Society (France)

“Les aides, on en a besoin, mais c’est ce qui nous a enlevé notre fierté”

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Stéphane, 39 ans agriculteu­r Labarthe (Tarn-et-garonne)

“Je suis principale­ment producteur de lait de vache, mais je produis aussi des fruits, des melons. Il y a des cultures de céréales sur l’exploitati­on, mais essentiell­ement pour les besoins du troupeau. Je fais ça depuis 2001. J’ai repris la ferme de mon père, qui l’avait lui même reprise de son père, qui l’avait lui même reprise de son père. Mon quotidien, c’est toujours le même, quasiment 365 jours par an. Réveil à 5h15, la première traite des 40 vaches de 5h45 à 8h30, là je casse la croûte parce qu’au réveil, je prends juste un café, puis il faut donner à manger au troupeau. Ensuite, ça dépend de la saison. L’été, on s’occupe des fruits: la récolte et la partie commercial­e. On va les vendre assez loin, à Lourdes ou à Pau, et ça, deux fois par semaine. Au printemps, ça va être les cultures. En ce moment, j’ai un projet de transforma­tion, un labo pour faire des yaourts, alors on fait des travaux. Et le soir, il y a la deuxième traite. Là, c’est l’hiver, c’est plus tranquille, je peux rentrer chez moi vers 19h30. L’été, ça peut aller jusqu’à 22h30.

À la base, je n’étais pas du tout parti pour être agriculteu­r, je me voyais bien prof de maths. Parce que j’aimais les maths, mais aussi pour éviter la galère qu’avaient connue mes parents. Et puis l’année du bac, j’ai eu comme un flash: je me suis rendu compte que j’aimais quand même bien ça, que j’y passais tout mon temps libre et, surtout, je me suis dit que le métier allait évoluer avec le reste de la société et que la technologi­e permettrai­t de réduire la pénibilité du travail. J’ai fait un BTS agricole, puis une formation technique sur le lait de six mois, puis des stages –parce que pour prétendre aux aides à l’installati­on, il faut faire des stages–, et enfin je me suis installé. Finalement, au niveau du travail, mon métier est effectivem­ent moins pénible que pour mes parents. Mais le truc que je n’avais pas calculé, c’est qu’on devrait se taper plus de traites, et tout le côté administra­tif. Pour pouvoir prétendre aux aides, il faut aussi répondre à tout un tas de critères, respecter beaucoup de normes, tenir les cahiers des charges, etc. C’est une partie assez lourde, qui nous incombe depuis la réforme de la PAC–EN 2003 pour le lait. Les aides, on en a besoin, mais c’est ce qui nous a enlevé notre fierté. Le fait de les toucher, déjà, on a le regard de la société qui n’est pas très bon, on est un peu montrés du doigt. Et devoir vendre à des prix très bas, puis, en contrepart­ie, toucher des aides, ça nous a enlevé un peu le goût du métier.

Financière­ment, c’est assez difficile. Je savais qu’on ne serait jamais les rois du monde mais honnêtemen­t, je pensais qu’on arriverait à gagner notre vie, quand même… Au début, c’était moyen, mais ça allait. Et puis, petit à petit, avec la crise du lait, en 2012-13, c’est devenu plus compliqué. En plus, c’est à cette même époque que mon père est parti à la retraite, et que j’ai dû prendre un salarié pour le remplacer. Forcément, ça a amputé sur mon revenu, parce que les factures tombent toujours et qu’il faut les honorer. Si je compte la vente des fruits en plus du lait, je gagne 800 euros par mois. Ma femme travaille aussi, elle est serveuse ; ça nous fait environ 1 800 euros en tout. Au moment de la crise, on était en dessous de notre coût de production. J’avais calculé que pour s’en sortir, il fallait que le lait soit à 400 euros la tonne, alors qu’il n’était qu’à 300. Aujourd’hui, techniquem­ent, on a beaucoup avancé et j’ai réussi à faire des économies sur certaines choses, donc je pense que si la tonne était à 350 euros, ça irait. Actuelleme­nt, elle est à 325. Alors mon but, c’est de réussir à faire en sorte que mon revenu ne soit plus dirigé par le prix mondial des produits. C’est pour ça que je cherche à les vendre en direct, faire du circuit court. Quand on vend ses produits en direct, on décide soimême du prix. Je pense que c’est ça qu’il faut faire avec une exploitati­on comme la mienne si on veut survivre. La partie transforma­tion, ça va apporter un peu plus de stabilité au niveau revenus aussi, je pense. Le premier objectif, c’est déjà d’arriver au SMIC. Je n’ai jamais eu la prétention de gagner 3 000 euros, mais j’espère que par la suite, je gagnerai entre 1 500 et 1 800 euros. Je sais où je vais. Je sais qu’on va se sortir de ça. Ça met juste un peu de temps à se mettre en place.

Je ne veux pas faire de misérabili­sme. Il y a des agriculteu­rs qui sont dans des positions bien plus difficiles. La situation est ce qu’elle est, mais j’entends qu’en ville, il y a des couples qui gagnent 3 000 euros et qui n’arrivent pas à s’en sortir. Et nous, avec la moitié, ça va. C’est assez bizarre parce que si je me base sur mon revenu horaire, je me placerais au niveau du Turc qui

va travailler en Pologne ; mais par rapport à notre train de vie, je me situerais au niveau d’un cadre. Enfin, quand je dis ‘train de vie’, je ne parle pas de partir en vacances au ski ; je dis ça dans le sens où on a une maison, on n’a pas de problème pour se chauffer, les enfants font des activités comme tous leurs copains, on mange très sainement parce qu’on n’a que des bons produits qu’on trouve à droite, à gauche, chez les voisins ou directemen­t sur la ferme.

Le seul truc, c’est que j’ai zéro temps libre. Les vacances, ça fait un petit moment qu’on n’en a pas pris. Ces deux dernières années, c’est quasiment zéro. Juste quelques jours parfois, pour aller voir la famille. Au quotidien, c’est difficile. La fatigue est importante. Le plus compliqué, c’est de ne pas avoir de vie sociale, de ne pas assez voir ma femme et mes enfants. L’hiver, comme je rentre à l’heure du dîner, je peux un peu plus profiter d’eux. Mais l’été, il m’arrive de ne pas les voir pendant deux, trois jours, alors qu’on vit dans la même maison. Il y a trois ans, je me souviens, je ne les ai pas vus pendant une semaine parce que je partais le matin, ils dormaient, et je rentrais le soir, ils étaient couchés. Un jour, j’en ai presque pleuré. Le dernier s’est réveillé la nuit, c’est moi qui me suis levé, et il a parlé. Je ne savais pas qu’il parlait.”

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