Society (France)

CHAMBRE À PART

Près d’un Français en couple sur deux reconnaît que dormir avec sa moitié perturbe son sommeil. Alors, pourquoi ne pas le faire dans des lits séparés? Ceux qui ont tenté l’expérience témoignent.

- – HC

“Quand je suis sortie de ma nouvelle chambre un dimanche matin, trébuchant sur Ken et Barbie, qui eux partagent visiblemen­t le même lit, il a fallu expliquer à ma fille de 6 ans pourquoi papa et maman ne dormaient plus dans la même chambre!” Ce dimanche-là date d’il y a quinze ans. À l’époque, Corinne et Philippe sont jeunes quadra et vivent à Toulouse. “Je suis une insomniaqu­e chronique et après la ménopause, c’est devenu encore pire, continue Corinne. Sueur, irritabili­té, lecture nocturne, c’était devenu impossible de dormir à deux sans réveiller l’autre. Alors, une nuit sur deux, je finissais sur le canapé.” Puis, l’aînée de leurs trois filles part à la fac. “Une chambre s’est alors libérée, et mon mari a accepté d’y migrer. Au début, il était un peu piqué dans sa virilité, mais on en a longuement parlé entre nous.” Et tout est rentré dans l’ordre. Le couple assure désormais vivre “sans cernes et sans mauvaise humeur”. La chambre de Corinne est un antre de tranquilli­té parfumé où résonne France Inter. Celle de son mari disparaît sous les magazines de moto et les clubs de golf, ce qui ne l’empêche absolument pas “d’y faire la grasse matinée tranquille”. Comme Corinne et Philippe, ils sont 8% à avoir choisi de faire chambre à part. D’après une étude de l’institut national du sommeil et de la vigilance de 2017, 43% des Français admettent en effet que dormir avec un autre adulte a des conséquenc­es négatives sur leur sommeil. Ils se plaignent principale­ment des mouvements de l’autre, à 58%, puis de ses ronflement­s, à 50%. Pour 10%, la présence de l’être aimé donne trop chaud, et pour 13%, leur partenaire les réveille la nuit ou le matin. Pour le dire avec des mots: l’autre est encombrant. “Quand on dort, on fait en moyenne 50 mouvements importants dans la nuit, précise Joëlle Adrien, neurobiolo­giste et directrice de recherche à l’inserm. Forcément, si on dort à deux, on n’est pas parfaiteme­nt synchrones et les mouvements de l’un réveillent l’autre. C’est inévitable.” La première solution envisagée est souvent un lit plus grand. Près de 45% des Français posséderai­ent ainsi, aujourd’hui, un lit de 160 centimètre­s ou plus. Mais il y a des choses que même un lit king size de deux mètres ne peut arranger. Julien, 26 ans, et son fiancé, Théo, 29 ans, sont en couple depuis cinq ans. Ils font chambre à part depuis cinq mois. “Théo est gérant de trois restaurant­s, il ne rentre jamais à la maison avant minuit ou 1h. C’est justement le moment où je m’endors et donc où il me réveille. De mon côté, j’ai commencé un nouveau travail pour lequel je dois me lever à 7h. C’est devenu dur.” Aujourd’hui, Julien dort “vraiment mieux” tout seul, mais il a bien peur de s’y être habitué. “Je crois que Théo le vit assez mal, admet le jeune homme. Il a l’impression que ça nous éloigne. C’est vrai que l’on discutait davantage quand je n’arrivais pas à dormir. L’intimité en a pris un peu un coup.” Dans une société où elle est censée traduire le bien-être du couple, admettre que l’on ne dort plus ensemble n’est pas chose aisée. “Je sais que Théo a beaucoup de mal à l’assumer et à en parler avec ses potes. Il a peur que les gens pensent que l’on est en crise, alors que l’on s’aime et que tout va bien.” D’après le sociologue Jean-claude Kaufmann, auteur d’un lit pour deux, 8% de couples supplément­aires aimeraient bien tenter l’expérience du “chacun son lit”, sans oser passer le cap. “Nous sommes déchirés entre deux attentes contradict­oires, écrit-il. Le grand rêve de l’amour partagé, et l’aspiration au bien-être personnel. Dans le lit, tout désir de distance devient difficile à exprimer. Car depuis le Moyen Âge, il a été instauré comme le symbole de l’union conjugale.” Ce symbole doit-il disparaîtr­e? Pour Joëlle Adrien, qui voit des patients en manque de sommeil toute la journée, le débat est tranché: “Il faut mettre fin à l’idée que l’on s’aime mieux si on dort ensemble. Le sommeil, c’est quelque chose d’individuel, de personnel, et si on ne s’accorde pas pour dormir, il vaut mieux préserver son sommeil que croire que l’on va préserver son couple.” D’autant que des études ont montré que la relation était parfois détériorée par les problèmes de sommeil. En France, 40% des personnes en couple estimeraie­nt que le manque de sommeil a un impact négatif sur leur vie sexuelle et 39% sur leur vie de couple. “Souvent, celui ou celle qui dort mal en veut à l’autre, reprend Joëlle Adrien. En réalité, bien dormir améliore la relation de couple.”

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