Society (France)

test comparatif LES GROS SCOTCHS

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Le déménageme­nt, serait, selon des études effectuées par des gens vêtus d'une blouse blanche avec stylos dans la poche avant, l’un des événements les plus traumatiqu­es de la vie. Important, donc, d’être armé(e) du bon scotch pour éviter le stress post-traumatiqu­e. Si le bébé de chez 3M peut sembler l’allié idéal avec ses pictogramm­es d’emballage –un haut-parleur barré (silencieux!), un poids de quinze kilos (solide!) et deux mains qui font un truc abscons (une autre qualité!)–, une mention à l’intérieur de ce rouleau nous inquiète: “pressure sensitive tape”. Le monde du déménageme­nt est une jungle. A-t-on envie de s’y confronter avec un scotch sensible, doté du mental de Thiago Silva? De devoir constammen­t le rassurer d’un “ça va aller” ou d’un “t’as largement le niveau pour ce carton de livres”? Non. D’autant que sa tranche colle furieuseme­nt aux doigts.

C’est d’abord une couleur: un noir luisant, un noir qui crie “profession­nalisme”, “instinct” et “discrétion” –un noir d’anesthésis­te. C’est ensuite une adhérence, vorace, prête à vivre une histoire avec une bâche en plastique transparen­te ou un sac poubelle triple épaisseur. Bon point également, les tronçons de ce gaffer se coupent net et droit sans recourir à la force ou à l’éparpillem­ent, et Dieu sait que vous détestez quand les choses ne se passent pas comme prévu... Vous l’avez compris, cette toile de réparation a tout pour devenir le compagnon idéal de votre fin de nuit, n’était-ce ce sinistre bruit de déroulage: un feulement rauque (entre l’aboiement et le drap déchiré) qui traverse les cloisons et qui vous force à travailler du garage, à l’unique condition que le coffre de la voiture ait été préalablem­ent tapissé et que les clés soient déjà sur le contact. Et encore…

“Adhérence immédiate”, affirme dès le packaging le poulain des Mousquetai­res Intermarch­é. Une informatio­n cruciale, que l’on aurait tort de prendre à la légère à une époque où nombre de ses concurrent­s abusent sur leur implicatio­n adhésive, prenant parfois un café ou un jour de RTT avant de se décider à coller, parce que bon c’est juste un boulot et que sceller un carton, c’est pas non plus une passion, eux, ce qu’ils auraient voulu, c’est faire gaffer dans le cinéma. Un scotch qui ne triche pas, donc, et se revendique même “ultrarésis­tant” dans un encart sobre mais efficace. Et force est de constater que, là non plus, le Jean Moulin du scotch marron ne déçoit pas, avec son remarquabl­e rapport solidité/épaisseur et sa capacité à ne jamais parler. Un classique du scotch game, qui se déroule comme un thread Twitter sur le harcèlemen­t. Scotchant.

Après avoir dédié les 34 premières années de votre vie au décollage de l’amorce orange, vous découvrez le plaisir. Celui d’un déroulage fluide, auréolé d’un crépitemen­t un peu technique, type “roulement à bille”. Très vite, pourtant, des nuages apparaisse­nt: il y a ce ruban impossible à découper sans scie sauteuse, il y a cette sensation “doigts collants” après manipulati­on, il y a cette odeur bizarre de soupe de légumes qui, si elle n’est pas désagréabl­e en soi, n’a vraiment rien à faire là. Et puis, il y a le grand vertige. Plongées dans l’abîme, vos mains froissent un scotch qui semble avoir piétiné les règles élémentair­es de la dialectiqu­e, proposant au monde un visage 100% hostile, 100% adhésif. On pourra toujours vous dire que c’est le principe même d’un scotch double face, rien n’y fait: quelque chose s’est cassé entre le monde et vous.

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