police de New York. Un autre cadeau, offert, celuilà, par le chef de la police municipale, qui se trouve être également un partenaire occasionne­l du stand de tir. Car Richard Trinquier n’aime pas seulement voler ; il aime aussi tirer. “Je vais m’entraîner au stand au moins une fois par semaine et souvent deux à trois fois, explique-t-il. Je suis très bon tireur, avec toutes les armes. Toutes.” Le ton est ferme, le regard sec, le sous-texte limpide: à 69 ans, Richard Trinquier, maire de Wissous, dans l’essonne, est avant tout là pour assurer la sécurité de ses administré­s. Contre quels périls? On ne sait pas trop. L’élu parle de “faire respecter les lois”, de valeurs “avec un grand V”. Il parle aussi de “bandes armées de kalachniko­vs” lorsque les seuls délits répertorié­s sur sa commune sont, selon la police, en très grande majorité des cambriolag­es, dont la fréquence équivaut à celle des villes alentours. Et il parle aussi, sans surprise, des “communauta­rismes”, de “ceux qui veulent instaurer un système antirépubl­icain ou la charia, par exemple”. Il dit qu’il ne cédera pas: “Il y a un mot que

j’ignore complèteme­nt, c’est ‘peur’. Je ne sais pas du tout ce que c’est. Mettez-vous ça dans la tête.”

C’est sans doute pour illustrer cette philosophi­e de vie que Richard Trinquier est sorti de chez lui le 8 avril dernier pour se rendre sur le parking de la crèche de Wissous, où plusieurs caravanes de gens du voyage stationnai­ent sans autorisati­on. Les discussion­s avec la police et l’équipe municipale étant dans l’impasse, l’élu a fait passer le message à sa manière: gilet pare-balles sur le dos et katana (un sabre japonais traditionn­el, symbole des samouraïs) bien en vue. Résultat: 48 heures de garde à vue et une condamnati­on à six mois de prison avec sursis assortie de 1 500 euros d’amende au terme d’un procès pour violences avec arme dont le délibéré a été rendu le 21 novembre. “On n’imagine pas un élu se balader avec un sabre pour régler les problèmes. Vous n’êtes pas l’inspecteur Harry”, a justifié le magistrat pendant l’audience. Pas franchemen­t de quoi perturber monsieur le maire, persuadé d’être dans son bon droit. “J’ai déjà utilisé le katana, c’était encore pire la dernière fois parce que j’avais dû en faire usage!” C’était il y a une dizaine d’années. Un individu se serait jeté sur lui, un “cran d’arrêt” à la main, rapidement coupé dans son élan à la vue du sabre hors de son fourreau. Un résumé du style Trinquier. Celui d’un élu qui applique au pied de la lettre le texte des collectivi­tés territoria­les donnant au maire le titre “d’officier de police judiciaire” et lui assure la “direction de la police municipale”. Pas pour rien que Trinquier, dans le départemen­t, est surnommé “le shérif”, même s’il réfute le sobriquet. “C’est complèteme­nt con, c’est un terme inventé pour me traîner dans la boue. Personne n’utilise ce mot ici.” Wissous, donc. Huit mille habitants installés à une quinzaine de kilomètres de Paris qui n’en finissent pas de renouveler leur confiance à l’édile depuis qu’il s’est retrouvé tête de liste un petit mois avant les municipale­s de 1995, “totalement par hasard” et sans envie particuliè­re d’être élu, jure-t-il. Richard Trinquier en est actuelleme­nt à son troisième mandat –il a été battu une fois, en 2008– et compte bien repartir pour un tour en 2020. À Wissous, il connaît tout le monde. Bertrand, le concession­naire, avec qui il aime partager sa passion des “vieilles anglaises”. Le père Pascal aussi, le prêtre de la commune, en attente d’un rendezvous à la préfecture pour renouveler son titre de séjour et sa demande de naturalisa­tion. Richard Trinquier sait aussi bien parler aux retraités en quête de quiétude et aux familles installées “depuis le roi Henri IV” qu’aux couples de jeunes actifs venus ici à la recherche d’une piscine semi-enterrée et d’une allée goudronnée. À Wissous, où les logements sociaux représente­nt entre 6 et 8% du parc immobilier –chiffre très en deça des moyennes nationales–, les trois quarts des habitants travaillen­t hors du départemen­t, le plus souvent à Paris ou sur le plateau de Saclay, à une vingtaine de minutes de là. Ils partent le matin, rentrent le soir. Entre-temps, le Yummy Sushi du centre-ville peine à se remplir, et en semaine, les commerces ne restent ouverts que quelques heures par-ci, par là. Le long de l’a6, aucune sortie ne mène à Wissous directemen­t, et aucune gare RER ne dessert les lieux. De telle sorte que Wissous a eu beau passer de 800 à 8 000 habitants en un siècle, elle pourra difficilem­ent dépasser les 10 000. Cela va parfaiteme­nt à Richard Trinquier: “On nous dit souvent qu’on est un village gaulois. Ça me fait plaisir!”

“Je suis ceinture noire de karaté, j’en ai donc frappé quatre”

Richard Trinquier est arrivé à Wissous en 1990. L’aboutissem­ent d’une histoire qu’il se plaît à raconter comme un conte moderne: celle de sa naissance au Vietnam en 1949, en pleine guerre d’indochine. Son père est colonel de l’armée française et pas des plus présents. Sa mère, vietnamien­ne, se charge de son éducation. La chute de Diên Biên Phu en 1954 rebat les cartes, et celles du destin du jeune Richard. Il part pour Paris. Il a 6 ans et demi, ne parle pas un seul mot de français. Il rappelle à plusieurs reprises les brimades subies à l’école primaire de Montrouge, chahutant ses origines asiatiques et sa couleur de peau, l’apprentiss­age studieux des arts martiaux et la réputation de “redoutable” qu’il se taille finalement en jouant des coudes. Rapidement, c’est décidé: pour l’ado Trinquier, ce sera l’armée. Douze mois chez les parachutis­tes et des vues sur l’école militaire de Saint-cyr. La proximité de son père avec les généraux putschiste­s de L’OAS et sa vision très personnell­e de la contre-insurrecti­on lui barreront les portes de la prestigieu­se institutio­n. Richard Trinquier choisit alors de se rabattre sur la médecine. Il devient anesthésis­te. Sans remettre au placard ses rêves d’aventures pour autant. “J’ai eu plusieurs records de parachutis­me, racontet-il. J’ai battu le record du monde du plus long vol en parapente en 1985 –cinq heures et 20 minutes– et celui de la plus grande étoile en parachute au salon du Bourget, on était 80.” À quoi il faut ajouter ses deux années en tant que pilote de moto, sur une “250 centimètre­s cubes aux côtés du champion Patrick Pons”. Un amour du fracas et de la vitesse qu’il conserve une fois installé à Wissous. Son entrée en politique dans les années 90? “J’ai appelé le préfet et je lui ai demandé d’installer un commissari­at sur la commune. Refusé.”

La réponse de Trinquier: “Dans ces caslà, si vous n’acceptez pas, je vais devoir m’en charger, monsieur le préfet.” La mise en pratique est rapide. À peine élu (sans étiquette), il démarre la première d’une longue série de confrontat­ions avec la communauté des gens du voyage. Comme dans un film d’action à budget réduit, il décrit la scène inaugurale: une cabane bancale dans laquelle il se serait retrouvé entraîné par quatre types sur le point d’être expulsés. “Ils avaient omis une chose: je suis ceinture noire de karaté.

“Je suis vietnamien, impossible que je sois raciste!”

J’en ai donc frappé quatre, et quand les policiers sont intervenus, j’étais en train d’en étrangler un.” Bien sûr, il s’agissait de légitime défense. Mais tout de même: “Certains n’étaient pas beaux à voir.”

Cette démonstrat­ion de force s’enrichit d’autres coups d’éclat. Une année, Richard Trinquier choisit de se parachuter sur sa ville à l’occasion de la très populaire fête de la Patate (“On m’accusait d’être un parachuté en politique, j’ai voulu faire de l’humour”). Une autre, il équipe l’ensemble de sa police municipale de fusils à pompe Mossberg (même si pour son usage personnel, il préfère un Magnum 357 de la marque Smith & Wesson), qu’il se charge de remplir luimême de cartouches avec une dose de poudre supplément­aire, car “avec ça, on arrête n’importe qui”. Un choix qui lui vaut une décision en justice du Conseil d’état, qui annule tout armement pour les représenta­nts de sa chère ville. Richard Trinquier commence alors à nourrir sa réputation de “cinglé” ou de “dur à cuire”, selon l’endroit où l’on se place. À l’hôpital, monsieur le maire pousse les portes du bloc opératoire comme s’il entrait dans un saloon. Puis, il fait installer des détecteurs de métaux à l’entrée des conseils municipaux. En 2004, son amour des armes le reprend: il offre à ses forces de police des Taser, arme vendue comme non létale et non homologuée à l’époque. “La police municipale de Wissous était la risée du départemen­t, se marre un ancien flic de la région. Ils étaient armés jusqu’aux dents, les mecs, dans une ville où très peu de choses se passent. C’étaient les cow-boys et leur shérif.”

Wissous a peur

L’affaire prend une nouvelle dimension en 2014. Cette année-là, lors de Wissous Plage, une animation estivale faite de pistolets à eau géants et d’initiation gratuite au catch pour ses administré­s qu’il a lancée en 2002, Richard Trinquier prend un arrêté municipal interdisan­t le port de signes religieux dans l’espace détente de la manifestat­ion. Conséquenc­e: deux femmes voilées se voient refuser l’entrée. L’arrêté, jugé illégal, est annulé par le tribunal administra­tif très peu de temps après. Mais le buzz est lancé, et l’affaire migre sur les réseaux sociaux. “S’ils croient qu’on risque de leur piquer leurs laiderons parce qu’elles montreraie­nt leurs cheveux. Il faudrait vraiment avoir faim”, écrit ainsi sur Facebook Dominique Bouley, responsabl­e du circuit de karting de la ville et premier adjoint au maire. Une plainte est déposée. À Wissous, l’ambiance n’est plus à la rigolade. “Ces deux femmes voilées ne se sentaient plus en sécurité, même quand elles emmenaient leurs enfants à l’école, regrette un habitant. Elles étaient souvent pointées du doigt.” Les “frictions” deviennent courantes.

Réponse de Richard Trinquier, sur l’air de “j’ai-un-ami-noir”: “Je suis vietnamien, impossible que je sois raciste!” Il rappelle aussi comment, en 2013, il a organisé des visites médicales gratuites pour l’ensemble de la communauté des gens du voyage. Ou comment, en 2015, il a pris la décision d’inhumer une enfant rom sans sépulture après le refus de la ville voisine de Champlan de l’enterrer sur sa commune. “Il ne faisait que son devoir de médecin, rien de plus, ce n’est pas un héros”, tranche Olivier Le Mailloux. Cet avocat représente les gens du voyage que Richard Trinquier est allé voir en avril dernier, muni de son katana et de son gilet pareballes. Sa vision de Trinquier est sans appel: “À Bordeaux ou en Bretagne par exemple, tout se passe toujours très bien avec les gens du voyage. La loi est respectée, des aires d’accueil sont mises en place. Mais

À l’hôpital, monsieur le maire pousse les portes du bloc opératoire comme s’il entrait dans un saloon. Puis, il fait installer des détecteurs de métaux à l’entrée des conseils municipaux

à Wissous, le maire préfère monter les population­s les unes contre les autres.” Selon Olivier Le Mailloux, toute cette agitation créée par Richard Trinquier ne serait qu’un “argument électoral”. C’est aussi ce que pense l’opposition locale. “C’est une philosophi­e de faire peur, commente Olivier Perrot, attaché parlementa­ire LREM et conseiller municipal. On parle d’insécurité quand il n’y en a pas. À Wissous, les enfants rentrent tout seuls de l’école, à pied. On n’est pas à Grigny ni à Corbeiless­onnes. C’est une forme de populisme.” Des idées “à la mode” entretenue­s aussi par les fonds “monumentau­x” déployés par la mairie sur les loisirs, une baisse significat­ive des impôts et quelques promesses de campagnes (non tenues), comme l’agrandisse­ment de l’école primaire du coin. Et qui, à l’époque du repli sur soi et de la peur de l’autre, ont trouvé une drôle de caisse de résonance. Non seulement Richard Trinquier est réélu mandat après mandat, mais les années passant, il a aussi obtenu un soutien politique de plus en plus marqué. Après l’affaire du katana, le maire de Wissous a ainsi reçu l’appui officiel de Nicolas Dupont-aignan, ancien maire de la ville voisine de Yerres, président de Debout la France et soutien de Marine Le Pen au second tour de la dernière présidenti­elle. Il a aussi été félicité par des “dizaines de messages privés”, dit-il, certains provenant de députés. Encouragé par ces marques de sympathie, l’élu, qui a été encarté au RPF de Charles Pasqua puis à LR avant d’en démissionn­er, a lui-même pris sa carte de Debout la France à l’occasion de la présidenti­elle et voit désormais plus loin.

La révolte actuelle des maires français, dont une étude du CEVIPOF a montré ces dernières semaines que près de la moitié d’entre eux ne souhaitera­ient pas se représente­r en 2020, est pour lui un autre signe qu’il faut passer à l’action. “On est sur un constat d’incompéten­ce et de déliquesce­nce de l’état. Si des gens ne se lèvent pas, c’est la porte ouverte à tous les abus et c’est notre démocratie et notre République qui disparaiss­ent. Il faut réagir. Alors, je vais monter un groupe de discussion et de pression avec d’autres maires qui partagent mes valeurs partout en France”, dit-il. Richard Trinquier s’enorgueill­it aussi de voir que l’armement de la police municipale ou les arrêtés anti-voile ont été étendus à beaucoup d’autres villes en France ces dernières années. Tout cela fait qu’il se voit comme un “précurseur”. Et un homme avec des adeptes. Ainsi Jérémy Renaud, son directeur de cabinet. Le jeune homme de 31 ans, ancien secrétaire général des Jeunes de Debout la France, se définit comme “mal-pensant”, “anti-communiste” et fan d’éric Zemmour –le dernier essai du polémiste, Destin Français, est posé sur son bureau. Il vante: “Après le 8 avril, plein de journalist­es sont venus à Wissous, mais personne n’a réussi à trouver des gens qui critiquaie­nt le maire!” Il tente une blague: “Les gens ont peur de se prendre un coup de katana s’ils

le critiquent!” Puis il raconte, fier, que le 13 octobre dernier, trois jours après le premier procès de Richard Trinquier, la mairie a organisé sa première édition du trophée des sportifs. Football, tennis, cyclisme et escrime, toutes les associatio­ns ont défilé pendant l’aprèsmidi. C’est à l’organisati­on DOJO, spécialisé­e en aïkido, qu’a échu l’honneur de clore la journée. Pour le grand final, tout était prévu: une démonstrat­ion de katana, en plein centre-ville. “Le maire était très content!” dit Jérémy Renaud. Derrière lui, Richard Trinquier sourit.

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