Moon & fils
Les héritiers du créateur de la fameuse secte Moon se sont déchirés entre eux, et le fils en a profité pour lancer sa propre boutique, l’église du sanctuaire. Un truc flippant avec des gens qui prient et des flingues partout. Bigre!
Nichée dans les collines de la Pennsylvanie rurale, l’église du sanctuaire, une branche dissidente de la secte Moon fondée par deux des fils du feu révérend, se prépare à la fin du monde en plaçant les entraînements paramilitaires et le deuxième amendement de la Constitution américaine au centre de sa doctrine religieuse. Le photographe Bryan Anselm est parti à leur rencontre.
Àl’origine de la scission, une trame aux contours shakespeariens: un père fondateur de la dynastie récemment disparu (le révérend Sun Myung Moon, décédé en 2012), un fils promis à la succession du trône (Hyung Jin “Sean” Moon) écarté au dernier moment par une mère (Hak Ja Han) qui décide de s’attribuer les pleins pouvoirs, laquelle sera reniée par ce même fils qui, avec l’appui de l’un de ses frères aînés (Kook Jin “Justin” Moon, un fabricant d’armes), s’en ira reprendre sa couronne en fondant un ordre nouveau aux Étatsunis, et tuera symboliquement la mère en remariant l’esprit de son père avec la première membre historique de l’église de l’unification (la dénomination officielle de la secte Moon). Tout cela, oui. Mais avec un nombre de disciples qui se compte en centaines de milliers, une fortune familiale estimée à plusieurs milliards de dollars et même un organe de presse, le Washington Times, lancé par le révérend au début des années 80. La saga de la célèbre secte Moon, fondée en 1954 en Corée du Sud, est une affaire à prendre au sérieux.
La nouvelle proposition du fiston, devenu le pasteur Sean, attirerait aujourd’hui les membres les plus déséquilibrés de l’organisation initiale, comme le laisse à penser une enquête parue dans le Washington Post l’an dernier. Laquelle montrait un propos plus ouvertement politique et radical que l’église de papa Moon. “Le pasteur Sean a coutume de dire à ses fidèles que le Parti démocrate est devenu le nouveau Parti communiste, que George Soros est l’antéchrist et un collaborateur nazi, le pape François un démon socialiste, les médias américains officiels des incubateurs de fake news et que le centralisme est en train de détruire l’humanité”, explique Bryan Anselm, qui a photographié une cérémonie de mariage collective à l’église du sanctuaire, également connue sous le nom plus farfelu de “ministère de la Tige de fer”. La vision de cette assemblée d’adeptes cajolant des fusils d’assaut AR-15 est en effet le fruit d’une interprétation pour le moins saugrenue d’un passage du livre de la Révélation par le pasteur Sean. Selon lui, l’évocation d’une tige de fer avec laquelle le Christ reviendrait régner sur Terre serait une approbation biblique de l’usage des armes à feu. Une seconde visite a permis à Bryan Anselm d’appréhender au plus près le quotidien de ses membres. Sous le décorum loufoque aux allures de jeu de rôle hermétique, l’agenda se montre en parfait accord avec l’actuelle ascension au pouvoir des extrêmes droites occidentales. “La plupart d’entre eux se sont montrés plutôt ouverts à notre présence, mais ont tenu des propos anti-médias très agressifs. Leurs principales sources d’information sont Breitbart, Infowars ou Drudge Report. Ils sont aussi anti-gays, anti-immigration et anti-avortement.” Des positions relayées par le pasteur lui-même dans son bulletin vidéo quotidien, The King’s Report, long de trois heures et couvrant un éventail allant de la revue de presse commentée à la lecture d’extraits de la Constitution des États-unis de Cheon Il Guk. Dans cette Constitution revisitée à la sauce Moon, les amendements éradiquent toute trace de fonctionnement démocratique: le président sera élu par la Chambre des représentants, le roi choisira les juges de la Cour suprême, et disparaîtront, entre autres, la banque centrale, la police nationale, la sécurité sociale ou encore l’agence américaine de protection de l’environnement. Les plus jeunes membres, âgés d’une vingtaine d’années, font eux l’objet d’entraînements intensifs aux arts martiaux et aux techniques militaires sous la supervision de Sean –lui-même ceinture marron de jujitsu brésilien–, et forment la milice personnelle de l’église, appelée “police de la paix”, dont le but officiel est l’autodéfense. Si le nombre actuel de ses adeptes reste encore modeste (à ce jour plusieurs centaines) et malgré une surveillance très rapprochée de la police, l’église du sanctuaire pourrait profiter du climat politique ambiant pour opérer un élargissement potentiellement de grande envergure. “Ils semblent ouverts à l’idée de recruter n’importe qui, il n’y a ni test d’entrée ni rites d’initiation, témoigne Bryan Anselm. Je vois ce groupe comme un prolongement de ce qui se passe actuellement dans le pays, et je pense qu’il va continuer à se développer si la rhétorique que l’on entend tous les jours ne change pas.”
Le port de couronne et de diadème symbolise un principe fondateur de l’église: au royaume de Dieu, chaque personne est un roi et une reine en soi –à l’exception de Sean qui, selon la bonne réalisation des plans divins, deviendra pour sa part le roi des États-unis.