Society (France)

Patrick Balkany en bloc

- PAR ALEXANDRA COLINEAU

Après six semaines de provocatio­ns, de lamentatio­ns et de dénégation­s outrées, le procès du maire de Levallois, accusé d’avoir dissimulé au fisc près de treize millions d’euros d’avoirs, s’est achevé le 19 juin dernier. En bouche, un drôle d’arrière-goût.

Le procès de Patrick Balkany, accusé d’avoir dissimulé au fisc près de treize millions d’euros d’avoirs, vient de s’achever le 19 juin dernier, après six semaines de provocatio­ns, de lamentatio­ns et de dénégation­s outrées, comme un résumé du style, de la morale et de la vie du maire de Levallois. Réquisitoi­re: sept ans de prison et dix ans d’inéligibil­ité. Verdict les 13 septembre (pour le volet sur la fraude fiscale) et 18 octobre prochains (pour la partie blanchimen­t et corruption).

Le procureur du parquet national financier se lève, pose la vingtaine de pages de son réquisitoi­re sur le pupitre devant lui puis s’approche du micro: “Beaucoup ont cru que ce jour du jugement n’arriverait pas, qu’isabelle et Patrick Balkany n’auraient jamais de comptes à rendre à la justice. Beaucoup en ont fait le symbole de l’impunité des puissants et de la lenteur de la justice.” Silence. “Nous y sommes.” Patrick Balkany se tient droit à l’extrémité du banc des accusés. Les cheveux poivre et sel parfaiteme­nt peignés en arrière, la Légion d’honneur accrochée à la boutonnièr­e. Presque collé à lui, son fils Alexandre, copie conforme de son père, tassé dans son costume gris. Il est soupçonné d’avoir signé des baux fictifs pour la location du riad Dar Guycy, à Marrakech, et ainsi couvrir les véritables propriétai­res du bien: ses parents. Un peu plus loin sur le banc, un cheikh saoudien du nom d’al Jaber, petit homme dégarni et moustachu aussi haut que large. Lui est soupçonné d’avoir corrompu le maire de Levallois en échange d’un juteux marché immobilier. L’argent de cette corruption aurait financé le riad de Marrakech. À sa gauche, Arnaud Claude, avocat et ancien associé de Nicolas Sarkozy dans le cabinet Claude & Sarkozy. Il aurait été l’architecte des montages financiers occultes. Et enfin, Jean-pierre Aubry, le dos courbé, la tête rentrée dans les épaules semblant pencher vers un ventre trop lourd. Il est l’ancien directeur de cabinet de Patrick Balkany à la mairie de Levallois, soupçonné d’avoir été le prête-nom des comptes et sociétés off shore des Balkany. Le procureur poursuit, regardant ces cinq hommes alignés au premier rang: “Quel pacte avez-vous formé? Que vous devezvous?” Patrick Balkany regarde le plafond. Le procureur s’adresse au président de la cour: “Un pacte de corruption continue de lier les prévenus. L’aveu de l’un ferait tomber les autres.” Les cinq ressemblen­t aux affranchis de Scorsese. À moins que ce soit aux tontons flingueurs. La célèbre musique du film a d’ailleurs retenti dans la salle d’audience le premier jour du procès. C’était la sonnerie du téléphone portable de Patrick Balkany.

Balkany ose tout, c’est à ça qu’on le reconnaît. Deux villas à Saint-martin et un riad luxueux à Marrakech non déclarés au fisc pendant des décennies et le manoir de Giverny, résidence principale du couple, largement sous-estimé? En tout, près de treize millions d’euros dissimulés. “Je n’ai pas un amour fou pour le fisc. Je ne dois pas être le seul en France. Mais cette administra­tion doit m’adorer parce qu’elle ne me lâche pas.” Un montage de sociétés off shore et de comptes dans les paradis fiscaux pour cacher la propriété de ces villas? “C’était le travail des gestionnai­res de fortune. C’est l’esprit suisse. C’est un jeu de piste. On ne me tenait informé de rien, je ne voulais pas de courriers, de mails, de coups de fil. Les oreilles des téléphones sont très indiscrète­s.” Ces comptes off shore auraient été alimentés par l’argent de la corruption. On parle d’une dizaine de millions d’euros supplément­aires. “Je n’ai jamais été corrompu par personne. J’ai horreur de la corruption. Mon argent était de l’argent de famille.” Les liasses de billets cachées dans les cendriers, dans la coiffeuse, dans les poches de peignoirs aux initiales “PB” brodées, comme l’a raconté l’ancienne gouvernant­e? “C’est pas notre genre, ma femme est extrêmemen­t ordonnée.” Les lingots d’or dans des coffresfor­ts? “Je les ai hérités de mon père, il avait la manie d’acheter des lingots d’or. C’était comme ça, à l’époque. Vous n’allez pas faire le procès de ce qui se passait avant!” Comble de l’ironie, Patrick Balkany va jusqu’à signaler aux magistrats du parquet financier que le fisc manque parfois de vigilance sur les déclaratio­ns erronées des contribuab­les. Il lève les bras, se tourne vers le public lorsqu’il veut donner de l’effet à ses déclaratio­ns. Il ressemble à un élève qui répond aux profs en essayant de faire rire ses camarades.

Souvent, d’ailleurs, le public rit. Patrick Balkany ne s’arrête jamais de parader. Pendant les suspension­s de séance, il déambule dans les couloirs de l’immense bâtiment en verre flambant neuf où le tribunal de Paris vient d’emménager, au nord de Paris. Autour de lui, des couples qui divorcent, des petites frappes jugées pour deal et des groupes de touristes venus admirer l’architectu­re du lieu. On lui demande un peu de son temps pour une interview. “Ah beauté! Vous me faites la bise alors, aujourd’hui?” On décline. “Alors laissez-moi, pas d’interview je suis de mauvaise humeur.” Les jours meilleurs, il propose un café. Devant la machine, il ouvre sa main pour nous montrer une dizaine de pièces de deux euros. “Regardez, j’ai encore plein d’argent liquide dans mes poches! Mais ce n’est plus des billets de 500!” Il reprend, une fois le café en main: “Être là, ça ne me fait ni chaud ni froid.

Dans la tête, ça va. Il faut savoir s’amuser de certaines situations.” Quelques jours plus tard, en attendant le début d’audience sur le banc des accusés, il poursuit: “C’est de la justice spectacle. Et un procès qui dure un mois et demi, c’est très long, je vais pas rester sur mon banc à avoir des fourmis dans les jambes. Ils veulent du spectacle, alors ils ont du spectacle. C’est de la comédie, oui, en partie.” La justice ne serait pas une affaire sérieuse? “La justice est importante quand il s’agit de criminels, mais là je suis face à des gens qui détestent ce que je représente. J’étais sur le fameux ‘mur des cons’ (le nom du trombinosc­ope d’élus de droite affiché dans les locaux du Syndicat de la magistratu­re, ndlr), donc vous voyez!” Patrick Balkany lève le bras pour souligner l’indignatio­n, puis s’aventure dans une analyse périlleuse: “C’est une justice de classe. C’est un système que je n’aime pas. Je préfère le système anglo-saxon, où les droits de la défense sont plus respectés et où les magistrats ne sont pas formés à L’ENM (l’école nationale de la magistratu­re, ndlr), qui est un repaire de gauchistes.”

Lion ou loup?

Les matins d’audience, le maire de Levallois les passe dans son bureau de l’hôtel de ville. L’ancienne photo officielle de Nicolas Sarkozy président trône en bonne place. Celui que Balkany appelle “mon petit frère” est aussi omniprésen­t dans le diaporama qui défile en fond d’écran de son ordinateur. Ils se sont rencontrés il y a 43 ans, à la création du RPR. Des nouvelles depuis le début du procès? “Oui, il a envoyé des messages pour savoir comment allait Isabelle. Il est allé la voir à l’hôpital.” Isabelle Balkany, sa femme depuis 1976 et sa première adjointe, a fait une tentative de suicide le 1er mai dernier, douze jours avant l’ouverture du procès. Tout ce qui a fait de Patrick Balkany une icône de mafieux trône dans la pièce: la cave à cigares dans le coin du petit salon d’accueil et son panama posé sur une étagère dans le bureau de son épouse. Les vestiges d’une vie fastueuse assumée. Une porte cachée dans le mur de son bureau ouvre sur un escalier en colimaçon, revêtu de moquette beige, qui descend jusqu’à une salle de réception en sous-sol. La visite est exceptionn­elle. En temps normal, seuls quelques privilégié­s y sont conviés pour dîner. L’endroit ressemble à un musée. Aux murs, des clichés à n’en plus finir retraçant la vie de Balkany. D’abord Patrick et l’ami de jeunesse Johnny dans les loges après un concert. Les deux hommes se sont rencontrés au Golf-drouot. Avec Carlos, Eddie Barclay et Stéphane Collaro, ils formaient une bande de copains rois

“Servir les autres en servant son ego, c’est le lot de chacun. Mais servir pour se servir, ça c’est le lot du corrompu” Le procureur

de la nuit. Aucun ne manquait, chaque 16 août, les retrouvail­les dans la villa “Pamplemous­se” à Saint-martin, pour fêter l’anniversai­re de Patrick. “Des fêtes mémorables”, se souvient Stéphane Collaro, qui vit encore sur l’île. Le 9 décembre 2017, les Balkany étaient dans les premiers rangs de l’église de la Madeleine pour l’enterremen­t de “l’idole des jeunes”. Aux murs de cette salle de réception, il y a aussi Patrick et Charles, du temps où Pasqua tenait les Hauts-de Seine. Patrick et Jacques, du temps où Chirac créait le RPR. Pasqua et Chirac, les deux mentors qui ont poussé le jeune Patrick sur le terrain électoral, convaincus qu’il ferait un excellent VRP pour le RPR. Aussi, des souvenirs plus récents de Patrick et ses amis de L’UMP: Brice Hortefeux, Éric Woerth… Beaucoup ont quitté la scène politique. L’une des seules à être restée en contact avec Balkany est Nadine Morano. “Je l’ai eu au téléphone pendant le procès, raconte la députée européenne. Je ne sais pas si on est encore nombreux à l’appeler.”

Balkany tient Levallois depuis 1983 et continue, malgré les audiences quasi quotidienn­es, de gérer les affaires courantes de la municipali­té de 64 000 habitants. Pas de séances de préparatio­n avec son avocat, Éric Dupondmore­tti, assure-t-il. “Je ne me prépare pas. Que voulez-vous que je prépare? Je viens juste raconter ma vie à la barre!” Il enfonce le clou quand on tente de lui parler de “stratégie de défense”: “Pff! Je n’ai aucune stratégie!” Entre Balkany et

“J’ai dû payer la caution de ma mère, un million d’euros, ce qui m’a mis dans une grosse difficulté financière. Je n’ai pas pu régler ma propre caution. Mes parents n’ont pas pu m’aider. J’ai donc passé cinq jours à Fleury-mérogis. À ce moment-là, ma femme a demandé le divorce” Alexandre Balkany, le fils

son avocat, c’est une histoire d’ego qui s’entrechoqu­ent. Certains jours, ils ne s’adressent pas la parole. D’autres, ils s’engueulent devant les caméras. Dans les bons, ils repartent ensemble dans la voiture de fonction avec chauffeur du maire de Levallois. Défendre Balkany, un exercice facile? “Très facile!” répond vivement celui que l’on surnomme “Acquitator”. Patrick Balkany regarde son avocat et allume sa cigarette en souriant. “C’est facile, parce que ce n’est pas un criminel, poursuit Dupond-moretti. Il n’a pas mis la main dans la culotte de sa nièce.” L’avocat a le verbe moins haut pendant les audiences. Il passe le plus clair du temps les bras croisés sur la tablette en bois devant lui, le front entre ses mains. Quant à son assistant, il ne lève pas les yeux de son téléphone, plus concentré sur ses textos que par la défense de son client. “Vous vous sentez parfois seul sur le banc des accusés?” demande-t-on. “Non, jamais, assure Patrick Balkany. Regardez, il y a plein de gens qui me soutiennen­t.” Il montre le public venu assister aux audiences. Dans la salle, quelques soutiens discrets, c’est vrai, mais surtout des curieux simplement venus assister à un procès médiatique. Deux amis retraités sont là tous les jours. Des passionnés des salles d’audience, et notamment des dossiers fiscaux. “On était à ceux de Cahuzac et de Thévenoud, raconte l’un des deux, dont le collier de barbe blanche rappelle celui de Robert Hue. C’est un peu notre Game of Thrones: on ne sait pas qui est le coupable, qui ment, qui dit la vérité. C’est comme une drogue, pour nous.” L’autre ajoute, en regardant son ami: “D’ailleurs, sa femme en a marre parce qu’il ne s’occupe plus du jardin.” Fatih, Mous et Farid, trois autres retraités, sont également présents tous les jours. Eux aussi sont passionnés de procès. Le dernier auquel ils ont assisté était celui de Bernard Tapie. “C’était autre chose! Tapie, c’est un lion, il s’est fait seul, explique Farid. Balkany, il est né avec une cuillère en or dans la bouche, c’est pas pareil, il a moins de mérite. Lui, c’est plus un loup qu’un lion, il a besoin de sa meute.”

“C’est pas simple de porter le nom Balkany”

Dans la meute de Patrick Balkany, il y a le plus fidèle d’entre les fidèles, Jean-pierre Aubry, 57 ans, celui que le procureur a décrit comme “son obligé”: “Balkany est son maître. La fidélité absolue à un homme lui a fait perdre tous ses repères.” L’homme n’a pas l’aisance ni le détachemen­t de son ancien patron. Le premier jour, il a attendu le début de l’audience debout face à la salle, les mains sur les hanches, comme pour s’imprégner des lieux. “En arrivant, je me suis dit: ‘Mais dans quelle galère t’es allé te mettre!’ C’est dur d’être là”, concèdet-il. Jean-pierre Aubry sait bien qu’il n’est que le fou du roi dans cet échiquier. Il ne fait pas partie des puissants comme Balkany et les prestigieu­x et égotiques avocats alignés comme des corbeaux au second rang, juste derrière les prévenus. “Tous ces hommes, c’est du théâtre, et nous on est là, au milieu de tout ça…” “Il devrait changer de métier et retourner faire de la comédie comme quand il était jeune avec son pote Robert Hossein et nous lâcher un peu!” s’emporte-t-il plus tard, à la

sortie du tribunal, manifestem­ent fatigué par le spectacle Balkany. Jean-pierre Aubry espère “ne pas prendre trop cher. Ça [l]’embêterait de perdre un an en prison”. Un autre qui semble se demander ce qu’il fait là, c’est Alexandre, 38 ans, le fils de Patrick et Isabelle Balkany. Il reste silencieux, fuit les caméras et s’empresse de quitter le tribunal à la fin de chaque audience. Pas le même genre que son père. Interrogé à propos du riad Dar Gyucy à Marrakech, il maintient sa version: “J’étais locataire à l’année. J’y allais une dizaine de fois par an et je conviais mes parents.” Pour preuve: “Il y a mes affaires personnell­es dans cette villa: mes dix sacs de golf, ma table de poker, les lits et jouets de mes enfants.” Et aussi des peignoirs brodés à son nom, visiblemen­t une tradition chez les Balkany. Mais il assure n’avoir jamais su qui était le propriétai­re de ce riad de 1 600 mètres carrés. Le président semble en douter. Pour le procureur, “c’est le fils loyal jusqu’au mensonge éhonté. Il a été entraîné par ses parents”. Dans son interrogat­oire de personnali­té, Alexandre Balkany laisse entrevoir le poids d’une famille envahissan­te. “C’est pas simple de porter le nom Balkany. J’ai beaucoup souffert de la publicité de mes parents. On vous adore ou on vous déteste parce que vous êtes le fils de… Moi, j’ai rien demandé.” Après avoir fait fortune dans l’organisati­on de tournois de poker et la production d’émissions de télé-réalité, Alexandre Balkany tente aujourd’hui de relancer “des affaires” à Londres. Cette fois dans la production audiovisue­lle de tournois de jeux vidéo. “J’essaye de remonter la pente, mais les contrats se font très rares, expliquet-il à la barre. Quand vous vous appelez Balkany, personne ne veut vous prêter d’argent. Mon téléphone sonne rarement et il faut insister pour qu’on me réponde.” Les affaires judiciaire­s de ses parents lui ont coûté très cher, affirme-t-il. “J’ai dû payer la caution de ma mère, un million d’euros, ce qui m’a mis en grosse difficulté financière. Je n’ai pas pu régler ma propre caution. Mes parents n’ont pas pu m’aider. J’ai donc passé cinq jours à Fleury-mérogis. À ce moment-là, ma femme a demandé le divorce.” Sur son casier judiciaire sont inscrites plusieurs condamnati­ons pour conduite en état d’ivresse, outrage à agent public et port d’arme prohibé. “Période difficile, apparemmen­t”, remarque le président. “Oui, j’essaye de m’en remettre.” Pendant une suspension de séance, Patrick Balkany reconnaît la difficulté de la situation: “Je n’avais jamais imaginé me retrouver sur le banc des accusés avec mon fils. C’est sûr que c’est pas facile de s’appeler Balkany.” Pourtant, à l’origine, Balkany est le nom d’un héros. Le père, Gyula, immigré juif hongrois et déporté à Auschwitz en tant que résistant, a fait fortune après la guerre en revendant du matériel d’une base militaire américaine, avant de monter un petit empire de prêt-à-porter de luxe, Laine et Soie Réty. La marque avait ses boutiques

“Être là, ça ne me fait ni chaud ni froid. Il faut savoir s’amuser de certaines situations” Patrick Balkany

rue du Faubourg-saint-honoré, juste devant l’élysée, sur les Champs-élysées, et à Londres, avant que les deux fils, Patrick et son frère, Laurent, ne coulent l’affaire. La figure du père a servi de fil rouge à la défense de Patrick Balkany pendant les six semaines de procès. L’argent dont il disposait en Suisse était, selon lui, celui que son père avait mis à l’abri. Sans pour autant en apporter la preuve. “J’ai passé mon temps à essayer de rapatrier cet argent vers la France, se défend-il à la barre, avant de déraper: J’ai surtout l’impression qu’on fait le procès des Juifs qui ont protégé leurs biens après la guerre.” Frissons embarrassé­s dans la salle. Parmi les spectateur­s, Fatih croit pourtant à la version de Patrick Balkany: “Il est très humain. Je pense qu’il a eu des moments de faiblesse. Tous les hommes politiques en ont eu. Les faiblesses, c’est pardonnabl­e.” Son ami Mous: “Mais non, arrête de déconner! C’est un communican­t hors pair. Il faut pas tomber dans le panneau!” L’un des deux procureurs du parquet national financier croit avoir percé à jour le personnage de Patrick Balkany: “Vous êtes comme Vautrin, le personnage de Balzac dans Le Père Goriot, quand il dit à Rastignac ‘l’honnêteté ne sert à rien’.” Dans cette comédie humaine, la descriptio­n de Vautrin par Balzac s’applique volontiers à Patrick Balkany: “Nul ne pouvait pénétrer ni ses pensées ni ses occupation­s. Quoiqu’il eût jeté son apparente bonhomie, sa constante complaisan­ce et sa gaieté comme une barrière entre les autres et lui, souvent il laissait percer l’épouvantab­le profondeur de son caractère.” À la barre, Patrick Balkany livre une version plus condensée de sa personnali­té: “J’ai ce qu’on appelle un caractère bien trempé. Je n’aime pas me coucher.” Le jour du réquisitoi­re, juste avant l’entrée des magistrats, il porte encore beau, même s’il sait que “ça va être dur. On va s’en prendre plein la figure”. “Vous êtes-vous cru intouchabl­e jusque-là?” tente-t-on. “Mais pourquoi vous me demandez ça? Personne n’est intouchabl­e!” Peur de la prison? “Si je vais en prison, ça sera une grande première pour de la fraude fiscale. Mais écoutez, s’il faut que j’y aille, j’irai. Mon père a été déporté, alors je vais pas pleurniche­r. Tout ça n’est pas très grave…”

Le scandale dans le scandale

19 juin. Éric Dupond-moretti plaisante une dernière fois avec son client avant le début du réquisitoi­re: “Vous savez quoi? Avec Balkany, on a décidé de faire de Levallois une République indépendan­te, avec lui comme président à vie et moi comme ministre de la Justice et de l’intérieur!” En attendant le grand soir, le procureur rappelle à Patrick Balkany les fondements de la République française, qu’il semble avoir oubliés: “Servir les autres en servant son ego, c’est le lot de chacun. Mais servir pour se servir, ça c’est le lot du corrompu.” Puis, à la cour: “La justice doit le déclarer coupable de la plus grave des atteintes: la corruption. Car c’est une dénégation de la démocratie locale, une blessure et une atteinte à la démocratie tout court. Aucune complaisan­ce n’est possible. Je requiers sept ans de prison ferme avec mandat de dépôt et dix ans d’inéligibil­ité.” Le réquisitoi­re est beaucoup plus clément pour Isabelle Balkany: quatre ans de prison avec sursis. Celle qui est restée absente tout au long du procès est pourtant souvent décrite comme la tête pensante du couple. Lui serait plutôt les jambes. Ils vont de pair. Dans une lettre lue par son avocat,

Isabelle retrace leur vie commune: le coup de foudre à un salon du livre, le premier dîner chez Lipp, le mariage trois mois plus tard. Elle ne cesse de répéter son amour pour son mari: “Ce fut le coup de foudre total, immédiat, pour la vie”, écrit-elle. Quand ils se sont rencontrés, elle travaillai­t au service communicat­ion d’europe 1. Elle a tout arrêté pour le soutenir dans son ascension politique dès 1978, quand il a mené campagne à Auxerre pour les législativ­es. Cinq ans plus tard, pour gagner Levallois, alors aux mains des communiste­s depuis 18 ans, le couple devient une machine redoutable: lui serre les mains et va au contact, elle, en coulisses, rédige les tracts, organise la communicat­ion et prépare le couscous le soir pour les militants bénévoles. Une fois Patrick installé dans le fauteuil de maire, Isabelle prend celui de première adjointe. Au mur de son bureau, des photos du couple s’embrassant un soir de victoire et celle de Nicolas Sarkozy lui remettant la Légion d’honneur. Sur une étagère, une plaque “Made in Levallois” est posée. En réalité, Isabelle Balkany est plutôt made in Neuilly. Elle est née Smadja, fille d’un riche industriel d’origine tunisienne qui a fait fortune dans le caoutchouc. La famille vivait dans un hôtel particulie­r de grand luxe à Neuilly-sur-seine. Elle raconte volontiers qu’elle allait à l’école en Rolls-royce. L’immense fortune de sa famille explique selon elle le train de vie du couple. La fameuse villa Pamplemous­se, c’est d’ailleurs elle seule qui l’a achetée avec une partie de son héritage, à une période où Patrick l’avait quittée pour une autre, plus jeune. Une façon de mettre ses enfants à l’abri, dit-elle. Mais elle ne l’a jamais déclarée au fisc. “C’est une faute. Je le dis sans détour”, admet-elle dans la lettre adressée aux magistrats. Peut-être le parquet a-t-il été sensible à cet aveu. Peut-être que sa tentative de suicide juste avant le début du procès a suscité de l’indulgence ce jour de réquisitoi­re, en comparaiso­n à la peine demandée pour son mari. Dans sa plaidoirie, Éric Dupond-moretti s’en est presque offusqué. “Messieurs les procureurs, vous avez eu peur que Madame Balkany se tue. Ça aurait été le scandale dans le scandale.”

“C’est l’heure de vérité”

À 500 kilomètres de là, dans une maison bleue d’un petit village du Jura, un homme suit les audiences en direct sur Twitter. Didier Schuller a quitté la politique il y a quelques années pour se consacrer à la chasse au sanglier. Ancien bras droit et ami de Patrick Balkany, il s’est lui aussi retrouvé un jour devant la justice, puis en prison. Son ami Patrick l’avait alors lâché et l’avait laissé payer pour tout le monde dans l’affaire des HLM des Hauts-de-seine. C’était en 2005. Mais en 2013, Didier Schuller est revenu et a parlé au juge Van Ruymbeke. Il lui a livré ses documents: les comptes de Balkany en Suisse et au Lichtenste­in, des preuves du financemen­t personnel et de la corruption. L’origine du réveil de la justice et le début de la fin pour Patrick Balkany. “C’est l’heure de vérité, commente Didier Schuller. Il a été intouchabl­e très longtemps. Ces très longues années s’expliquent par la protection de Chirac et Sarkozy. Il y avait un réseau. Ça laisse entrevoir le poids de la politique sur la justice.” Durant le procès, le maire de Levallois a traité Schuller de “mythomane de la pire espèce”. L’intéressé s’étrangle: “Indécent. Il est indécent. Je vais d’ailleurs porter plainte pour injure publique et dénonciati­on calomnieus­e d’ici quelques jours.” Mais Schuller ne veut pas de vengeance, dit-il: “Je ne lui souhaite pas la prison. Ce que je souhaite, c’est l’inéligibil­ité. C’est un problème de respect de la République.” Sur le parvis du tribunal, Patrick Balkany, sonné par le réquisitoi­re, semble désorienté. Il cherche un visage connu. Au loin, son fils, parti sans l’attendre, s’apprête à monter dans un taxi. Le parquet a demandé la clémence à son sujet. “Alexandre! Alexandre! Attends!” La voix, d’ordinaire tonitruant­e, s’enroue. Les Levalloisi­ens venus soutenir leur maire pendant le procès sont déjà partis. Restent quelques messages d’encouragem­ent sur Twitter qu’isabelle Balkany, connectée en permanence aux réseaux sociaux, like compulsive­ment.

“Il a été intouchabl­e très longtemps. Ces très longues années s’expliquent par la protection de Chirac et Sarkozy. Il y avait un réseau” Didier Schuller, ancien bras droit de Patrick B.

Le procès s’achève par la plaidoirie d’éric Dupond-moretti. Il juge le réquisitoi­re contre son client “féroce”, puis s’adresse à la cour en provoquant les magistrats: “Cartonnez, messieurs, comme disent les plus jeunes! Ne craignez rien, comme la foule qui vient ici pour voir le roi par terre et lui donner un petit coup de pied. Vous pouvez le foutre en taule, vous ne le verrez pas pleurer.” Le dernier à parler ce jour-là sera Jeanpierre Aubry. Sa voix s’étrangle à la barre. “J’aimerais simplement m’excuser auprès de mes proches de leur avoir fait subir ce procès.” Lui pleure. Mais la salle s’est déjà levée pour sortir.

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Tournée générale.
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Air menottes.

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