Society (France)

Nathalie Perrin-gilbert, l’anti-gérard Collomb

- PAR BARNABÉ BINCTIN ET MAXIME JACOB, À LYON PHOTO: RENAUD BOUCHEZ POUR SOCIETY

Pourtant son ancienne collaborat­rice, la maire du Ier arrondisse­ment de Lyon n’a pas digéré le retour de Collomb à l’hôtel de ville. C’est pourquoi elle entend bien lui prendre sa place. Et réveiller la gauche par la même occasion.

Après avoir été l’attachée de presse de Gérard Collomb, elle est devenue sa meilleure ennemie, son opposante de gauche et celle qui entend bien lui ravir la mairie aux prochaines élections municipale­s. Nathalie Perrin-gilbert, maire du Ier arrondisse­ment de Lyon, enfin une figure de gauche enthousias­mante en France? On est allé voir.

Nichée en plein milieu des pentes de la Croix-rousse, la cour des Voraces porte toujours aussi bien son nom. Envahis par les punaises de lit, une quinzaine d’habitants ont sollicité une réunion avec les autorités publiques en cette matinée glaciale du jeudi 13 décembre. Les bestioles auraient colonisé, avec rats et cafards, les six étages de cet impression­nant immeuble, dont les escaliers et les coursives extérieurs sont l’un des emblèmes des traboules lyonnaises. Mohamed vit au 3e étage depuis 47 ans et se désole pour sa part de l’état de l’ascenseur: “Il marche une semaine sur deux.” Tandis que les réclamatio­ns s’accumulent, le ton monte dans la cour, régulièrem­ent traversée par des passants qui l’utilisent comme raccourci. C’est d’abord un étudiant chargé d’un poireau et d’une brique de lait d’avoine bio qui se faufile entre les locataires excédés. Puis, c’est un groupe de voyageurs italiens qui déferle dans un vacarme assourdiss­ant. Les habitants ne relèvent même pas: “Les touristes, c’est tous les jours.” Inscrit au patrimoine mondial de L’UNESCO, l’endroit est la mémoire vivante des canuts, ces tisserands qui impulsèren­t les premières révoltes ouvrières, et auxquels une petite plaque en granit rend toujours hommage: “1831, dans la cour des Voraces, ruche du travail de la soie, les canuts luttaient pour leurs salaires, leurs conditions de vie et leur dignité.” Près de deux siècles plus tard, le topo n’a manifestem­ent pas beaucoup changé. Et c’est bien ce qui exaspère Nathalie Perrin-gilbert, qui écoute attentivem­ent les doléances des locataires avant de faire soudain résonner sa voix: “Maintenant, il faut trouver des solutions, cela ne peut plus durer!” Le ton ferme, elle se tourne directemen­t vers le directeur de l’associatio­n en charge de cet habitat social proposant l’un des loyers les moins chers de Lyon. Pris de court, ce dernier promet d’apporter rapidement des réponses. L’interpella­tion a le mérite de rassurer une partie du public. “Merci beaucoup, vous êtes gentille”, la félicite Mohamed. Réponse: “Je ne suis pas gentille, je fais mon métier.”

Nathalie Perrin-gilbert est maire du Ier arrondisse­ment de Lyon, le moins peuplé (30 000 habitants) mais aussi le plus dense de la ville. Circonscri­t à la célèbre colline aux couleurs pastel, coincé entre Saône et Rhône, il se nourrit de tout un imaginaire révolution­naire: coopérativ­es au xixe siècle, résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, expérience­s post-soixante-huitardes, radios pirates. Aujourd’hui encore, le Ier arrondisse­ment continue d’incarner cette sorte de petit village d’astérix, mixte socialemen­t, à la fois populaire, branché et libertaire. Une histoire dont Nathalie Perrin-gilbert se fait volontiers l’héritière. L’envahisseu­r romain, lui, est bien connu: Gérard Collomb qui, après un intermède de seize mois du côté de la place Beauvau, vient de revenir sur ses terres, à la mairie de Lyon, qu’il dirigeait sans discontinu­er depuis 2001. À l’occasion de sa ré-investitur­e en conseil municipal, le 5 novembre 2018, Nathalie Perrin-gilbert n’a pas manqué l’occasion de tancer “la comédie du pouvoir et le simulacre de démocratie” que lui inspirait ce règne, listant devant l’ancien ministre de l’intérieur les “15 000 raisons de ne pas revenir à la tête de notre ville”. Avant d’ajouter: “Quinze mille, c’est beaucoup, mais cela représente le nombre de jours écoulés depuis votre première élection au conseil municipal, le 25 mars 1977.” Après quoi elle a énuméré, dans une longue liste à la Prévert, toutes les petites pierres qui ont fini par constituer ce qu’à Lyon, on appelle volontiers le “système Collomb”. Avant de citer Woody Allen: “L’éternité, c’est long, surtout vers la fin.” Postée sur Facebook, la vidéo du discours fait vite le buzz, et pas uniquement à Lyon. Un million et demi de vues et deux semaines plus tard, l’élue en profitait pour officialis­er sa candidatur­e. Aux prochaines élections municipale­s de 2020, elle ne briguera pas de nouveau mandat à la mairie du Ier arrondisse­ment. Cette fois, c’est le “Château” qu’elle visera, autrement dit l’hôtel de ville. Elle le justifie sans détour, devant un thé fumant: “Je n’ai pas envie de devenir une caricature de ‘la maire du village’. Je veux gagner Lyon, je veux en faire une ville de gauche.” Pour ce faire, Nathalie Perringilb­ert mènera campagne avec La France insoumise. Un choix fort pour celle qui n’est plus encartée dans aucun parti national depuis son exclusion du PS il y a cinq ans, et qui n’a jamais directemen­t gravité dans l’univers du Front de gauche. Mais aussi un choix qui divise. “Son discours était très bon, très différent par rapport à ses prises de parole habituelle­s, où elle est plus agressive. Mais là, il y avait les télés et Nathalie Perrin-gilbert est une bonne communican­te. Elle a pointé une fin de cycle mais ce qui est intéressan­t, c’est que cela la concerne aussi. En fait, on pourrait lui retourner la plupart des critiques qu’elle formule à l’encontre de Gérard Collomb”, estime ainsi Thomas Dossus, secrétaire départemen­tal D’EELV.

Déliquesce­nce intellectu­elle

Il est vrai que Nathalie Perrin-gilbert n’est pas une débutante. Agée de 47 ans, elle est élue depuis qu’elle en a 23, sans discontinu­er non plus. Après avoir été conseillèr­e municipale aux sports en 1995, elle est devenue maire du Ier arrondisse­ment en 2001, à l’âge

de 29 ans. Deux premières victoires électorale­s qu’elle doit en grande partie à… Gérard Collomb, qui l’a recrutée à la sortie de ses études d’info-com. À défaut de la carrière de journalist­e dont elle rêvait alors, elle deviendra son attachée de presse. Le compagnonn­age dure quelques années, pendant lesquelles elle apprend à apprécier la grande culture du baron lyonnais, capable de citer Sénèque en latin. Mais la succession des mandats voit s’effriter la réplique de gauche plurielle qui a porté Gérard Collomb au pouvoir. Une première rupture intervient en 2008, à l’issue d’une réélection gagnée dès le premier tour. Gérard Collomb nomme au poste de septième adjoint un certain Richard Brumm, avocat d’affaires et sarkozyste affiché, resté depuis un fidèle parmi les fidèles. Le coup de barre à droite passe mal, et les relations se tendent, jusqu’à se rompre définitive­ment lors des législativ­es de 2012. Alors secrétaire nationale du logement au Parti socialiste, “NPG” soutient l’écologiste Philippe Meirieu, le candidat officiel du PS en vertu de l’accord passé avec EELV. Mais on n’impose pas son candidat à Gérard Collomb, même à Solférino: le maire-sénateur de Lyon s’affranchit de la consigne et envoie Thierry Braillard, futur secrétaire d’état, dans l’arène. “C’était d’une violence rare”, se souvient Nathalie Perrin-gilbert qui, dégoûtée, pense à quitter la politique et s’inscrit en master de philosophi­e. Une manière de lutter contre “la déliquesce­nce intellectu­elle” qu’elle observe alors au PS. Sur les bancs de la fac, elle redécouvre les questions d’éthique. “J’essayais de comprendre comment concilier stratégie politique et valeurs morales. La fin justifiet-elle les moyens? Doit-on forcément avoir les mains sales pour faire de la politique?” Elle se prend d’amour pour le philosophe Maurice Merleau-ponty. “Mes copines me demandaien­t ‘On sort ce soir?’ et je répondais ‘Non, je suis avec Maurice!’ Ça a duré six mois avec Maurice.” La pause est de courte durée, mais elle est salvatrice. Quand elle réinvestit l’arène politique lyonnaise, cette mère divorcée le fait en occupant un collège vacant avec des parents d’élèves réclamant l’hébergemen­t de familles roms, en décembre 2013. Un engagement qui lui vaudra un passage en garde à vue: la guerre avec Collomb est définitive­ment déclarée.

Ce jeudi 13 décembre, la journée marathon continue pour la maire du Ier arrondisse­ment. Dans son bureau au deuxième étage de la mairie, elle reçoit un adolescent guinéen, 14 ans, arrivé seul en France depuis l’espagne. Il est venu lui apporter un document attestant de son statut de mineur. “Ce sera utile à son avocat”, explique-t-elle. Dans quelques jours, un juge décidera du placement du jeune garçon dans un foyer. En attendant, la mairie d’arrondisse­ment paie des nuits d’hôtel quand les associatif­s ne peuvent pas l’héberger. Nathalie Perrin-gilbert rencontre toutes les semaines des personnes venues chercher l’asile en France. Et leur glisse parfois une enveloppe contenant de l’argent, “en cas de besoin”. Une pratique que justifie l’édile: “À chaque mariage célébré en mairie, on récolte une petite cagnotte auprès des familles. On a fait le choix de l’attribuer à l’aide aux demandeurs d’asile.” Une manière, aussi, de prendre le contrepied de son meilleur ennemi, père de la loi asile et immigratio­n. Et une façon, surtout, de penser son rôle de maire hors du cadre strictemen­t règlementa­ire. Avec un budget de 300 000 euros par an, les moyens sont forcément limités. “J’ai l’impression de manquer de pouvoir. Pour les habitants, je suis la maire, donc leur recours, même si la réalité est plus compliquée. Mais c’est très rare que je dise que ça ne me regarde pas, j’essaie toujours d’agir”, explique-t-elle. Elle file ensuite voir les représenta­nts Sud et CGT des sapeurs-pompiers du Rhône, en sous-effectif permanent et en conflit avec Gérard Collomb. Devant la maire d’arrondisse­ment, les pompiers affichent leur espoir: que cette dernière fasse remonter leur colère auprès du préfet et court-circuite la métropole. L’élue s’efforce de rester concentrée, malgré la fatigue. Elle est dans son rôle de prédilecti­on, celui de servir de levier entre le terrain et le pouvoir décisionne­l, incarner le combat et enrayer le système Collomb. Une image qui pourrait un jour la desservir, cependant, comme si cette obsession à jouer l’opposition frontale au maire pouvait finir par la dévorer. D’ailleurs, à Lyon, beaucoup racontent que son destin est intimement lié à celui de son meilleur ennemi. “Elle ne vit qu’à travers Gérard Collomb, c’est son unique cheval de bataille. Mais le jour où il disparaîtr­a…” avance Franck Bonnéric, un historique des pentes. Après l’avoir soutenue, il a fini par prendre ses distances. Il n’est pas le seul: en octobre 2017, Marwan Martelli, jeune adjoint de 23 ans, claquait la porte de l’exécutif du Ier arrondisse­ment en déplorant la pratique quotidienn­e du pouvoir –“Une maire qui concentre les pouvoirs, qui agit de façon autoritair­e et antidémocr­atique envers ses équipes, qui n’hésite pas à rabaisser ses collaborat­eurs pour asseoir son pouvoir.” Il sera suivi, quelques mois plus tard, par d’autres adjoints. En charge de la politique culturelle et de l’économie sociale et solidaire, Corinne Soulanet raconte la détériorat­ion des relations après avoir rejoint l’équipe municipale pour la première fois en 2014: “Au début, c’était formidable, il y avait une vraie politique de terrain. Et puis, Nathalie a commencé

“Elle ne vit qu’à travers Gérard Collomb, c’est son unique cheval de bataille. Mais le jour où il disparaîtr­a…” Franck Bonnéric, ancien soutien

à prendre toutes les décisions sans consulter les élus. On a compris que pour elle, on était simplement un moyen d’arriver à ses fins personnell­es…” Et la tension n’est pas prête de retomber. Pour avoir parlé de “harcèlemen­t et humiliatio­ns”, un autre ancien adjoint, Jean-pierre Bouchard, a été condamné pour diffamatio­n à la suite d’une pleinte de Perrin-gilbert.

Stratégie risquée

Isolée par ses plus anciens alliés sur son propre territoire, Nathalie Perrin-gilbert peut-elle trouver un deuxième souffle grâce à ses nouveaux camarades de La France insoumise? Mélenchon avait certes atteint 23% à Lyon au premier tour de la dernière présidenti­elle, culminant même à 35% dans le Ier arrondisse­ment. Mais la stratégie comporte des risques. “Cette candidatur­e la radicalise un peu plus encore, alors que le Ier arrondisse­ment connaît une évolution sociologiq­ue assez particuliè­re, avec un très haut pouvoir d’achat et un immobilier qui croît fortement. C’est un électorat qui est moins enclin au conflit d’opposition systématiq­ue”, analyse un observateu­r avisé de la vie politique lyonnaise, pointant la gentrifica­tion à l’oeuvre dans le quartier. De fait, le prix du mètre carré dans le Ier arrondisse­ment a connu une hausse de 22% sur la seule année 2017, selon une étude publiée par Seloger.com en mai 2018. Nathalie Perrin-gilbert rêvait sa colline historique­ment militante en modèle pour la ville. Voici qu’elle fait face à un processus inverse: une normalisat­ion des pentes, un embourgeoi­sement qui fondrait cette ancienne zone d’éducation prioritair­e dans le reste de la grande “Collombie”. Arrive-t-elle trop tard? Mimmo Pucciarell­i, mémoire vivante du Ier arrondisse­ment et activiste, n’est pas si pessimiste. À 64 ans, celui qui a traversé les Alpes pour fuir le service militaire au début des années 70, tient le Cedrats, Centre de documentat­ion et de recherche sur les alternativ­es sociales. “La gentrifica­tion, ce n’est pas spécifique au quartier, c’est un phénomène global, relativise­t-il. Nathalie Perrin-gilbert maintient ici un lien nécessaire entre le quartier et les acteurs institutio­nnels. Cet équilibre fait que cet endroit, face au rythme des grandes métropoles urbaines, continue de représente­r une véritable alternativ­e au quotidien.” De quoi nourrir, pour quelque temps encore, la politique de la femme de gauche. Et les punaises de lit.

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