AUSTEN POWER
La campagne anglaise est depuis quelques années le théâtre de visions fugaces qui ne sont le fruit ni de portails temporels ni d’acid trips poétiques: gambadant dans les champs en robes Régence et chapeaux fleuris, de jeunes créatures prévictoriennes aimantées par une fascination commune pour Jane Austen ont fait le pacte de se retrouver chaque été afin d’exalter ensemble l’univers de l’auteure d’orgueil et Préjugés. Une entreprise d’évasion du réel organisée par les auto-baptisées “Janeites”, que la photographe espagnole Alejandra Carles-tolra a documentée pendant deux ans. “Je suis tombée sur les Janeites durant l’un de mes premiers week-ends en Angleterre”, se remémore cette native de Barcelone, qui visite alors la ville de Bath et remarque au loin un piquenique de jeunes filles en vêtements traditionnels du
xixe siècle. “Je suis allée leur parler et j’ai appris qu’elles revenaient du Jane Austen Festival, un événement annuel qui attire des centaines de fans de l’écrivaine. Puis, j’ai trouvé le contact de la Jane Austen Pineapple Appreciation Society.” Composée de filles venant toutes d’horizons divers (“Certaines sont médecins, d’autres travaillent dans la restauration ou le théâtre”), ce club d’une dizaine de membres se réunit lors de retraites enchantées dans des maisons louées pour l’occasion, loin des smartphones et autres nouvelles du monde moderne. Au programme de cette rêverie à huis clos: lecture, couture, jeux et cuisine, ainsi qu’une reconstitution de bal d’époque. Les Janeites se reconnaissent dans une féminité telle que la déploient les héroïnes d’austen, “des femmes fortes, indépendantes et sûres d’elles”, sans nager à contre-courant des progrès réalisés en matière de démantèlement du patriarcat: “Elles ont bien conscience de ce que signifiait le fait d’être une femme il y a deux siècles, et ne rêveraient d’y retourner pour rien au monde –sauf peut-être pour une nuit, et assister à une danse Régence.”