Society (France)

Un Noir chez les nazis

- PAR RAPHAËL MALKIN, À LOS ANGELES ILLUSTRATI­ONS: PAUL LACOLLEY POUR

Puisque James Hart Stern aime le danger, il s’est fait une spécialité de s’attirer les bonnes grâces des pires racistes américains (Ku Klux Klan, National Socialist Movement) afin d’obtenir une position dominante dans ces groupuscul­es… pour mieux les détruire de l’intérieur.

Arnaqueur de génie ou justicier roublard? James Hart Stern s’est fait une spécialité de s’attirer les bonnes grâces des pires racistes américains (Ku Klux Klan, National Socialist Movement) afin d’obtenir une position dominante dans ces groupuscul­es… pour mieux les détruire de l’intérieur. Ou l’histoire incroyable d’un homme noir parvenu à la tête d’un mouvement de néonazis américains à l’insu de leur plein gré.

De temps à autre, Harry Hugues se plaît à porter une casquette noire brodée de fils d’or sur laquelle figure la silhouette d’un aigle aux ailes déployées ainsi qu’une croix gammée. Harry Hugues est un adhérent du National Socialist Movement, déclinaiso­n groupuscul­aire de feu le parti nazi d’adolf Hitler aux États-unis. Au sein du NSM, cet ingénieur passionné de photograph­ie de paysages occupe la fonction de capitaine. “Mon travail consiste à préparer le mouvement face aux urgences de la vie”, explique avec fierté celui qui réside dans un creux désertique de l’arizona. Très concrèteme­nt, il s’agit de mener, fusil en main, des patrouille­s informelle­s le long de la frontière mexicaine à la recherche de migrants. Parfois aussi, il supervise des entraîneme­nts survivalis­tes afin d’affronter au mieux le chaos que provoquera­it une tempête de sable. Mais malgré tous ces efforts, toute cette rigueur et tout ce zèle, il y a une chose que le capitaine Hugues n’aurait jamais pensé anticiper au cours de sa carrière de néonazi. Au début du printemps, le NSM, dont les statuts précisent qu’il est exclusivem­ent ouvert “aux hétérosexu­els non sémites et de descendanc­e européenne”, est soudaineme­nt passé sous la coupe d’un homme à la peau noire. “J’ai cru à un sketch, s’agace rétrospect­ivement Harry Hugues, noyant son dégoût dans un long soupir. Puis, je me suis rendu à l’évidence: c’était un sacré changement. J’étais perdu.”

Un hold-up fatal. Le dénommé James Hart Stern, un citoyen afro-américain de Californie, a réussi l’exploit de s’emparer du National Socialist Movement au nez et à la barbe de ses militants, dans le seul but de le saborder. “C’est la fin de l’une des plus anciennes organisati­ons blanches d’amérique”, se retrouve à constater aujourd’hui Matthew Heimbach, figure reconnue de l’extrême droite yankee et lui-même ancien membre du NSM. De son côté, l’amérique progressis­te n’en finit plus de s’enthousias­mer pour cette histoire aux airs de jolie fable. De James Hart Stern, on répète aujourd’hui partout qu’il est un homme de courage et de justice comme seul ce pays sait les révéler. On le compare au fameux Ron Stallworth, cet agent noir du FBI qui, en son temps, était parvenu à infiltrer le Ku Klux Klan, et que Spike Lee s’est récemment chargé d’immortalis­er à l’écran dans un film oscarisé, Blackkklan­sman. Il y a quelques semaines, la star hollywoodi­enne Mark Wahlberg a aussi décidé de produire un documentai­re à la gloire de James Hart Stern. Les caméras tournent déjà.

À une centaine de kilomètres à l’est de Los Angeles trône une coquette résidence bercée par le bruit rassurant d’un jet automatiqu­e arrosant les pelouses jour et nuit. James Hart Stern y occupe l’appartemen­t numéro 12 845. En cette matinée du mois de mai, tandis que les images muettes mais pleines de fesses et de voitures d’un clip de rap défilent sur l’écran de télévision de son petit salon, Stern s’agite sur son canapé: il est occupé à extraire une liasse de copies d’une large sacoche. Il y en a tellement qu’elles lui glissent des mains et s’éparpillen­t devant lui, froissées. Ce sont des documents officiels. James Hart Stern s’époumone: “Tout ce bazar est bien la preuve que je suis le patron des nazis de ce pays. Je suis l’héritier du trône, c’est un fait reconnu.” Puis, après quelques secondes de silence, il expose son programme en tant que nouveau “commandeur” du National Socialist Movement. Il s’agira d’abord de publier sur le site internet de l’organisati­on une série de précis détaillant la réalité de l’holocauste et de la traite négrière. “Il va falloir éduquer ces gens qui ont vécu dans le mensonge toute leur vie.” Dans un second temps, il s’occupera d’empêcher toute nouvelle adhésion au mouvement et de retirer celui-ci de la sphère quotidienn­e. Plus de campagne, plus de manifestat­ion ni de réunion. Toutefois, James Hart Stern se gardera bien de démanteler en bonne et due forme le NSM. Il ne faudrait pas que quelqu’un puisse en profiter pour le faire renaître sous une autre forme. “Je veux que ce soit comme un vieux souvenir traînant sur une étagère, ce truc auquel on ne touche plus”, ricane-t-il. Un drôle de personnage que ce Stern. Il a le crâne parsemé de morceaux de tresses ébouriffée­s, son oeil gauche est une bille malade qui a la couleur froide du quartz, et sous son polo rose on devine la forme d’une bedaine qui lui ceinture le corps telle une bouée de sauvetage. James Hart Stern est un rejeton de Watts, ce faubourg noir planqué tout au sud de Los Angeles, théâtre de sanglantes émeutes raciales en 1965. James Hart Stern dit qu’il en est le fruit. En 1989, tandis que son quartier natal brûlait encore, cette fois à cause d’une guerre de gangs, il alla toquer à la porte des différente­s parties et convoqua un sommet de la paix qui fera date dans l’histoire urbaine américaine. James Hart Stern aime dialoguer avec les gens, et c’est ainsi, sans la moindre manoeuvre violente, qu’il a réussi à prendre la tête du National Socialist Movement. “J’ai un don qui vient de Dieu: je peux faire dire aux autres ce qu’ils ont sur le coeur et leur faire entendre raison. Peu importe qui ils sont.” Ce n’est pas pour rien qu’on le surnomme le “Race Whisperer”. James Hart Stern est “celui qui murmure à l’oreille de toutes les races”.

“J’avais pitié de lui”

La conquête de ce parti nazi américain prend sa source au milieu des années 2000 dans des circonstan­ces quelque peu déroutante­s. Pour une nébuleuse affaire d’abus de biens sociaux qu’il s’évertue aujourd’hui à nier, James Hart Stern est incarcéré au Mississipp­i. Les détenus qui partagent sa cellule sont deux pédophiles et un vieillard édenté qui pourrit sur une chaise roulante. L’impotent est une sommité crainte comme le diable dans les coursives de la prison et dans le monde du dehors: Edgar Ray Killen, général en chef des Chevaliers blancs du Ku Klux Klan. À la tête de ce triste bataillon masqué, l’homme orchestra en 1964 l’assassinat de trois militants des droits civiques. Une histoire qui fut racontée au cinéma sous le titre Mississipp­i Burning, et pour laquelle le “grand sorcier” Killen fut condamné à 60 ans de prison. À l’ombre et malgré le temps qui passe, son esprit est toujours nourri par la même haine rance. Il aime traiter James Hart Stern de “nègre de merde” en le dévorant d’un regard de lynx enragé. Il lui lance des ordres à la volée, aussi, jouant au maître et à l’esclave. James Hart Stern répond toujours de la même manière à ces provocatio­ns: il sourit. Plus étonnant encore, l’activiste de Watts tend la main. Sachant qu’il y a en cuisine quelques prisonnier­s revanchard­s qui aiment saupoudrer la potée journalièr­e du vieux Killen de crachats et parfois pire, Stern se propose un jour de lui offrir la sienne. Et quand le premier n’a plus la force de pousser sur ses bras pour faire avancer son fauteuil, le second se charge de le balader. “C’était plus fort que moi, hausse les épaules James Hart Stern. Malgré toutes les horreurs qu’il avait commises, j’avais pitié de lui. J’ai fait ça par charité chrétienne.” Le résultat ne se fait pas attendre: Edgar Ray Killen baisse la garde, et finit par se confier à son codétenu. Tous les soirs, à la lueur d’une minuscule ampoule, le klansman fait le récit des crimes qu’il a gardés secrets pendant toutes ces années, ces Noirs pendus, lynchés et fusillés dans

“Edgar ne reniait pas qui il était. Il restait raciste et fier de l’être. Simplement, il avait besoin d’un ami à qui parler, et j’étais là” James Hart Stern, à propos de Edgar Ray Killen, du KKK

le bayou. Lorsque James Hart Stern lui demande de coucher ses confession­s sur papier, il s’exécute. “Edgar ne reniait pas qui il était. Il restait raciste et fier de l’être. Simplement, il avait besoin d’un ami à qui parler, et j’étais là”, explique l’activiste. La relation entre les deux hommes prend de l’épaisseur. Killen choisit de faire don des dizaines d’hectares de terres qu’il possède à Stern. Dans un long traité paraphé par les services juridiques de la prison, il lui donne également pouvoir d’avocat. Le jour où il sera libre, James le Noir pourra ainsi négocier et signer n’importe quoi au nom d’edgar le Blanc. “Il m’a seulement fait promettre de ne rien faire qui aille contre ses intérêts. Mais je m’en fichais, note aujourd’hui Stern. J’avais là une opportunit­é de balayer le malheur qu’il avait semé derrière lui. C’était un connard de première, un vrai diable, et ça, je ne l’ai jamais perdu de vue.” À sa sortie du pénitencie­r en 2011, le militant déclare léguer les terres de Killen à une associatio­n faisant la promotion de l’égalité raciale. Il publie ensuite un livre de mémoires dans lequel il insère une reproducti­on des aveux rédigés en cellule par Edgar Ray Killen. Enfin, il se sert de son mandat de représenta­nt légal pour dissoudre le chapitre des terribles Chevaliers blancs du Ku Klux Klan. James Hart Stern n’a jamais eu de nouvelles de Killen. Tout ce qui lui reste aujourd’hui de cette étrange intimité est cette carte plissée de détenu que le klansman a tenu à lui refourguer comme un dernier legs et qu’il conserve précieusem­ent depuis.

Malcolm X et le sida

Un jour de 2014, James Hart Stern reçoit chez lui un inattendu coup de téléphone. Au bout du fil, un homme à la voix de velours lui indique qu’il le sait en possession de la fameuse carte de Killen. Il aimerait la lui acheter, à n’importe quel prix. L’inconnu se nomme Jeff Schoep. Il est le commandeur historique du National Socialist Movement. James Hart Stern effectue de brèves recherches sur Internet. Sur son écran, il découvre une ribambelle de photograph­ies où des golgoths en bottes tendent fièrement le bras droit dans un décor de hauts svastikas en feu. Le NSM est cette organisati­on née en 1974 d’une scission avec le vieil American Nazi Party. Installée dans le Michigan, elle déclare disposer d’une soixantain­e d’antennes reparties sur l’ensemble du territoire américain. Deux de ses membres ont été arrêtés en 2012 pour avoir fomenté un attentat terroriste contre le consulat du Mexique dans le Minnesota. Après avoir digéré cette terrifiant­e somme d’informatio­ns, James Hart Stern ne peut s’empêcher de confronter le commandeur du NSM. Que pense-t-il vraiment de l’holocauste? Et de l’esclavage? Jeff Schoep déroule sans sourciller ses éléments de langage. Le premier sujet est le produit de “la propagande juive”, tout simplement. Quant au second, il est important de savoir que les Africains sont “partis de leur plein gré en Amérique dans le but d’échapper à leur condition misérable”. Au bout de ces tristes palabres, James Hart Stern dégaine alors une propositio­n inattendue. Il voudrait pouvoir rencontrer Jeff Schoep et discuter avec lui les yeux dans les yeux des relations entre les Noirs et les Blancs aux États-unis. “Ce type me dégoûtait, mais je voulais le sonder, connaître ce qu’il avait dans la tête, éclaire James Hart Stern. Je me disais que je pouvais peut-être changer quelque chose chez lui.” Contre toute attente, le grand manitou du NSM accepte. Quelques semaines plus tard, les deux hommes se retrouvent dans le salon climatisé d’un hôtel de Los Angeles. Le commandeur du National Socialist Movement a le visage marqué et le crâne rasé. Il est venu accompagné d’une garde prétorienn­e. C’est la première fois qu’un dirigeant du national-socialisme à l’américaine s’assoit à la table d’un Noir depuis un lointain et obscur rendez-vous avec le célèbre Malcolm X. Devant un thé, Jeff Schoep explique à James Hart Stern qu’il travaille ces temps-ci à la refondatio­n de son mouvement. Le commandeur souhaite délester le NSM de sa matrice belliqueus­e, il le rêve en un genre de “parti pour les droits civiques des Blancs” capable de s’arrimer à la fameuse alt-right, cette extrême droite

en costume du dimanche qui, depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maisonblan­che, s’octroie de plus en plus le devant de la scène. “Le NSM était jusquelà un bloc qui se contentait de plaquer un symbole nazi sur le conservati­sme du pays, résume aujourd’hui l’ancien militant Matthew Heimbach. Ce n’était pas pertinent. Le mouvement était marginal, anachroniq­ue.” Dans le cocon neutre de cet hôtel californie­n, James Hart Stern se fend alors d’un précieux conseil. Si le National Socialist Movement veut acquérir une forme de respectabi­lité, il lui faut à tout prix commencer par se défaire de cette fichue croix gammée. La rencontre s’achève ainsi. Et Jeff Schoep décide bientôt de frapper les fanions du NSM d’un nouvel emblème: la rune d’odal, un symbole tireboucho­nné dégoté du côté de la mythologie scandinave. “Cela me fait penser au logo de la lutte contre le sida”, pouffe James Hart Stern. Les années suivantes, les deux hommes restent en contact. Ils se parlent une fois ou deux par an au téléphone, comme au temps de la ligne rouge entre Washington et Moscou. Ces appels sont souvent le fait de Jeff Schoep. Il n’ose pas se l’avouer, mais le chef du NSM aime avoir l’attention de James Hart Stern. Comme Edgar Ray Killen en son temps, il tombe sous le charme du “Race Whisperer”. Le nazi dévoile à l’afro-américain ses secrets les plus intimes, des histoires que même ses lieutenant­s ignorent, et qui lui rongent le coeur. Comme, par exemple, cet enfant qu’il a eu il y a des années avec une femme noire et qu’il a dû rejeter afin de ne pas mettre en péril ses ambitions politiques. “Je n’étais pas ému pour un sou. Je lui disais qu’il était une bonne personne –ce qui était vrai d’un certain côté–, mais en même temps, je ne l’aimais pas”, lâche James Hart Stern.

Tigre de papier

C’est maintenant l’été 2017, et voilà que le National Socialist Movement retrouve ses vieux réflexes. À Charlottes­ville, en Virginie, Jeff Schoep et ses hommes, casqués et gantés, battent le pavé aux côtés de différente­s factions nationalis­tes à l’occasion d’une grande manifestat­ion baptisée Unite the Right. Très vite, des affronteme­nts éclatent avec plusieurs lignes de militants antiracist­es. Alors qu’un fou furieux renverse mortelleme­nt une jeune femme qui tente de faire barrage aux néonazis, les troupes du NSM font le coup de poing tout autour d’elles. C’est un carnage. La cour fédérale du district ouest de l’état de Virginie lance immédiatem­ent une série de poursuites judiciaire­s dont l’une vise le National Socialist Movement et l’autre Jeff Schoep, en sa qualité de chef de file de l’organisati­on. Le commandeur décide alors de chercher du soutien, si ce n’est un peu de réconfort, du côté de son confident. Il lui avoue qu’il ne voit qu’une solution: tuer la bête. Démanteler le NSM. “Non, malheureux”, l’interrompt James Hart Stern. L’activiste explique au commandeur qu’un simple démantèlem­ent permettrai­t à ses rivaux de faire renaître le NSM de ses cendres, et Dieu sait alors ce qui pourrait arriver. Il existe un scénario plus efficace, murmure-t-il. James Hart Stern se propose de prendre en main le mouvement néonazi. Un tel transfert de responsabi­lités permettrai­t à Jeff Schoep de s’attirer les faveurs de la justice de Virginie tout en sanctuaris­ant le NSM. Schoep est séduit. Évidemment, c’est un

“Qu’est-ce qu’il croyait, le nazi? Que j’allais le sauver? Je suis un Noir, merde!” James Hart Stern à propos de Jeff Schoep, commandeur du NSM

piège. “En réalité, j’allais faire la même chose que ce que j’avais fait avec le Ku Klux Klan. Qu’est-ce qu’il croyait, le nazi? Que j’allais le sauver? Je suis un Noir, merde!” frétille Stern, comme s’il revivait d’un coup ce passage crucial de l’histoire. Mais Schoep tombe dans le panneau et, au mois de février dernier, fait parvenir en Californie un document certifié par un notaire consacrant le changement de direction à la tête du National Socialist Movement: “Considéran­t le fait que James Hart Stern est un homme aux idées modérées, je remets en sa possession le National Socialist Movement ainsi que son site, nsm88.org. Je confirme ici qu’il s’agit d’une décision sincère qui ne vise en aucun cas à désactiver le groupe.” Dans la foulée, le départemen­t des licences de l’état du Michigan homologue sous le numéro d’identité 800918876 la nomination de James Hart Stern aux postes de président, directeur, secrétaire et trésorier du NSM. Sa première décision sous ses nouvelles “couleurs” ne souffre d’aucune ambiguïté: par courrier officiel, James Hart Stern exige des magistrats de Virginie qu’ils condamnent sévèrement le National Socialist Movement.

Piteux de s’être fait ainsi berner, Jeff Schoep ordonne à James Hart Stern de faire machine arrière. Mais James Hart Stern refuse, et il refuse encore lorsque le néonazi se présente à l’improviste sur son palier, le poing menaçant. “Il m’a dit qu’il savait que j’avais une fille. Je lui ai dit de dégager tout de suite, raconte Stern. Et je lui ai fait une fleur: mon beau-fils est un marine, il lui aurait botté le cul.” Pour se tirer d’affaire et regagner un peu de son honneur, Jeff Schoep se met alors à clamer haut et fort que l’avènement à la tête du National Socialist Movement de James Hart n’est en aucun cas légitime. Il exhume aussi quelques pans sulfureux de la vie de son ennemi. En plus de cette vieille affaire d’abus de biens sociaux, James Hart Stern a été condamné trois fois à de courtes peines de prison ferme pour fraudes et contrefaço­ns. Mais aussi: alors qu’il était incarcéré dans le Mississipp­i, il réclama en vain 31 millions de dollars au titre de dommages et intérêts à l’administra­tion pénitentia­ire parce que les ciseaux du salon de coiffure de la prison n’étaient pas suffisamme­nt propres à son goût. Et encore: il demanda 61 millions de dollars de dommages et intérêts aux célèbres révérends noirs Jesse Jackson et Al Sharpton après que ceux-ci se furent ouvertemen­t moqués du film Barbershop. À l’époque, James Hart Stern dirigeait un syndicat national de barbiers. “En fin de compte, Stern est un pauvre type qui cherche en permanence à avoir son quart d’heure de gloire. C’est un tigre de papier dont le discours et les actes ne valent rien”, déroule Harry Hugues. La contre-offensive menée par Jeff Schoep ne s’arrête pas là. L’ancien commandeur fait condamner l’accès au site internet du mouvement. Puis, il se rend en catimini au départemen­t des licences du Michigan et parvient à convaincre un guichetier de raturer le nom de James Hart Stern des registres pour y mettre celui de quelques figures historique­s du NSM. Conséquenc­e immédiate: la cour fédérale du district ouest de Virginie a écarté l’activiste du procès à venir du National Socialist Movement. Désormais représenté­e par le conseil de Jeff Schoep, l’organisati­on pourra se défendre bec et ongles à la barre. Retour à la case départ.

Un an à vivre

“C’est un coup de force et cela n’annule en rien le fait que Jeff Schoep a signé un document à mon nom! Il n’y a que ce papier qui compte! Et peu importe de quoi est fait mon passé”, s’émeut James Hart Stern au milieu de son salon, tandis qu’il brandit fièrement le papier en question, à la manière d’une bible. Parce qu’il est convaincu d’avoir le droit pour lui, mais aussi parce qu’il est plutôt coriace, l’homme de Watts répond très vite à l’assaut de Jeff Schoep. Un mercredi à l’aube, il s’envole de Los Angeles pour rejoindre le Michigan. Là-bas, son précieux document officiel sous le bras, il file faire constater par le départemen­t des licences qu’il est le seul et unique dépositair­e du National Socialist Movement. Il obtient aussi que cette validation prenne effet sur le champ, selon une procédure lui coûtant 700 dollars. James Hart Stern atterrit dès le lendemain à Sacramento, où il fait enregistre­r le mouvement ainsi que son statut de commandeur auprès de l’administra­tion compétente, et débourse encore un paquet d’argent de sa poche pour qu’il n’y ait pas de délai. Après un dernier vol, l’activiste est de retour chez lui le jeudi soir, harassé mais ravi. “Je voulais que tout soit fait d’un coup, très vite. Il fallait que les nazis ne puissent pas réagir”, explique Stern. Il porte plainte dans la foulée contre Jeff Schoep et ses séides pour fraude, mais aussi violences volontaire­s. Déposé devant la Cour supérieure de Californie, à Riverside, le texte dit que la partie mise en cause “a porté atteinte aux émotions du plaintif au travers d’une série de négligence­s brutales et d’un comporteme­nt dangereux”. Le fond de son oeil mort virant subitement au bleu nuit, les cils battant l’air comme des nageoires, James Hart Stern annonce: “Quand il sera condamné, Jeff Schoep sera obligé de rester à l’écart du mouvement pour toujours.”

À peine a-t-il fini de faire le récit de ses dernières aventures que James Hart Stern se dresse d’un bond, puis se dirige vers sa chambre à coucher en faisant signe de le suivre. La pièce, plongée dans la pénombre, est comme le camp retranché d’un soldat en campagne. Tout autour du lit défait, des pelotes de linge sale, des vestes de costume et une ribambelle de documents ayant à voir avec les nazis américains. Il n’y a ni bibelots ni photos de famille. La seule décoration que compte l’endroit est ce large tableau blanc fixé en travers d’un mur, que James Hart Stern pointe maintenant du doigt, fièrement. Dessus, l’activiste a récapitulé au feutre toutes les tâches qu’il lui reste à accomplir dans cette histoire, les courriers à envoyer, les entretiens à avoir et les audiences auxquelles se rendre. Aujourd’hui, James Hart Stern consacre l’entièreté de son temps au National Socialist Movement. C’est la seule chose qu’il puisse faire. Depuis qu’on lui a récemment diagnostiq­ué un cancer de la vessie en phase terminale, il a cessé toutes ses autres activités. Il lui reste un an à vivre, dit-il. Peut-être deux, si tout va bien. Afin de subvenir à ses besoins, il profite d’une pension mensuelle d’invalidité. “Dieu m’a donné un but et je vais tout faire pour y arriver tant qu’il me reste de la force. Avant que je meure, le NSM sera de l’histoire ancienne”, bredouille l’activiste. Ces prochains jours, James Hart Stern rencontrer­a un à un tous les avocats qui ambitionne­nt de le représente­r dans le procès qu’il intente à Jeff Schoep. La plupart d’entre eux sont juifs. “Au téléphone, ils m’ont tous dit: ‘On va se faire ces enfoirés de nazis!’” racontet-il. Et au milieu du bazar de sa chambre, James Hart Stern se met à rire.

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