Society (France)

Anderson .Paak

Couvé par Dr. Dre, dans les petits papiers de Kendrick Lamar, tout juste couronné aux Grammy Awards, Anderson .Paak a mis la Californie à ses pieds avec sa “great black music”. Confession­s d’un ex-outsider.

- PAR GRÉGOIRE BELHOSTE

Couvé par Dr. Dre, dans les petits papiers de Kendrick Lamar, tout juste couronné aux Grammy Awards, le rappeur Anderson .Paak est au sommet. Mais il revient de loin.

Lors de la cérémonie des Grammy Awards en février dernier, vous avez remporté le prix du meilleur morceau rap. Que vous êtes-vous dit quand vous avez appris la nouvelle? Je me souviens qu’à l’époque où je n’avais rien, je m’imaginais en train de gagner un Grammy. Comment j’allais m’habiller, ce que j’allais dire, où j’allais être assis dans la salle... Je me souviens aussi de la difficulté à imaginer ça. Et le jour où j’ai gagné, je n’étais pas dans la salle. Je pensais n’avoir aucune chance, alors je ne suis pas venu. C’est plutôt ironique quand on y pense. Il faut dire aussi que ce jour-là, mon fils a eu un problème de santé. On l’a emmené en urgence à l’hôpital –finalement, ce n’était rien de grave. Et c’est depuis l’hôpital que j’ai reçu tous ces messages: ‘Tu as gagné! Tu as gagné!’ J’étais choqué.

Avant d’en arriver là, vous avez connu des années de galère. À quoi ressemblai­ent-elles? J’ai vécu pendant longtemps sans domicile. Je squattais chez des amis. Parfois chez ma soeur, parfois chez Shafiq (Shafiq Husayn, du groupe californie­n Sa-ra, qui l’a aidé financière­ment, ndlr), parfois chez une amie de ma femme ou chez mon pote Dumbfounde­ad... Les temps étaient durs, l’avenir incertain, jusqu’au jour où j’ai été recruté pour jouer de la batterie pour Haley Reinhart, une chanteuse d’american Idol. C’est grâce à ce job que j’ai pu avoir un appartemen­t. La Californie connaît aujourd’hui une crise du logement majeure. Il y a énormément de SDF. Beaucoup d’argent est investi pour développer le centre-ville de Los Angeles, les gratte-ciels, les bars, mais rien pour protéger ceux qui souffrent de troubles mentaux, ceux qui n’ont rien, les toxicos… Alors, ils finissent à la rue. C’est révoltant.

Vous avez aussi travaillé dans l’industrie de la marijuana… Ce boulot a changé ma vie. Je n’avais rien, ni argent, ni fringues, ni nourriture, mais j’ai eu la chance d’avoir accès aux fermes à weed grâce à des amis. On était en 2009, 2010, mon fils venait de naître. C’était un nouveau business, à l’époque. J’ai été embauché dans une ferme à Santa Barbara et j’ai pu découvrir l’herbe autrement. Pour moi, elle sortait de terre, on la roulait et on la fumait. C’était aussi simple que ça. En réalité, c’est un long processus: il faut la planter, s’en occuper, la couper, l’arroser... Ça a été un moyen parfait pour gagner de l’argent et faire vivre ma famille quand la musique ne rapportait rien.

Vous avez dit être convaincu que le ‘gangsta rap’ était votre ‘vocation’. Pourquoi? J’ai vraiment baigné là-dedans. Mes cousins étaient membres de gang. J’ai grandi dans une petite ville, Oxnard, où il n’y a rien d’autre à faire que s’attirer des ennuis. J’adorais 2Pac, Tha Dogg Pound, Ice Cube, Westside Connection… tous ces mecs qui rappaient des lignes qui n’avaient rien à voir avec ma vie –j’étais un enfant–, mais je me disais: ‘Mec, c’est ça que je dois faire!’ Je voulais rapper comme Snoop et Dre.

Sur le titre 6 Summers, vous évoquez le problème des armes à feu… Tous les jours, on voit aux infos de nouvelles fusillades. Dans des écoles, dans des lieux publics. Dès le plus jeune âge, nos enfants voient des types mitrailler avec des automatiqu­es. C’est fou! En Amérique, il est plus dur d’avoir une paire de Yeezy que d’acheter une arme. On ne peut pas continuer ainsi. Personnell­ement, je n’ai pas forcément eu affaire à la violence des flingues, mais j’ai été affecté par le système en général, ce système archaïque qui peut infliger 30 ans de prison pour une première infraction... Je viens d’une longue lignée de personnes jetées en taule. Mon père biologique a fait quatorze ans de placard pour avoir battu ma mère. Ma mère, elle, était une primo-délinquant­e, elle a été condamnée quand j’étais adolescent. Pareil pour mon beau-père. Ils faisaient du business tous les deux. Ils ont été condamnés par un procureur raciste pour commerce illégal de valeurs mobilières. Ils ont été pris dans les mailles d’un système qui a urgemment besoin d’être réformé. Parce qu’ils ne pouvaient pas s’offrir un bon avocat, ils ont pris sept ans et demi. Ce genre de conneries arrive très souvent ici. C’est ce qui est arrivé à Meek Mill (rappeur condamné en 2017 pour des faits remontant à 2008, ndlr).

L’année dernière, ce dernier a été invité par Donald Trump pour discuter de la réforme des prisons. Finalement, il a refusé de rencontrer le président. Vous comprenez ça? S’il le sentait vraiment, il y serait allé. Mais de manière évidente, il a pensé que ce n’était pas le bon moment. Je pensais de mon côté que la voix de Meek Mill devait être entendue. Il fait un boulot excellent en sensibilis­ant la population aux problèmes des prisons américaine­s. Mais avait-il besoin de s’afficher avec Trump? Pas sûr. Sans doute est-il sage de penser que Trump est une sorte de cancer. Quand Kim Kardashian s’est assise à ses côtés, son combat est entré dans une dimension sensationn­aliste, c’est devenu une sorte de blague. Malgré tout, elle a pu défendre son point de vue et obtenir la libération d’une détenue (Alice Marie Johnson, libérée notamment après que Kim Kardashian a plaidé sa cause à la Maison-blanche, ndlr). Mais Jay-z s’active aussi beaucoup de son côté sans avoir rencontré Trump une seule fois. Lui aussi se bat pour réformer les prisons et notre système judiciaire.

Dr. Dre, Kendrick Lamar, André 3000, Thundercat, Pusha T... Vous travaillez avec la crème des artistes afro-américains, qu’ils soient producteur­s, rappeurs ou musiciens. Que pensez-vous du concept de ‘black excellence’? C’est formidable. Vous pouvez penser que ce n’est qu’une mode, mais je l’aime. Et puis, les Quincy Jones, Sammy Davis ou Smokey Robinson étaient déjà là-dedans: ils promouvaie­nt la ‘black excellence’ avant que ça devienne un hashtag. Quand je regarde les interviews de Quincy Jones, je vois un mec qui voulait être vu à l’écran comme un être humain. Juste un homme. Un homme noir. Aujourd’hui, Kendrick Lamar, Thundercat ou encore Kamasi Washington ont pris le relais. Ces artistes ont grandi à South Central ou à Compton, dans des coins où devenir membre de gang était la routine. Ils ont fait de la musique pour sortir de leur situation, pour sauver leur vie. Maintenant, ils sont riches et ont beaucoup d’influence, donc ils redonnent à leur communauté. C’est pour ça que ces coins sont devenus des places fortes pour le jazz ou la musique progressiv­e. Être dans un gang, c’est dépassé. La nouvelle génération, c’est genre: ‘Oh, tu fais ces trucs-là? Tu penses toujours que ça vaut le coup de se battre pour un bloc?’ Je suis fier désormais que pour mon fils, ce ne soit plus une surprise de voir un président ou un Spiderman noir.

“En Amérique, il est plus dur d’avoir une paire de Yeezy que d’acheter une arme”

Écouter: Ventura, disponible le 12 avril

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