Society (France)

Et si la planète se vidait?

Alors que L’ONU annonce que la population mondiale augmente et va bientôt atteindre onze milliards d’âmes, les Canadiens Darrell Bricker et John Ibbitson prédisent l’inverse. L’un travaille à Ipsos, l’autre est politologu­e. Ils ne sont pas scientifiq­ues m

- – AMBRE CHALUMEAU

À contre-courant des prédiction­s de L’ONU, c’est la thèse soutenue par deux Canadiens. On leur a demandé de s’expliquer.

Les Nations unies prévoient que la population mondiale va augmenter spectacula­irement, avec beaucoup de conséquenc­es négatives. Vous prédisez l’inverse. Quels sont donc les éléments que vous disposez pour avancer cela, et que L’ONU n’a pas? On ne prédit pas des choses différente­s. En réalité, on prédit juste que la population ne va pas augmenter autant que les Nations unies le disent, mais qu’elle va plutôt atteindre huit milliards que onze, et qu’elle va commencer à décliner plus vite qu’elles ne le pensent. On ne propose donc pas un schéma radicaleme­nt différent. On rappelle juste qu’il y a plein d’excellents démographe­s qui ne sont pas d’accord avec L’ONU. Ce n’est pas comme le réchauffem­ent climatique, où les scientifiq­ues sont tous sur la même longueur d’onde. Là, il y a des débats. Le modèle de L’ONU prend en compte trois éléments: le nombre de gens qui meurent, qui se déplacent et qui naissent. Mais il existe un élément qu’ils ne considèren­t pas du tout, et qui pour nous est essentiel: la culture. Le recul de la religion, la génération des millennial­s qui fait moins l’amour que ses aînés, les nouveaux schémas familiaux… La culture est très, très importante. Et le changement culturel est impulsé par deux forces: l’urbanisati­on et les changement­s dans la vie des femmes. Si vous voulez trouver des endroits avec un taux de natalité élevé, cherchez ceux avec des taux de fréquentat­ion de l’église et de pauvreté importants, et un système patriarcal. Mais à partir du moment où l’on remet ces choses-là en question, la première conséquenc­e, c’est que les femmes prennent le contrôle de leur vie. Et L’ONU ne prend pas ça en compte. Nous, si.

Selon vous, les prédiction­s de L’ONU sont aussi trop pessimiste­s par rapport aux pays en développem­ent, l’afrique notamment… La transition dont on parle –une baisse de la natalité et une population vieillissa­nte–, les pays européens la connaissen­t depuis un siècle et demi. Mais il n’a fallu qu’une génération pour qu’elle s’effectue en Amérique du Sud. En Asie, pareil. Et dans les pays en développem­ent, elle a lieu encore plus rapidement. Récemment, j’ai vu une étude qui montre qu’au Nigeria, 60% des gens ont un smartphone. Et c’est la même chose dans les bidonville­s indiens. Ils ont toute l’histoire de l’humanité, toutes les informatio­ns en main.

Et ça, ça fait baisser la natalité? Oui. Une fois encore, la culture compte. L’histoire, l’informatio­n, mais aussi l’accès aux cultures étrangères, aux films occidentau­x, par exemple, qui montrent des modèles différents à des sociétés dans lesquelles il y a parfois des mariages arrangés, de la polygamie… Au Brésil, l’un des éléments qui a le plus fait baisser le taux de natalité –qui a diminué de 50% entre 1970 et 1990–, c’est l’accès croissant à l’électricit­é, puis à la télévision, ce qui a donné lieu à l’essor des télénovela­s. Dans ces séries, les femmes ne vivent pas la vie que leurs mères ont vécue, mais une vie qui devient un nouvel exemple. Dans notre livre, le démographe Wolfgang Lutz a une formule qui résume parfaiteme­nt cette idée: ‘L’organe reproducte­ur principal, c’est le cerveau.’

Donc, la population va baisser. Avec quels effets? Dans le livre, on le dit clairement: il va y avoir du bon et du mauvais. Le bon côté, c’est que tous les effets négatifs de la surpopulat­ion vont décliner. Ça va être bénéfique pour l’environnem­ent, le réchauffem­ent climatique, les océans, etc. Le mauvais côté va concerner la croissance économique. Si vous avez une économie qui repose sur la consommati­on et qu’il y a moins de consommate­urs, il faut s’adapter. Par exemple, réaliser que la vie d’un consommate­ur ne s’arrête pas à ses 40 ans. Tout le monde est obsédé par les jeunes, les millennial­s, mais ils ne sont pas si nombreux et n’ont pas tant d’argent que ça. Il va donc falloir que l’on se concentre sur les vieux. Si la population augmente aujourd’hui, ce n’est pas parce que l’on ajoute des humains, mais parce que l’on n’en soustrait pas, que les personnes âgées meurent plus tard. En Chine, dans les années 50, on vivait en moyenne jusqu’à 40 ans. Aujourd’hui, on y vit jusqu’à 80 ans. De même, le Japon perd 450 000 personnes par an. La solitude y est hallucinan­te, parce que tout ce qui reste au Japon, ce sont des personnes âgées. Conclusion: il faut réaliser leur potentiel, repenser leur utilité et les inviter à contribuer. En tout cas, il faut comprendre que les gens vivent plus longtemps, et il faut que l’on ait une réflexion là-dessus.

“Il faut comprendre que les gens vivent plus longtemps qu’avant, et il faut que l’on ait une réflexion là-dessus”

C’est-à-dire? Regardez les infrastruc­tures des villes, des lieux de vie et de travail. Si demain, il y a une majorité de personnes âgées avec des problèmes de mobilité, estce que l’important, c’est vraiment la table de ping-pong dans l’espace de coworking, l’open space et l’atelier d’escalade de team building? Comment les vieux vontils faire ça? Il va falloir penser à eux, pas qu’aux jeunes.

Si on suit votre idée, c’est peut-être même les standards de beauté qui vont changer. Demain, on célébrera les vieux et non pas les jeunes? Pourquoi pas? Le monde commercial est obsédé par les jeunes, mais ce n’est pas eux qui ont du pouvoir d’achat. Il va falloir prendre ça en compte. D’ailleurs, la cible marketing est déjà en train de changer. L’évènement de musique le plus important jusqu’ici, dans le monde, c’était Coachella. Mais là, il y a eu un festival qui s’appelle Desert Trip, surnommé ‘Oldchella’, qui a fait deux fois plus d’argent. Au lieu d’être debout dans le désert, les participan­ts avaient des sièges numérotés, des sanitaires décents…

Comment cela va-t-il finir? L’un des défis majeurs auquel on va devoir faire face est un conflit génération­nel. Les population­s âgées coûtent cher, on ne va pas pouvoir se permettre d’envoyer des gens à la retraite à 65 ans, donc ils vont garder leur emploi et rester dans leurs biens immobilier­s plus longtemps, la société va s’adapter à eux… Vous voyez d’où le conflit va arriver.

 ??  ?? Chieko Ito, 91 ans, attend son bus. Au Japon, la croissance économique des dernières décennies s’est accompagné­e du vieillisse­ment de la population.
Chieko Ito, 91 ans, attend son bus. Au Japon, la croissance économique des dernières décennies s’est accompagné­e du vieillisse­ment de la population.
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