Society (France)

Mounir Mahjoubi

- PROPOS RECUEILLIS PAR LDC

Il vient de quitter son poste de secrétaire d’état chargé du Numérique pour se lancer à l’assaut de la mairie de Paris. Mounir Mahjoubi n’est pas favori. Mais à 35 ans, il aime raconter qu’il ne l’a jamais vraiment été, et qu’il vient de très loin. Ce n’est pas faux, mais ce n’est qu’une partie de l’histoire. Enquête.

Il vient de quitter son poste de secrétaire d’état chargé du Numérique pour se lancer à l’assaut de la mairie de Paris. Mounir Mahjoubi n’est pas favori. À 35 ans, il aime raconter qu’il ne l’a jamais vraiment été et qu’il vient de très loin. Ce n’est pas faux, mais ce n’est qu’une partie de l’histoire. Enquête sur un homme ambitieux et complexe.

Qui a dit quoi? Et où? Et quand? Mounir Mahjoubi n’en a aucune idée lorsqu’il entre au pas de course à Bercy, ce jeudi 7 mars, quelques minutes avant 19h. Le matin même, il a annoncé officielle­ment dans Le Parisien, sans prévenir l’élysée ni Matignon, qu’il serait candidat aux municipale­s à Paris. Mais depuis la parution de l’article, le secrétaire d’état chargé du Numérique a passé la matinée à courir et l’après-midi avec Marlène Schiappa. Installé dans son bureau, il se lance donc dans une revue de presse. Enfin un article qui le concerne. Il lit à voix haute une citation que ce dernier rapporte: “Rester le cul au chaud en attendant de voir si la commission nationale d’investitur­e de LREM le désigne, c’est magique.” Mounir Mahjoubi, 35 ans, enlève sa veste, décapsule une 1664, s’installe dans un fauteuil. Son téléphone vibre sous sa cuisse. “Mounir, ta candidatur­e un peu caillera n’est pas pour me déplaire (…) Je serai toujours là pour toi.” Le message le plonge dans ses pensées. Il sait que sa marge de manoeuvre est réduite. Personne ne le connaissai­t il y a trois mois et le voilà maintenant embarqué dans une course qui semble perdue d’avance. “J’en suis à un moment intéressan­t de ma vie politique, théorise-t-il. Quarante pour cent des gens me connaissen­t: je suis un petit peu connu, mais pas vraiment identifié. Je n’ai pas encore passé le cap. Je peux donc encore disparaîtr­e.” L’hypothèse semble le terrifier. “Pour éviter de me faire bouffer, je dois passer ce cap. Le but, ce n’est pas de bouffer les autres, mais d’éviter les obstacles. Je n’ai pas de superpouvo­irs, mais j’essaye d’utiliser ma carapace et d’accélérer quand il le faut. En politique, c’est ça ma stratégie.” Trois semaines plus tard, vendredi 29 mars. Le stratège marche seul sous le tunnel de la porte de la Villette, dans le XIXE arrondisse­ment de Paris, à deux pas de chez lui. Il n’est plus secrétaire d’état depuis la veille au soir et ce matin-là, la presse affirme qu’il a été limogé. Les citations, anonymes, décrivent un président irrité par cet élément devenu incontrôla­ble. “C’est violent, juge Mahjoubi en portant à ses lèvres une tasse de café chaud. Et c’est faux.

J’ai eu beaucoup d’échanges et on m’a toujours confirmé fermement que je n’avais pas été remercié.” L’histoire, assuret-il, est bien plus simple: il a quitté l’exécutif parce que le porte-parole du gouverneme­nt, Benjamin Griveaux, lui aussi candidat à l’investitur­e, a démissionn­é. Mahjoubi a même acquis la certitude que les rumeurs de limogeage venaient précisémen­t de l’une des soutiens de son concurrent à l’élysée. “Savoir qui a fait ça me donne encore plus d’énergie”, dit-il calmement. Au moins les choses sont-elles désormais claires. Ils sont cinq membres de la majorité à se rêver prochain(e) maire de Paris: Hugues Renson, député et viceprésid­ent de l’assemblée nationale ; Cédric Villani, député ; Anne Lebreton, adjointe au maire du IVE arrondisse­ment ; Benjamin Griveaux ; et Mounir Mahjoubi. La commission du parti se réunira dans 60 jours pour trancher. “Elle sera composée d’une dizaine de membres, des Marcheurs, des politiques”, explique Pierre Person, délégué général adjoint du parti. Le vainqueur, détaille-t-il, sera désigné selon plusieurs critères: sa capacité à gagner et rassembler, la dynamique d’entraîneme­nt militante, les sondages… “Il faut considérer que sur Paris, le choix reviendra surtout au président”, concède le responsabl­e. Longtemps donné grand favori, Benjamin Griveaux a vu sa cote de popularité fondre pendant l’hiver. Son avance dans les sondages ne dépasse plus la marge d’erreur. En quelques semaines, les certitudes ont laissé place au doute et, pour Mounir Mahjoubi, le doute est devenu de l’espoir.

L’opportunit­é Gilets jaunes

Mounir Mahjoubi a compris qu’il avait une carte à jouer pendant la crise des Gilets jaunes. Vendredi 30 novembre 2018, alors que les premiers ronds-points sont occupés depuis quinze jours et qu’une journée de mobilisati­on est prévue à Paris le lendemain, il est convoqué par Édouard Philippe. Le Premier ministre prône la plus grande fermeté: pas question d’aller sur le plateau d’hanouna le soir même. Le lendemain, l’arc de triomphe est saccagé. “À ce momentlà, j’ai le choix de continuer de me taire parce que tout le monde se tait ou de dire ce que je pense”, resitue Mahjoubi aujourd’hui. Il estime que la stratégie que défend l’exécutif n’est pas la bonne. “Il ne faut pas donner l’impression pendant trop longtemps qu’on n’écoute pas tout le monde, juge-t-il. Je me dis qu’il faut revenir de façon radicale à l’écoute inconditio­nnelle.” Toute la semaine, il échange avec Philippe Mouricou, enseignant-chercheur en stratégie qu’il connaît depuis bientôt 20 ans. Les deux hommes écument les réseaux sociaux, repèrent les leaders de la fronde, regardent en boucle les vidéos de leurs revendicat­ions. Sans demander l’autorisati­on à personne, Mahjoubi s’invite dans l’émission Balance ton post! le 7 décembre, à la veille d’une autre journée de mobilisati­on que l’on pressent conséquent­e. Il n’a pas d’annonce à faire, aucun élément de langage officiel à distiller. Son seul mémo est un document de 45 pages que Mouricou lui a préparé. L’objectif du secrétaire d’état est simple: faire preuve d’empathie. Au moment de rentrer sur le plateau, il envoie un texto à son ami. “Comment je dois me comporter?” “Comme quand on s’est connus”, répond Mouricou. Quand il s’installe aux côtés de Doc Gynéco et Bernard Laporte, Mahjoubi se dit qu’il est “en train de griller

une cartouche de confiance dans [s]a jauge de loyauté”. Il n’a besoin que d’un quart d’heure pour dire qu’il “comprend” les Gilets jaunes et “partage leurs revendicat­ions”. Les trois heures et 17 minutes de direct se transforme­nt en billard. “C’est un moment de basculemen­t pour moi, analyse avec le recul le candidat. Je prends conscience qu’il faut donner de la chair, du corps et du lien entre le gouverneme­nt et ce mouvement qui est en train de s’éloigner de nous. Et ce lien, je me dis que je veux l’incarner.” Il est l’un des rares au gouverneme­nt à choisir ce créneau. En même temps qu’il s’affranchit de la ligne officielle, Mahjoubi devient un interlocut­eur crédible. Il intervient directemen­t sur le live Facebook de Maxime Nicolle, dit “Fly Rider”, l’un des Gilets jaunes les plus véhéments, et multiplie les apparition­s médiatique­s. Le 1er janvier, il s’offre une tribune dans Le Monde dans laquelle il invite ses collègues à “s’élever à la hauteur des Français”. Ses contempteu­rs crient à la trahison, mais il est trop tard: Mahjoubi a déjà émergé. Les “fanzouzes” l’élisent deuxième invité préféré de Balance ton post!, entre Jacques le naturiste et Jade la maîtresse SM. Son taux de notoriété augmente d’un coup, sa cote de popularité grimpe à 25%. Pourquoi se gêner? Sa tribune n’est pas encore digérée qu’il passe une journée avec une Gilet jaune rencontrée sur C8. “Cette femme me regardait dans le plus profond des yeux et était certaine que j’étais l’incarnatio­n du vieux pouvoir autoritair­e, incapable de comprendre son quotidien, raconte Mahjoubi. Cela m’était insupporta­ble, car toute ma vie politique s’est précisémen­t construite sur l’idée que je voulais sortir d’un sentiment d’humiliatio­n.”

Il est à l’école primaire lorsque sa conscience de classe s’éveille pour la première fois. “Les bourgeois, c’étaient les enfants dont les parents étaient amis avec les profs, définitil. Ce n’était pas le cas des miens. J’étais le premier de la classe, mais la prof n’avait pas de rapport affectueux avec moi. Je trouvais ça très injuste.” Mahjoubi n’a pas “les codes sociaux et ne par[t] pas en vacances”. Sa mère est femme de ménage et son père ouvrier. L’appartemen­t familial de 35 mètres carrés est coincé entre la place d’aligre et la cité de La Passerelle, dans le XIIE arrondisse­ment de Paris. Le garçon passe ses week-ends seul à la bibliothèq­ue ou bien dans le square de la Baleine bleue, au pied des barres HLM, à “faire des chasses à l’homme” avec ceux de son âge. Trop bon élève pour les pauvres, trop pauvre pour les bons élèves, Mahjoubi n’est en fait à sa place nulle part. Au collège, rue de Reuilly, il se fait racketter plusieurs fois. “De jeune garçon sensible”, il devient un adolescent différent de sa bande de potes. “Arrête de te comporter comme une meuf ”, lui disent ses copains quand il ne veut plus jouer à la bagarre. Il préfère aller au Palais de la découverte ou dans les médiathèqu­es de la ville, pour découvrir Internet. En 4e, sa mère déménage à porte de Bagnolet. Mahjoubi se retrouve scolarisé à Hélène-boucher, l’imposante cité scolaire de la porte de Vincennes où vont les meilleurs élèves de l’est parisien. “L’expérience de la liberté la plus absolue, décrit-il. Je ne découvre que des gens heureux, tout le monde est fort à l’école. Il y a des filles avec les cheveux courts qui s’assument, des juifs, des gens issus de l’immigratio­n comme moi. C’est l’incarnatio­n la plus parfaite de la tolérance et de la diversité que l’on peut trouver. J’ai l’impression de me découvrir. Et de me libérer.” Engoncé dans le fauteuil de son bureau de Bercy, Mahjoubi marque un temps d’arrêt. Puis: “Je suis profondéme­nt un enfant de Paris. Je suis devenu ce que je suis grâce à cette ville, ses écoles, ses bibliothèq­ues. Et ce que j’ai

“Il ne faut pas donner l’impression pendant trop longtemps qu’on n’écoute pas tout le monde. Je me dis qu’il faut revenir de façon radicale à l’écoute inconditio­nnelle” Mounir Mahjoubi

vécu, moi, je voudrais que tout le monde puisse en bénéficier. C’est la raison même de ma candidatur­e: que Paris donne sa chance à chacun.” L’été de ses 16 ans, il est embauché chez Club Internet en tant que technicien. Son voisin de bureau est un jeune homme de 24 ans et, après s’être étonné d’avoir des “papillons dans le ventre”, il comprend enfin ce qui lui échappait. Il tisse ses premiers liens avec d’autres jeunes gays sur Internet, découvre que l’homosexual­ité n’interdit pas le bonheur. “Mes potes me présentent un garçon qui me drague, et que je trouve formidable. Il file au Japon. J’ai économisé sur mes premiers salaires, j’ai des jours de vacances à poser, alors je décide d’aller le voir. Mes parents ne disent rien parce qu’ils viennent de divorcer, mon père est parti, ma mère a beaucoup de choses à gérer et bosse énormément. Moi, je suis autonome financière­ment et j’aide à la maison. Je me sens très libre. J’y vais.” Mahjoubi manque cinq semaines de cours en 1ère à cause de son escapade. À son retour, le proviseur le prie d’aller faire sa terminale dans un autre établissem­ent. Le lycéen atterrit à Paul-valéry, dans le XIIE arrondisse­ment, mais il est déjà ailleurs. “Je suis en couple avec un garçon qui contracte le syndrome de Guillainba­rré (maladie auto-immune qui atteint le système nerveux périphériq­ue et provoque une grande faiblesse voire une paralysie, ndlr). Je vais le voir tous les soirs à l’hôpital et je continue de travailler le week-end. Tout ça fait que je ne vais pas beaucoup en cours le reste de la semaine.” Il décroche son bac avec 10 de moyenne et s’inscrit en droit à la Sorbonne. C’est à ce moment-là qu’il décide de s’engager en politique.

Un management violent

Quand il pousse la porte de la section du Parti socialiste du XXE arrondisse­ment parisien pour la première fois, les militants débattent de la pertinence d’une VIE République. “Je crois que l’on peut apporter des changement­s profonds dans la participat­ion des citoyens tout en restant dans la Ve République”, affirme dès sa première prise de parole le nouveau militant. L’un des barons locaux, David Assouline, se lève pour répondre: “C’est quoi qui te pose problème? Le mot ‘sixième’ ou le mot ‘République’?” Mahjoubi chancèle. Le jeune homme, déjà délégué du personnel pour la CFDT à Club Internet, sait qu’il est dans le camp des réformiste­s, mais son corpus idéologiqu­e n’est pas encore développé. Ses amis, eux, moquent volontiers ses aspiration­s libérales: ils l’appellent “le Fabiusien”. Mais lui a déjà compris une chose: l’avenir, en politique, appartient aux habiles plus qu’aux passionnés. Et puisque Paris est la ville de tous les possibles, Thomas Hollande, le fils de François Hollande et Ségolène Royal, est inscrit dans la même université que lui. Mahjoubi ne s’en cache pas: il scrute tous les élèves dès le premier jour pour savoir à quoi ressemble un fils de ministres. Heureux hasard, les deux étudiants partagent un TD d’histoire du droit et sont désignés par leur enseignant pour faire un exposé ensemble. Ils ne sympathise­nt pas encore, mais le premier contact, décisif, est maintenant établi. Parce qu’il ne cesse de le tanner –et qu’il est devenu l’un des meilleurs geeks de Paris–, Thomas Hollande accepte de revoir Mounir Mahjoubi courant 2007. L’ancien élève introverti est maintenant étudiant à Sciences Po, où il brille dans les concours d’éloquence. Hollande consent à le faire monter à bord en prévision de la bataille électorale que sa mère s’apprête à livrer. Mahjoubi participe à la création de la “ségosphère”, le mouvement de jeunesse de la candidate. “Il avait un très bon sens de la communicat­ion, remarque Benoît Thieulin, le directeur de la campagne numérique de la candidate. Il avait simplement parfois tendance à tirer la couverture à lui. Il a souvent laissé entendre qu’il avait créé Désirs d’avenir, alors je remets les pendules à l’heure: c’est moi qui m’en occupais.” À l’époque, Mahjoubi n’a pas encore tranché: doit-il embrasser la politique des deux bras ou bien tenter de monter ses propres business? Quand sa favorite perd au second tour, la première start-up qu’il a fondée un an auparavant, une entreprise de stickers, périclite. Il part oublier ses échecs à New-york, où il effectue un an d’échange à la Columbia University. À son retour en France, ses anciens camarades constatent qu’il a changé. “Il s’est renfermé dans une posture beaucoup plus superficie­lle, regrette une ancienne copine. Il n’avait que des relations de circonstan­ces. Ceux qui avaient du pouvoir l’intéressai­ent, et nous, on ne l’intéressai­t plus. Il avait une telle aspiration à réussir et à se faire connaître! Ça a été radical.” Pendant deux ans, Mahjoubi, installé au coeur du Sentier, tisse sa toile dans l’écosystème numérique tout juste naissant. Il est de tous les évènements, de tous les apéritifs, de tous les débats. L’un de ceux qui partagent son espace de coworking, Marc-david Choukroun, est un ancien copain. Lui aussi en a marre de faire de la prestation de service. Lui aussi voudrait passer à autre chose. “Sans avoir le moindre début d’une idée miracle, on décide de s’associer et de créer quelque chose ensemble”, rejoue l’entreprene­ur. Choukroun est l’introverti, Mahjoubi le catalyseur et le prospecteu­r. C’est lui qui rencontre Guilhem Chéron, dont viendra l’idée qu’ils attendaien­t: créer un réseau capable de mettre en relation agriculteu­rs et consommate­urs. Mahjoubi est présent sur la phase de développem­ent et de financemen­t du projet. “Dès qu’on a lancé La Ruche qui dit oui, en septembre 2011, il est parti”, se souvient Choukroun. Mahjoubi a un compte à régler avec le PS. La section du XXE ne l’a jamais accepté et certains cadres du parti le considèren­t plus comme le copain de Thomas que comme un militant digne de confiance. Vexé et ambitieux, il décide de s’engager pour François Hollande et d’aller tenter sa chance dans une autre section, celle du XIE arrondisse­ment.

“Il avait parfois tendance à tirer la couverture à lui. Il a souvent laissé entendre qu’il avait créé Désirs d’avenir, alors je remets les pendules à l’heure: c’est moi qui m’en occupais” Benoît Thieulin, directeur de la campagne numérique de Ségolène Royal en 2007

Mounir Mahjoubi n’est nommé nulle part lorsque l’élu de Corrèze accède au pouvoir en mai 2012. Il tente alors de défier Patrick Bloche, maire du XIE arrondisse­ment, lors de l’investitur­e pour les législativ­es à venir. “Est-ce que son amitié avec Thomas lui avait donné des idées? interroge aujourd’hui Bloche. Est-ce qu’il pensait que, comme il avait soutenu Hollande pendant la primaire et moi Aubry, il y aurait de l’appétence pour celui qui ne s’était pas trompé? Je l’ignore.” Patrick Bloche dit ne pas garder un mauvais souvenir de cet épisode. “Mounir a fait du Mounir. Lors des réunions avec les adhérents de la circonscri­ption, il rappelait qu’il avait gagné des concours d’éloquence. Il avait une certaine faconde, estimait que son tour était venu. C’était un garçon sympathiqu­e.” Patrick Bloche l’emporte avec 80% des suffrages. Peu importe. Mercedes Erra, directrice de l’agence de communicat­ion BETC, a repéré le jeune homme. En juillet 2012, moins d’un mois après sa tentative avortée dans le XIE arrondisse­ment, Mahjoubi rejoint l’entreprise. L’ascension est fulgurante. Un an et neuf mois plus tard, il passe directeur adjoint de la branche digitale du groupe.

“Il s’appuyait sur des jeunes sans expérience, manipulabl­es et motivés, pour se faire valoir auprès des plus forts”, dit l’un de ceux qui a travaillé sous ses ordres. “Il n’était là ni pour les clients ni pour l’agence, mais pour construire son image personnell­e”, ajoute une autre. “Il mettait une pression inimaginab­le. Au bout d’un moment, j’avais la nausée en venant au travail”, continue un troisième. Toutes les personnes interrogée­s décrivent une double personnali­té composée du chef sympathiqu­e, compétent et jovial, et du boss sans foi ni loi qui pousse ses équipes à bout et s’attribue les victoires des autres. Impossible, affirment-elles, d’anticiper la bascule. D’aucuns évoquent un comporteme­nt “à l’extrême frontière du harcèlemen­t moral”. Au total, considère une personne en place à l’époque, “dix personnes ont été traumatisé­es par Mahjoubi. Sans faire de la psychanaly­se de bas étage, j’avais l’impression qu’il voulait que tout le monde souffre autant qu’il a pu souffrir dans sa vie, surtout les plus faibles”. Officielle­ment, personne ne s’en est jamais plaint de façon formelle à la direction. Qu’en dit l’intéressé? Il dit que c’est son “côté dur. Je considère toujours que la cause que l’on a –en politique, ce sont les citoyens, et en agence, le client– nous dépasse tous. Et moi, j’en fais une mission permanente”. Il affirme être plus exigeant avec “les cadres et les hauts salaires”, ce que nient les autres. Et ajoute: “Cela me fait du mal si j’ai pu faire vraiment du mal. Mais ceux pour qui ça permet de se dépasser, j’ai l’impression que ça peut être un moteur incroyable.” Mercedes Erra dit n’avoir rien remarqué, rien entendu. “J’ai senti qu’au bout de trois ans, il avait un problème d’envie, raconte-t-elle. J’ai vu qu’il était moins positif qu’au début. Il est parti de lui-même et j’ai regretté son départ parce que j’aurais aimé le garder avec nous.”

Humaniste, empathique et social?

À cran et, de son propre aveux, “malheureux” au terme de son passage chez BETC, Mahjoubi s’imagine une nouvelle vie à partir de 2015. Il s’inscrit en CAP cuisine, l’obtient, rêve d’ouvrir un restaurant dans le XIXE arrondisse­ment, où il habite depuis qu’il a rejoint l’agence. Et puis, alors qu’il n’attend plus rien de ce monde qu’il n’a pas réussi à mettre à ses pieds, arrive un coup de téléphone de l’élysée. François Hollande souhaite le nommer président du Conseil national du numérique. La passation de pouvoir avec son prédécesse­ur doit avoir lieu le 10 février 2016, à Bercy. Le ministre de l’économie de l’époque, Emmanuel Macron, est précisémen­t chargé de remercier les uns et d’accueillir les autres. “Comme on ne se connaissai­t pas, il m’a proposé que l’on se voie cinq minutes pour échanger avant d’arriver devant les invités”, rejoue Mahjoubi. Que retenir de cette première fois? “De tous les hommes politiques que j’avais vus, c’était le premier dont j’avais l’impression qu’il comprenait ce que je pouvais apporter. J’ai vu dans ses yeux que le fait que je sois arabe n’avait aucun impact, il ne le voyait même pas. Ce qui l’intéressai­t, c’était de voir quelqu’un qui avait envie de transforme­r le numérique. J’ai compris tout de suite que le mec en face de moi n’était pas du même calibre que les autres.” Mahjoubi rempile pour un tour. Un mois après sa nomination, il participe, en tant qu’expert, à la première grande mobilisati­on organisée par les Jeunes avec Macron. Quand, l’été venu, le futur président démissionn­e, il s’engage à ses côtés. Pendant la campagne, il est en charge du numérique. L’un de ceux qui l’ont côtoyé de près décrit un “management par la violence. Sa grande spécialité, c’était de s’attribuer le mérite des notes faites par des experts bénévoles. ‘Je me suis permis de faire une petite analyse’, c’est ça qu’il disait à Macron alors que tout le monde savait que ce n’était pas lui”. Le 17 mai 2017, Mounir Mahjoubi est nommé secrétaire d’état chargé du Numérique et, le 21 juin, il est élu député dans la 16e circonscri­ption de Paris.

Vingt mois plus tard, Mahjoubi vit son dernier jour à Bercy et reçoit en entretien individuel les salariés de son ministère. Cinq membres de cabinet, cinq stagiaires, quatorze assistants. “C’est vrai que c’est bizarre, concède-t-il. Ils racontent que c’était génial de bosser pour moi, mais que, parfois, je veux tout, tout de suite, que c’est dur, qu’ils n’ont jamais autant bossé.” Sous son mandat, trois directeurs de cabinets se sont succédé. Tout cela est déjà de l’histoire ancienne. Il assure vouloir faire les Européenne­s, s’investir pour l’atterrissa­ge du grand débat national. “Il n’y a pas de campagne à faire pour la commission d’investitur­e, affirmet-il. Simplement vivre et montrer l’incarnatio­n de ce que je veux être comme maire.” S’il échoue dans son entreprise, Mahjoubi siègera alors comme simple député. Il a déjà repéré ceux qui, comme lui, défendent une ligne qu’il définit comme “humaniste, empathique et sociale. Ils ne sont pas beaucoup, mais si je les rejoins, ça peut commencer à créer un

NON?”•TOUS truc intéressan­t.

“Il mettait une pression inimaginab­le. Au bout d’un moment, j’avais la nausée en venant au travail” un membre de son équipe au sein de l’agence BETC digital

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France