Society (France)

“On est obligés de regarder le prix de ce qu’on achète”

- – PB

Claudie, 62 ans garde d’enfants Moëlan-sur-mer (Finistère)

“J’ai d’abord été artisaneco­mmerçante pendant une bonne quinzaine d’années, je tenais la crêperie du Belon, jusqu’en 1999. Et ensuite j’ai eu un problème de santé assez important, j’ai été obligée de m’interrompr­e pendant trois ans. Puis, quand on m’a donné le feu vert pour reprendre une activité, j’ai fait assistante maternelle. Quinze ans comme ça, mais entre-temps, j’ai été mise en invalidité. Là, à 62 ans, j’avais le choix: avoir ma retraite à taux plein ou garder mon invalidité et continuer à travailler. Mais si je prends ma retraite, j’aurai moins de 700 euros, alors que ma pension d’invalidité est déjà de 780 euros, et après j’ai ma complément­aire… En fait, j’ai fait le calcul: en prenant ma retraite, je perdais 400 euros par mois. Bon, voilà, aujourd’hui, je continue de garder des enfants, ponctuelle­ment, après l’école.

Ça va moins bien depuis cinq, six ans. J’ai l’impression qu’il faut en faire beaucoup plus. Avant, on arrivait plus facilement à partir en vacances ou des choses comme ça. Mais aujourd’hui, même acheter une baguette… Tous les jours, je mets 1,20 euro pour acheter une baguette, ce qui fait plus de sept francs. J’ai du mal à parler en francs, je suis tout de suite passée aux euros, mais ça montre bien les choses. Même pour boire un café, c’est excessivem­ent cher par rapport à ce que c’était avant. Un peu moins d’esthéticie­nne, des sorties, des restaurant­s: c’est sur les loisirs qu’on se prive. Même la nourriture, on fait attention. On est obligés de regarder le prix de ce qu’on achète. Avant, je regardais moins, beaucoup moins. Il y a des articles à -50% quand ça arrive à terme ; nous, dans notre supermarch­é, ils nous les mettent de côté. On est pas mal à aller les

regarder, hein, et à les prendre, y a pas de honte. L’autre jour, le foie gras, alors qu’il va jusqu’au mois d’avril, ils le mettaient à -50, bah j’ai acheté le foie gras à -50. L’anniversai­re de mon mari est au mois de février, je me dis que j’aurai le foie gras, je l’aurai payé moins cher, ça permet de s’acheter autre chose à côté.

Autour de moi, dans ma génération, on ne se pose pas la question de savoir si quelqu’un a une nouvelle voiture ou une vieille. C’est plus dans les 40, 45 ans, il faut avoir le chien à la mode ou machin, on se crée des besoins pour donner l’impression… Nous, on reste avec nos vieilles voitures, ça ne nous gêne pas. Mais les plus jeunes, c’est trop la honte de ne pas avoir une nouvelle voiture quand on a 18 ans. Je connais une jeune femme, en couple, ses filles lui disent: ‘Maman, il fallait que tu travailles mieux à l’école, tu aurais encore du travail.’ Elle est dévalorisé­e parce qu’elle ne trouve pas de travail…

Ma retraite, je la voyais totalement différente. Je n’imaginais pas ça comme ça, je me voyais beaucoup plus tranquille, avec le schéma des gens qui se laissent vivre, partent en voyage, en se disant qu’on n’a pas de contrainte, avec de l’argent qui tombe tous les mois. Maintenant, autour de nous, on entend tout le monde dire qu’il faut faire attention, qu’on ne sait pas ce qui va nous tomber dessus, un peu de CSG, un peu de machin, on nous en prend un peu à droite, on va peut-être nous la redonner, on sait pas. C’est assez anxiogène. On ne sait pas de quoi demain sera fait donc on se dit qu’il faut en garder un peu sous la pédale. On se dit qu’un jour, on va peut-être tout nous supprimer et qu’il faudra s’autosuffir­e, on ne sait pas. C’est peut-être idiot. Peut-être que c’est un climat, une ambiance sociale… Il n’y a rien qui nous rassure dans les médias, aussi, il n’y a même pas une blague dans le journal. Le

Télégramme, Ouest-france, on lit les deux. BFM-TV, mon mari est souvent dessus. Qu’est-ce qui peut nous faire rêver dans l’actualité? Il y a eu les mariages en Angleterre, les trucs comme ça. Mais moi, ça ne me fait pas rêver.”

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France