Society (France)

L’otage des djihadiste­s

C’est une histoire insensée. En 2015, en pleine guerre, la journalist­e allemande Janina Findeisen est partie en Syrie retrouver une amie d’enfance devenue djihadiste pour tourner un documentai­re. Alors qu’elle était enceinte de sept mois. Enlevée et rete

- PAR FREDERIK OBERMAIER ET BASTIAN OBERMAYER / PHOTOS: JULIA SELLMANN (SÜDDEUTSCH­E ZEITUNG MAGAZIN)

En 2015, en pleine guerre, la journalist­e allemande Janina Findeisen est partie en Syrie retrouver une amie d’enfance devenue djihadiste pour tourner un documentai­re. Alors qu’elle était enceinte de sept mois. Enlevée et retenue en otage, elle a accouché en captivité. Aujourd’hui, elle raconte.

Pourquoi êtes-vous partie en Syrie en 2015? Je travaillai­s sur un film documentai­re en collaborat­ion avec une société de production. Des chaînes allemandes m’avaient déjà accordé leurs financemen­ts. Le titre provisoire était Paradiesvö­gel (‘Oiseau de paradis’) et le sujet du film était l’une de mes anciennes camarades de classe que j’appellerai ici Laura –ce n’est pas son vrai prénom. Elle est partie faire le djihad il y a dix ans, et vit depuis plusieurs années en Syrie avec ses trois enfants.

Pourquoi faire ce film? Je souhaitais faire un documentai­re loin des clichés. En général, il y a toujours les deux mêmes perspectiv­es: l’univers de propagande créé par les islamistes et les stéréotype­s sur les terroriste­s répétés par les médias. Je pensais pouvoir raconter son cheminemen­t d’une manière différente, moins attendue. Autrefois, avec Laura, nous nous entendions très bien. Nous nous connaisson­s depuis le CP. C’est pour ça que je pensais qu’elle pourrait me parler de manière très ouverte de cet univers, de ce qu’elle a vécu depuis son départ en 2009. Je souhaitais lui donner la parole pour obtenir autre chose que ces vidéos de propagande dans lesquelles elle apparaît.

Votre ancienne camarade de classe a été parmi les premières djihadiste­s allemandes. Je me souviens très bien du moment où j’ai vu la première vidéo d’elle. Elle était assise sur une chaise, entièremen­t voilée, elle portait une ceinture avec un pistolet et appelait au djihad. Elle était la première femme à apparaître dans une vidéo de propagande en langue allemande.

Comment avez-vous préparé votre voyage? Au départ, c’est sa mère qui a tout préparé. Elle n’avait plus vu sa fille depuis des années, elle voulait voir ses petits-enfants –et je pense même qu’elle voulait tous les ramener en Allemagne. J’ai décidé de l’accompagne­r. Aujourd’hui, cela peut paraître bizarre, mais à cette époque, cela me semblait faisable. Je voulais y aller, l’interviewe­r et rentrer. Et puis, je disposais d’une garantie de sécurité.

Une garantie de sécurité? Oui, donnée par Laura et son groupe.

Saviez-vous de quel groupe il s’agissait? Non, pas vraiment. Elle avait évoqué une liaison avec le Front al-nosra, pas beaucoup plus.

Pouvez-vous en dire plus sur cette garantie de sécurité? Laura m’avait écrit un mail dans lequel elle disait qu’il ne m’arriverait rien et que je serais bien traitée. Que je pouvais venir et repartir en toute sécurité. Ça a été bien sûr une grande erreur de lui faire confiance.

Votre amie a appelé à la guerre contre les infidèles –donc contre vous également. Aviez-vous le sentiment d’être encore amie avec elle? Je savais que ce ne serait plus la même amie que lorsque nous allions toutes les deux à l’école ensemble. Je savais aussi que nous vivions dans deux mondes totalement différents. Notre relation était aussi nourrie par la défiance –elle avait peur que je la trahisse, et moi aussi. Malgré tout, j’étais persuadée que nous étions liées par quelque chose de très singulier: une amitié d’enfance.

Vous étiez enceinte de sept mois à l’époque. Comment votre entourage a-t-il réagi lorsqu’il a eu vent de votre projet? Personne n’était au courant, sauf le père de mon enfant, qui devait coréaliser le film.

Il nous a dit avoir essayé de vous faire renoncer. Malheureus­ement pas de manière assez déterminée. Il m’a accompagné­e jusqu’à Antakya, à 40 kilomètres de la frontière syrienne.

Votre ancienne camarade de classe avait garanti votre sécurité. Quelles autres mesures avez-vous prises? J’avais passé un accord avec mon mari: je devais lui donner des nouvelles à intervalle­s réguliers. Il n’y avait aucune autre mesure de sécurité. Ça paraît bien dérisoire, aujourd’hui. Je n’avais ni téléphone portable ni traceur GPS, qui auraient pu me localiser. J’avais peur que cela me mette plus en danger qu’autre chose si je venais à rencontrer des djihadiste­s de haut rang. Lorsque tu es assise à côté d’un islamiste, tu offres dans le même temps les coordonnée­s pour une attaque de drone –et l’objectif peut être plus important que ta propre vie.

Comment êtes-vous arrivée en zone de guerre? C’est Laura qui a tout organisé. J’ai pris l’avion avec sa mère pour la Turquie. Et à Antakya, nous devions retrouver un passeur engagé par Laura.

Mais la mère de votre amie ne vous a finalement pas accompagné­e en Syrie. C’est exact. C’était l’époque des premiers bombardeme­nts russes en Syrie. Elle a jugé que la situation était trop dangereuse pour elle. Elle m’a confié un sac avec des affaires pour Laura et ses enfants –des jouets, une tablette, du shampoing pour enfants, des bonbons Haribo, et aussi des chocolats que voulait Laura–, puis elle a repris un avion pour l’allemagne.

Et vous? J’ai dit au revoir au père de mon enfant et je me suis rendue au point de rendez-vous convenu avec le passeur. Il s’appelait Waleed, c’était un Syrien. J’ai d’abord attendu trois jours dans l’appartemen­t de son beau-frère. Puis nous nous sommes mis en route le soir. Nous avons roulé une demi-heure,

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