Society (France)

“Ce qu’un père normal ferait, je ne peux pas”

- TP

Xavier, 44 ans sans emploi Solesmes (Nord) “J ’ai dû arrêter l’école à 19 ans. Je venais d’avoir mon BEP-CAP mécanique auto, je suis reparti en Bac F1, en filière normale, et quand mon père est décédé, j’ai dû travailler. D’abord manoeuvre couvreur pendant un an, puis dans une entreprise de mon village, j’ai commencé comme homme à tout faire, j’ai balayé, j’ai meulé, j’ai nettoyé, et puis je suis monté, monté, j’ai appris le dessin industriel sur le tas. Je suis parti au service militaire. J’aurais pu être exempt, mais mon frère était engagé à Djibouti pour la France à l’époque donc je n’ai pas voulu, je me disais que c’était mon rôle d’y aller. Quand je suis revenu, au boulot, on m’a dit: ‘Si tu veux rester, il va falloir apprendre l’ordinateur.’ J’ai dit OK et j’ai appris. En 2010, j’ai changé de boutique, une plus petite structure, ils avaient une machine en interne et ils avaient besoin d’un dessinateu­r qui faisait aussi de la découpe. Je suis redevenu ouvrier, mais ça ne me dérangeait pas du tout. Ça tournait bien, et puis mon dos a lâché sur un chantier. Je portais une barrière, et crac! J’ai dû me faire opérer, c’était délicat.

Le 24 mars 2017, le chirurgien m’a dit: ‘Si vous

ne maigrissez pas, vous finirez handicapé.’ J’ai pleuré, puis je me suis inscrit dans une salle de sport, et j’ai perdu 37 kilos. Je n’ai pas perdu mon emploi directemen­t. J’étais en arrêt maladie depuis novembre 2016 et j’ai fait les démarches pour redémarrer début septembre 2017. J’allais mieux, j’avais maigri, je marchais, mais j’avais encore quelques douleurs. Quand je suis passé devant le médecin du travail, il m’a dit que j’étais apte à reprendre, mais exempt de charges lourdes. Je pouvais dessiner, programmer la machine, mais je ne pouvais plus prendre les pièces pour les meuler. Mon patron m’a dit qu’il n’avait pas de place pour moi dans les bureaux. Je ne lui en veux pas, c’est une société avec le couple à la direction, le gendre au bureau d’études, un beau-frère dans les ateliers, je comprends très bien. On se regardait et on n’osait pas le dire l’un l’autre: rupture convention­nelle. J’ai eu 5 800 euros d’indemnités, pour six ans d’ancienneté. Avec la nouvelle loi, j’aurais eu beaucoup moins.

Avant, j’avais un salaire net de 2 000 euros. Quand j’ai divorcé, je suis passé de 39 à 35 heures pour avoir du temps libre le

mercredi et voir mes enfants. Donc je gagnais 1 800 euros net. Avec mon entreprise, on faisait des chantiers à droite, à gauche, donc j’étais tout le temps volontaire pour partir parce que ça faisait des sous en plus. Au chômage, j’ai la chance de toucher 1 300 euros pendant deux ans, mais comme je suis au-dessus du RSA, je n’ai droit à aucune aide. Même aller aux Restos du coeur, j’ai posé la question à des amis qui sont bénévoles, ils m’ont dit que je n’y avais pas droit avec ma situation. Moi, je suis au chômage, mais je suis sûr qu’il y en a qui travaillen­t pour 1 300 euros net et qui sont dans le même cas. Trop pour avoir des aides, pas assez pour vivre. Alors oui, c’est vrai, je roule avec une Toyota Avensis que j’ai payée à crédit, je m’en sors, je suis propre sur moi, je parais clean. Je fais partie de ceux qui n’osent pas avouer leur faiblesse, mais en ce moment, c’est très dur.

Pour tous mes crédits en cours, les banques ne cherchent pas à comprendre. Tous les mois, ça tombe, ça tombe, ça tombe. Comment on fait? On regarde le ciel et on prie pour avoir les numéros du Loto. On remonte ses manches et on va bêcher le jardin d’un vieux. Je me suis toujours débrouillé pour avoir de l’argent. On ne va pas se cacher, on fait un peu d’arrangemen­ts entre voisins, comme on appelle ça. Et puis surtout, un ami m’a prêté de l’argent à taux zéro. Sans ça, je ne m’en sortirais pas. C’est ce qui me permet de boucler mes fins de mois, parce que après, il y a le gasoil, la nourriture, je fais gaffe à tout. Quand j’entends des personnes âgées qui ne peuvent pas mettre de chauffage, ça me fait mal au coeur, mais moi, quand je n’ai pas mes enfants, je ne le mets pas non plus. C’est con, mais c’est comme ça. Actuelleme­nt, on arrive à 16,5°C et ça va encore baisser, à 15, 14… Parce que par mois, c’est simple, il me faut 1 400 euros, et il me manque 120 euros rien que pour payer tous mes prélèvemen­ts: électricit­é, gaz, téléphone, assurance, crédit maison, etc.

L’important, ce sont les enfants. Je ne veux pas qu’on les montre du doigt en disant: ‘Ton père n’a pas de sous.’ C’est mon ex-femme qui a la garde, elle se démène aussi de son côté. Je suis dans l’incapacité de payer ma pension alimentair­e, et ce n’est pas l’envie qui me manque. Ce qu’un père normal ferait, je ne peux pas. Je ne peux même pas payer ce que je devrais vis-à-vis de la loi, et pour ça, mon ex-femme ne m’embête pas. Elle est conciliant­e. Là, il y a une semaine de vacances où je les ai eus, on est juste allés une fois au cinéma, et j’ai même sorti ma carte d’étudiant (il

vient de reprendre ses études, ndlr) pour avoir la réduction. C’est 2,50 euros en moins, c’est bête, mais c’est 2,50 euros. Avant, je faisais mon plein sans calculer, maintenant je mets 30 euros, et quand je n’en ai plus, j’y retourne, je remets 30. Pour les fêtes, j’ai voulu racheter une bouteille de whisky, j’ai pris la moins chère, alors qu’avant, on aimait bien le Jack Daniel’s au miel. On pouvait se faire plaisir, on ne peut plus. Ça reviendra. J’espère. Je fais tout pour. Pendant mon arrêt maladie, le sport en salle, c’était 40 euros par mois, mais j’avais encore un peu d’argent de côté. Là, je n’en ai plus. Après, je me suis mis à faire du vélo sur route avec un vieux vélo que j’avais parce que je me suis dit que ça coûterait moins cher. Je roulais tout seul, mais c’est chiant de rouler tout seul, donc un copain qui faisait un peu de VTT de temps en temps m’a dit de l’accompagne­r. J’ai vu son VTT, je me suis dit: ‘Ouais,

c’est classe.’ Un B’twin à 300 euros, mais je ne les avais même pas. Donc j’ai mis sur Facebook: ‘J’ai au moins 300 amis, si chacun me donne un euro, je pourrai m’acheter un vélo. Je vous ai tous déjà fait sourire au moins une fois.’ Il y en a qui m’ont répondu: ‘Ton message était tellement sympathiqu­e, tellement toi, voilà deux euros, cinq euros.’ Et un autre copain qui avait un VTT qui ne servait pas m’a dit: ‘Je te le donne.’ Donc j’ai récolté quasiment 250 euros, ça m’a permis de m’acheter un casque, une tenue. C’est grâce à la générosité. C’est dur… Ce n’est pas que je suis fier, mais… Bon, après j’ai toujours été proche des gens, donc on récolte ce qu’on sème aussi. Si j’avais été con avant, on ne m’aurait pas donné deux euros. Là, ils savaient que ce n’était pas pour aller au bistrot, il me fallait vraiment un vélo. Au mois de novembre, je suis allé faire mes courses, des bénévoles de la Croix-rouge m’ont tendu un sac parce que je suis une personne lambda à leurs yeux. J’ai rien dit, j’ai pris trois paquets de pâtes et trois boîtes de raviolis et je les leur ai donnés en sortant. Pourtant, avec ça, je pouvais faire six ou sept repas sans problème. Je suis dans le rouge tous les mois, mais je l’ai fait, parce qu’il faut garder la solidarité.

Pendant mon arrêt maladie, j’ai aussi passé un BTS. J’ai fait les démarches pour être accepté en licence, j’ai même écrit au ministère, à Madame Pénicaud. J’ai eu une réponse comme quoi c’était parti à la Direccte (la Direction des entreprise­s, de la concurrenc­e, de la consommati­on, du

travail et de l’emploi, ndlr) à Lille. Après, Xavier Bertrand s’en est mêlé, son attaché parlementa­ire m’a appelé. Et puis, à force d’avoir tapé à toutes les portes, je suis rentré. C’est une licence pro en un an: quatre mois d’école, cinq mois de stage, et ensuite j’ai ma soutenance à passer. Je suis un soutien des Gilets jaunes mais je ne vais pas sur les ronds-points. Ma formation est payée par la Région Hautsde-france, je ne veux pas dire que je profite de ça et d’un autre côté attaquer l’état, et donc à travers ça la Région. J’ai rebondi et j’avance. Là, je suis parti dans l’optique d’être formateur en atelier, avec l’envie de partager, de transmettr­e. Moi, ça ne me dérangerai­t pas d’aller dans le milieu carcéral pour faire de la formation. On peut déraper dans la vie, tout le monde a droit à une deuxième chance.”–

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