Society (France)

Benoît Paire

- TOUS PROPOS RECUEILLIS PAR PPB

Le caractérie­l tennisman français entame sa dixième saison sur le circuit. Il revient sur ses explosions de colère, son expulsion des JO, sa jeunesse, ses relations amoureuses et son penchant pour les films tristes.

Une nouvelle saison de tennis démarre et beaucoup de gens se posent des questions sur l’évolution de ce sport. On parle de changer la taille des raquettes, celle des balles, de modifier le règlement... Tu n’as pas l’impression que le tennis est un peu perdu? Il faut arrêter. Ça ne sert à rien. Ce sont des innovation­s bidon, le tennis se porte bien. Sur les tournois du Grand Chelem, c’est blindé à tous les matchs, il y a de l’argent, je ne vois pas pourquoi il faudrait changer.

De fait, si on devait changer une règle, tu préférerai­s sans doute que l’on abolisse l’interdicti­on pour les joueurs de parler pendant les matchs… Non, parce que c’est ce qui fait la beauté de ce sport: tu dois trouver les solutions par toi-même. Tu passes par tous les états, c’est un sport de cinglés, et c’est ce qui me plaît, même si ça me rend fou. Bon, cela dit, je suis beaucoup plus calme qu’avant, je progresse. Tout petit, j’étais taré. Je n’acceptais pas de faire une erreur. J’avais l’impression que les gens allaient se foutre de ma gueule si je loupais une balle facile. Le regard des autres était très important pour moi. Alors que pas du tout, en fait. Aujourd’hui, c’est plus compliqué à expliquer. Il y a des matins, je me réveille et le moindre truc peut m’énerver. Par exemple, l’an dernier, j’ai joué contre Baghdatis à Washington, j’ai tout pété et j’ai pris 17 000 dollars d’amende. C’était la fin du match, je tombe et bam! en deux secondes, j’éclate tout. Je casse une raquette. J’arrive sur mon banc, j’en casse une deuxième, puis une troisième. Je suis devenu incontrôla­ble. Le dernier jeu, je ne l’ai pas joué. Je balançais les balles dans mon camp et à la fin, j’ai éclaté une autre raquette.

Et quand tu y repenses? J’étais effondré. Le mec du tournoi est venu me voir, je lui ai dit: ‘Je sais, je suis d’accord, ça ne sert à rien de m’engueuler.’ Dès que je sors du match, je me rends compte de ce que j’ai fait. Et je suis le premier à être triste. Mais le problème, c’est que sur le coup, je n’arrive pas à me contrôler. Je suis capable de tout casser, de tuer quelqu’un. Ça m’arrive de moins en moins, mais j’ai des rechutes. Par exemple, l’année dernière, à Halle, je joue contre Lucas Pouille en demi-finale. Je ne dis pas un mot du tournoi, tout le monde me félicite, mes parents sont là. ‘On t’a vu. Génial! C’est bien ce que tu fais en ce moment.’ Premier jeu, j’éclate ma raquette. Je prends un jeu de pénalité. Au bout de cinq minutes, il y a 5-1 pour lui. Pourquoi? Mystère. Deux jours avant, tout allait très bien...

Tu as essayé de voir un psychologu­e, un sophrologu­e, un... (il coupe) J’ai tout fait! Hypnose, acupunctur­e. Le psy remonte sur un truc genre: ‘Ta famille, quand tu

étais jeune, tout ça...’, mais ça n’a rien à voir, je le sais au fond de moi. Pour le sophrologu­e, visualiser un truc, je n’y crois pas. L’hypnotiseu­r, je me suis dit que c’était parfait, mais en fait ça ne m’a rien fait.

Cette violence, elle s’exprime en dehors du court? En dehors, je ne m’énerve jamais. Je ne fais de mal à personne. Je ne me suis jamais battu de ma vie, même à douze grammes. C’est le tennis qui me rend comme ça. C’est un domaine dans lequel j’ai un peu de talent, alors le moindre truc qui ne va pas, je ne comprends pas et je me sens perdu.

Comment t’es-tu mis au tennis? Mon père est prof et président d’un tout petit club de 30 adhérents, les Cheminots d’avignon, le club de la SNCF. Il donnait des cours. J’ai commencé et j’ai aimé ça.

Enfant, tu étais dans le top européen ou mondial, et puis... plus rien. L’adolescenc­e ressemble à un trou noir, puis tu refais surface vers 19 ans, quand tu deviens profession­nel. Qu’est-ce qui s’est passé? Vers 14-15 ans, le tennis, je n’y arrivais plus. J’étais mal. Ma logique, c’était que si je ne prenais pas de plaisir sur le court, alors ça ne servait à rien que je joue. Du coup, j’ai un peu laissé tomber. Le foot aussi, alors que je jouais bien. Jusqu’à 13 ans, j’ai joué au Pontet, un club près d’avignon. En Coupe de France des jeunes, on avait battu L’OM, puis on avait joué Lyon en phase finale. Beaucoup de clubs me voulaient dans leur centre de formation, dont L’OM. Mais ça aussi, j’ai laissé tomber.

Du coup, tu as été scolarisé dans un lycée agricole. Ce n’est pas que j’étais mauvais en cours, mais je n’aimais pas du tout ça, je ne travaillai­s jamais. J’ai redoublé ma seconde. En fin d’année, en conseil de classe, on m’a dit: ‘Tes notes ne sont pas bonnes. Le seul truc que l’on peut te conseiller, c’est un lycée agricole.’ Je me suis retrouvé là-dedans, je portais des chaussures de sécurité, j’apprenais les races de cochons, comment irriguer les champs, j’ai appris à conduire un tracteur. Je ne dénigre pas, mais ce n’était pas du tout ce que je voulais faire. La rentrée, c’était terrible. J’étais perdu. J’ai tenu trois mois.

Il paraît que c’est un ami de ton père qui t’a sponsorisé et qui t’a finalement permis de te remettre au tennis et de devenir profession­nel… Cet homme ne connaît rien au tennis, mais il a cru en moi. On ne savait même pas qu’il avait de l’argent. Mon père parlait de moi sans rien attendre en retour. Il disait: ‘Benoît a mis le foot de côté, le tennis de côté, il ne va pas très bien.’ Son ami lui a répondu: ‘Mon rêve, c’est de voir Benoît jouer contre Nadal à Rolandgarr­os’, et il a mis 25 000 euros pour me payer une année à L’ISP, à Sophia Antipolis (un centre d’entraîneme­nt aujourd’hui rebaptisé Mouratoglo­u Tennis Academy, ndlr). Une somme que l’on ne pouvait pas sortir. Mes parents ont eu du mal à accepter. Moi, ça m’a poussé à me donner à fond. Je ne pouvais plus me dire: ‘Je n’ai pas envie, ça me saoule.’

Ton meilleur classement est 18e mondial. Cette année, tu as aussi joué ton premier match de coupe Davis, en demi-finale, que tu as gagné. Et tu n’as pas été retenu pour la finale. Pas trop déçu? Ça m’a vraiment fait chier. J’ai toujours dit que je voulais jouer pour la France. D’ailleurs, j’ai été sélectionn­é en demi-finale parce que j’ai fait le forcing. J’ai appelé Noah. ‘Vas-y, Yannick, je suis prêt, j’ai envie.’ Et il m’a dit:

‘Ah bon? C’est vrai? Je ne pensais pas.’ Sur la base de ce qu’il lisait dans la presse, de ce qui s’était passé au Jeux olympiques (Benoît Paire a été exclu des JO de Rio en 2016, ndlr), il s’était fait une idée. Mais ça s’est très bien passé. Quand tu te rends compte que tu joues pour l’équipe de France, que t’as le survêt’, t’as beau faire le bad boy, tu te sens tout petit. Pendant les hymnes, j’ai pleuré. Quand tu entres dans le stade, que tu vois que tout le monde porte le maillot, que tu vois les écharpes, les drapeaux de la France, d’un coup il n’y a plus de Benoît Paire qui casse ses raquettes.

Et comment as-tu vécu ton exclusion des Jeux olympiques de Rio en 2016? Pour rappel, tu t’es fait virer parce que tu as découché du village olympique pour retrouver ta copine de l’époque en douce dans un hôtel. J’en rigole maintenant, mais ça a été un moment difficile. Pas que pour moi, mais pour elle aussi, pour mes parents, ma famille. On s’est fait cracher dessus. J’ai perdu beaucoup de sponsors à cause de ça. L’histoire, c’est qu’à la base, le comité olympique voulait que ma copine (la chanteuse Shy’m, ndlr) vienne animer des soirées au village olympique... Bon, elle est venue. Et moi, une nuit, je n’ai pas dormi au village, mais à l’hôtel avec elle. Or, je n’avais pas le droit, c’est la règle de la fédé de tennis. Alors que d’autres athlètes dormaient dans des villas hors du village, comme Teddy Riner, qui était avec sa femme et ses enfants. Ça ne posait pas de

problème. Mais moi, non, je n’avais pas le droit. J’ai gagné mon premier match, puis perdu mon deuxième. Juste après ma défaite, la fédération a annoncé que j’étais viré, que j’avais enfreint la règle. Mais je me suis fait gauler quatre jours plus tôt, avant de jouer mes matchs! Ils n’ont rien dit pendant trois jours et ils m’ont viré après ma défaite, quand ma compétitio­n était finie. Un sketch. Le fond du problème, c’est que je ne m’entendais pas avec le directeur technique national. Un problème d’ego. Je vais me prendre une bière. T’en veux une?

Tu picoles pendant l’année? J’aime bien sortir, boire des verres, je ne m’en cache pas. Je ne suis pas le plus profession­nel de tous… Mais j’en ai besoin. Si je ne le fais pas, je ne me sens pas bien sur le court. Et puis, tout le monde sort. Les gens qui ont un boulot normal, ils prennent l’apéro. Nous, c’est pareil, sinon comment on fait?

Tu ne crois pas que tu aurais été plus heureux dans les années 70 ou 80, dans un contexte plus permissif? Il y avait plus de liberté. Et il n’y avait pas les réseaux sociaux. Aujourd’hui, ça va tellement vite! Quand je pète des raquettes à Washington, une seconde après, il y a la vidéo. Dans les années 70, personne n’aurait été au courant, il aurait fallu envoyer un fax. Mais sur le court, je suis heureux quand même. Mes crises font partie de moi.

À propos des réseaux sociaux, tu as fermé ton compte Facebook récemment. Pourquoi? Je recevais des messages tordus, des trucs bizarres. J’ai la même chose sur Instagram aujourd’hui. À la fin de chaque match, quand je perds, je reçois une trentaine de messages d’insultes. Tiens, regarde (il montre son

téléphone): ‘Fuck you’, ‘Malissima’, ‘Say hi to your mum’, ‘You are the worst player’... J’ai arrêté de lire. Ils insultent mon père, ma mère, tout le monde. C’est souvent des gens qui parient et qui perdent. Ils sont énervés, ils m’insultent et veulent tuer toute ma famille. Bon, ça fait partie du métier... Tu ne portes pas plainte? Non, je ne fais rien. Je ne vais pas voir les flics, ça voudrait dire que je porte de l’intérêt à ça. Sur Twitter, c’est la même chose. Tu viens de perdre un match, t’es défait, t’es le premier à être triste, au lieu d’avoir un message ‘Oh, dommage’, c’est: ‘Je vais te tuer’, ‘Je vais tuer ta mère’, ‘T’es nul, arrête le tennis’. Parfois, j’ai failli craquer et répondre à certains messages. Et en même temps, les réseaux, j’adore ça. Instagram, Twitter, je suis fan. Instagram, c’est très beau. J’aime beaucoup les pages de citations, comme le compte Amours solitaires. Il n’y a que des phrases un peu tristes sur des trucs de couple. J’adore ça (il lit en marmonnant): ‘Merci pour ce moment’, ‘Pourquoi t’es insensible comme ça? Parce que mon coeur s’est en allé avec toi...’ Sinon, j’aime bien les beaux comptes d’hôtels. Et les sites de bouffe. Je vais dans plein de restos grâce à ça. Je suis du genre à prendre mon assiette en photo.

Avec Shy’m, vous vous étiez rencontrés sur les réseaux? Je ne veux pas répondre... Aujourd’hui, tu peux rencontrer plein de filles sur les réseaux sociaux. J’avoue, je reçois des messages de filles. Pour rencontrer une nana d’un soir, c’est très facile. Je ne dis pas l’inverse. Mais pour l’instant, je n’ai pas encore rencontré l’âme soeur sur Instagram. C’est compliqué. Si c’est moi qui envoie un message, ça fait mec qui cherche. Si c’est elle, ça fait un peu fan.

Andre Agassi et Brooke Shields ont bien commencé leur relation en s’envoyant des fax... C’est vrai? C’est dingue, le décalage. Maintenant, sur Instagram, c’est tellement simple de faire des rencontres. Pas que pour moi. Pour beaucoup de sportifs. Tu rencontres des tas de gens en deux clics. Avec mon ex-copine, notre relation était cool. Elle pouvait voyager, elle était libre dans son emploi du temps, on passait beaucoup de temps ensemble sur les tournois.

Tu es seul aujourd’hui? Cette saison, j’ai pris un entraîneur et un kiné. Le kiné, je n’étais pas obligé, il y en a sur place sur les tournois. Mais je le connais bien, c’est devenu un pote. J’ai envie d’être bien sur le court, j’en ai besoin. Si je veux aller boire une bière, je sais qu’ils seront là avec moi et que je vais passer du bon temps. Comme avec Jeancharle­s, mon meilleur ami, qui m’a suivi l’année dernière.

Tu as embauché ton meilleur pote pour qu’il te suive sur les tournois? Je l’ai pris quand je me suis séparé. J’ai senti que j’avais besoin d’avoir une personne à qui parler, un soutien. Jean-charles me connaît par coeur, c’est la personne avec qui j’ai passé le plus de temps depuis tout petit. On ne s’est jamais embrouillé­s. Je me suis dit: ‘Avec qui je peux partir pour me sentir bien? Qu’est-ce qui me ferait du bien en dehors du court?’ Tout était fait pour que ça soit lui. Je lui ai demandé. Il m’a dit: ‘Moi, je suis chaud, mais il faut quand même que je réfléchiss­e.’ J’aurais compris qu’il dise non. Il a son boulot, sa copine à la maison. Il lui en a parlé. Elle lui a répondu: ‘Fonce, on est encore jeunes, Benoît a besoin de toi.’

Et on a passé une année exceptionn­elle. La plus belle sur le circuit depuis que je joue au tennis. D’ailleurs, j’ai été beaucoup plus calme, son regard m’apaisait. On allait boire un verre quand je perdais. On dormait toujours ensemble, tout le temps, dans la même piaule. Par choix. Parce qu’on était bien ensemble. On allait se poser au bord de la mer et on discutait. C’est quelque chose qui m’a fait du bien.

Et quand tu es dans ta chambre, tu fais quoi, tu regardes des séries? J’ai adoré Breaking Bad. Mais les séries, j’ai du mal. Enfin, disons que c’est bien quand tu partages. J’ai regardé ça avec ma copine. On se faisait des petits débriefing­s. Là, je suis tout seul. Je ne partage rien. Je ne vais pas me dire à moi-même: ‘Oh là là, mais qu’est-ce qui va se passer?’ En revanche, je regarde beaucoup de films. J’adore les films tristes.

Tristes? Oui, musique triste, film triste, je me mets en dépression tout seul dans ma chambre. J’adore la mélancolie, être dans cet état. Je n’aime pas les comédies. J’aime me faire du mal. Je me suis fait une playlist spécial trucs tristes. Regarde (il montre son compte Spotify): Elle rêve encore, Je pense à toi, À fleur de toi, Don’t Let Me Down, Recovery, All Goes Wrong. T’as vu les titres? C’est pas la joie.

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