Society (France)

Gérard Darmon

- PAR MAXIME CHAMOUX ET THOMAS PITREL / PHOTOS: FRANKIE & NIKKI POUR SOCIETY

À 71 ans, Gérard Darmon fait partie du club très fermé des célébrités que tout le monde aime. Alors qu’il tient l’un des rôles principaux de Family Business, une série Netflix sur un boucher casher qui se reconverti­t dans la weed, l’homme tente de comprendre pourquoi.

Il tient si bien son rôle de meilleur invité d’émission télé, de Tout le monde en parle à Burger Quiz, que l’on en oublierait presque que Gérard Darmon, 71 ans, a construit une riche carrière au cinéma, enregistré trois albums et même écrit quelques livres à connotatio­n autobiogra­phique. De retour de Cannes, où il a rejoué avec Alain Chabat la scène de la Carioca à la demande générale, et alors qu’il tient l’un des rôles principaux de Family Business, une série Netflix sur un boucher casher qui se reconverti­t dans la weed, l’homme évoque son admiration pour Frank Sinatra, sa période speedball et ses analyses ADN. Et se demande pourquoi tout le monde l’aime autant.

Vous avez sorti en début d’année Le Dictionnai­re de ma vie, et il y a deux ans Sur la vie de mon père. Vous êtes beaucoup dans l’écriture autobiogra­phique, en ce moment… Je m’en suis empêché pendant de longues années, parce que j’avais le syndrome de l’imposteur. Je me disais: ‘Relis un passage de Musset, quelques lignes d’hugo ou de John Fante et on va voir si tu peux écrire.’ Mais c’était un mauvais raisonneme­nt, parce que sinon on arrête de faire de la musique après Mozart, d’écrire des chansons après les Beatles. Ça me calme beaucoup d’écrire, je rédige encore des lettres au stylo. J’ai besoin de discipline, autrement je suis très oriental, je peux être très ‘aquoibonis­te’.

Cette dimension ‘aquoibonis­te’, on la retrouve dans la façon dont vous apparaisse­z aux yeux du public, que ce soit au cinéma ou à la télévision: une façon d’être là sans être là, pas vraiment dupe de la situation… Moi, mon bouclier, ma roue de secours, c’est que je ne fréquente pas beaucoup le métier. Je ne m’engouffre pas dans les cocktails, les avant-premières où tout le monde se salue sans se saluer, se connaît sans se connaître. Comme dit Hugo: ‘Quand la bouche dit oui, le regard dit peut-être.’ Quand vous venez de tourner deux ou trois films et que l’autre en face n’a pas bossé depuis quatorze mois, c’est compliqué. Il y a beaucoup de susceptibi­lité dans ce métier, on passe notre temps à se prendre des petits coups de griffes.

Récemment, lors d’un épisode de Burger Quiz que vous présentiez, vous avez demandé aux deux candidats de lister le maximum de films avec vous qu’ils connaissai­ent. Naturellem­ent, aucun n’a pu citer autre chose que La Cité de la peur et Astérix. C’était à la fois très drôle et cruel dans l’autodérisi­on. Évidemment. En même temps, si vous étiez invité à un jeu télé et qu’on vous demandait de citer trois chansons de Brel ou de Brassens, vous seriez perdu aussi. Mais je sais très bien la place que j’ai. Je ne me prends pas pour ce que je ne suis pas. Peut-être que je pourrais faire plus de choses de premier ordre, mais je me préserve.

Quand vous dites que vous vous préservez… (Il coupe) Je me préserve parce qu’on est vite attiré, on vous déroule le tapis rouge… Il y a eu des années où j’étais invité nulle part. Il n’y avait rien, rien du tout. Dans les jours de grand vent, je veux avoir le K-way. Et pour avoir le K-way, il faut se tenir à distance, parce que sinon vous devenez comme ‘eux’: petits fours, champagne, oeufs de lump et haleine de phoque.

Vous avez toujours été comme ça? Ben oui. Je n’en ai peut-être pas toujours eu les moyens, mais aujourd’hui je n’ai plus à prouver quoi que ce soit. Si quelqu’un m’appelle pour travailler avec lui, il sait qui je suis. Les trucs du type ‘je vous ai pris, mais je voudrais voir si je ne me suis pas trompé’… J’ai 70 balais, faut pas déconner non plus.

Et vous n’avez pas d’amertume vis-à-vis de l’image que… (Il coupe) Mais j’ai une image extraordin­aire! Il y a un genre de chose indescript­ible qu’on ne peut pas commenter qui fait que les gens sentent, ils savent quand c’est sincère. Et pourtant, parfois, on a envie de dire: ‘Mais regarde, cinq millions d’entrées pour cette merde de Machin.com, là, c’est pas possible!’ Sauf qu’après, on analyse les choses. Vingt millions pour Bienvenue chez les Ch’tis, qui n’est pas un grand film, avec le recul on sait pourquoi: c’est malin, le Nord contre le Sud, une sorte d’interville­s moderne.

Vous dites que c’est le music-hall qui a fait votre éducation au métier de comédien. Estce que ça explique cette position d’outsider dans le cinéma français? J’aime bien ça, les outsiders, ce sont ceux qui créent la surprise. Ma mère bossait en face de Bobino et elle me confiait à sa copine qui était ouvreuse, j’avais 11, 12 ans. J’ai vu la première scène de Johnny Hallyday à Bobino, vous vous rendez compte? Des gens comme lui, Aznavour, Dario Moreno ou Henri Salvador m’ont plus formé à la scène que les comédiens de l’époque. Plus tard, grâce à mon prof de théâtre, Bernard Bimont, j’ai eu le goût des grands textes classiques, et j’en avais besoin parce que j’avais des lacunes. Les études, c’était pas fameux. Alors, quand j’ai annoncé à mes parents que je n’allais pas passer le bac parce que j’avais décidé de prendre des cours d’art dramatique, avec le recul… L’incompréhe­nsion et en même temps l’extrême intelligen­ce de leur réaction, ça me foudroie. Ils ont eu d’emblée confiance. Peur aussi, évidemment, je le voyais dans les yeux de ma mère.

On imagine que le fait de commencer dans une pièce intitulée Je suis un steak (de Jean-michel Ribes en 1972, ndlr) n’a pas contribué à les rassurer… Il y avait eu Les Fraises musclées deux ans avant. C’était l’âge d’or du café-théâtre. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à fumer, d’ailleurs. À l’entracte, en coulisses, il y avait un musicien qui fumait une longue pipe et ça dégageait une odeur que j’aimais bien. Il me dit: ‘Tu veux goûter?’ Moi, tout ce qui était fumable était fumable, hein. Donc je tire comme ça, trois, quatre taffes, et là je ne me souviens absolument plus de la deuxième partie du spectacle. On commençait par une chorégraph­ie, j’étais totalement à côté, en retard de trois secondes à chaque fois, ça a fait tellement rire qu’on a gardé la choré comme ça. À l’époque, je ne savais pas ce que c’était d’être défoncé.

Et ça vous a quand même plu. Oui, bien sûr. Vous savez, j’ai fumé toute ma vie, j’ai arrêté il y a sept ans.

Si vous n’aviez jamais fumé, vous n’auriez pas accepté le rôle de ce boucher qui se reconverti­t dans la vente de cannabis, dans Family Business? Si, probableme­nt, mais peut-être que dans les scènes de fumette, j’aurais été moins juste, moins précis. Là, je suis en terrain connu. Rien n’est plus désagréabl­e que quand vous voyez des mecs qui simulent le fait d’être défoncé, comme s’ils étaient bourrés.

À un moment, vous avez trop fumé, dans votre vie? J’ai senti qu’il fallait que je m’arrête. Il y a quelques traces, pas d’asthme, mais d’emphysème. C’est pas grave, mais compte tenu de tout ce que j’ai fumé, ça aurait pu être fatal. Et puis, ce n’est pas spécialeme­nt confortabl­e, pour moi, de fumer. Il y a une espèce de lutte un peu schizophrè­ne. Ça me fait souffrir. J’ai l’impression d’être très lucide, et ça me fait descendre dans les égouts. J’ai pas envie de voir ça, et en même temps, ‘si si, mets tes bottes en caoutchouc, vas-y même pieds nus mais descends dans les égouts, va voir comment tout ça est fabriqué’. Une petite parano. Une grosse, même. L’impression que tout le monde le sait, que tout le monde vous en veut, que vous n’êtes pas à la hauteur. Terrible… Et puis au bout d’un moment, vous ne riez plus comme avec les premiers bédos. Moi, j’adorais fumer seul. La cérémonie du calumet, avec l’autre qui garde toujours un peu trop, l’autre qui te le passe, il est à 3 000 degrés, tu te dis ‘putain, fait chier’, c’est très énervant.

Donc c’est mieux seul? Tout seul. L’indien. Geronimo.

Avec l’alcool, c’est pareil? Non, heureuseme­nt. Mon père, dans ses multiples métiers, a été négociant en vin ; il avait un chai à Bercy, donc j’ai baigné làdedans. J’aime beaucoup le vin. Je ne sais pas si c’est une compensati­on, mais depuis quelque temps, je crois que je bois plus qu’avant. Mais sans excès. À un moment, je consommais l’alcool autrement. C’était ma période grosse défonce avec la poudre. La période speedball n’était pas très belle non plus, mais ça s’est vite arrêté parce que tu deviens fou. Le speedball, c’est dur… C’était dans les années 90. Mais la fumette, ça a toujours été un luxe absolu, jamais un besoin. C’était une façon aristocrat­ique de fumer. Et puis, c’est culturel: ma famille, c’est le Maroc, l’algérie, et même l’asie occidental­e, l’irak. C’est ce que je viens de découvrir, là, parce que ma fille aînée m’a offert un test ADN. Je suis donc à 45% séfarade d’afrique du Nord et –à ma grande surprise– 25% italien. Moi qui pensais avoir des racines ibériques, zéro. En revanche, je suis 1,7% nigérian.

Ça se voit. N’est-ce pas? En général, ce sont les femmes qui me disent ça.

C’est la tendance en ce moment, cette recherche D’ADN en ligne. Et c’est vachement bien! Contrairem­ent à mes potes, j’ai pas de grands-parents qui ont une maison dans la Creuse, à Bayonne ou à Brest. J’étais totalement déraciné, en fait. Fils d’immigrés, quand même.

Fils d’immigrés, mais pas frère de Jeanclaude Darmon, le ‘grand argentier du foot français’ dans les années 90, comme beaucoup ont longtemps cru… Bien sûr que non. Mais on s’est très bien connus. En 1984, j’ai été invité sur Canal, c’étaient les premières matinées de Denisot, et il était là. Denisot lui demande si je suis son frère et il dit oui. Ensuite, la blague a

“Je ne m’engouffre pas dans les cocktails, les avant-premières (…) il faut se tenir à distance, parce que sinon vous devenez comme ‘eux’: petits fours, champagne, oeufs de lump et haleine de phoque”

tellement marché qu’on a joué le jeu et on ne s’est plus quittés pendant 20 ans (Jeanclaude est même le parrain de son fils Jules, ndlr). Et puis on s’est fâchés. Quand il dit ‘mon frère’, il pense à autre chose, mais ça le regarde.

Vous disiez que vous ne fréquentie­z pas beaucoup le milieu du cinéma, mais on a l’impression que vous avez des connexions dans beaucoup d’autres milieux: la politique, la finance… Ah oui mais attention, je brasse beaucoup, je rencontre beaucoup de gens. Et puis j’ai fait la nuit aussi, avant. Vous connaissez par exemple très bien Claude Chirac. C’est d’ailleurs grâce à elle que vous avez rencontré Frank Sinatra, votre idole. C’est son père qui me l’a présenté. Claude, c’est une amitié qui a commencé parce qu’elle vivait avec Vincent Lindon. Avec Vincent, on était inséparabl­es dans les années 90, 2000. Quand elle m’a dit ‘Papa reçoit Sinatra pour lui remettre la médaille vermeil de la Ville de Paris, est-ce que tu veux venir?’, je vous laisse imaginer ma réponse.

Ça a été à la hauteur de vos attentes? J’ai même pas de critères de jugement! Frank Sinatra, c’est Tant qu’il y aura des hommes, Ava Gardner, cette voix miraculeus­e, intouchabl­e, cette réputation de mafieux, de violence, avec les pianos qui volent par les fenêtres, Kennedy… Tout. Et il était là, avec ses yeux bleus de la mort. Ma tessiture de voix a dû lui plaire parce qu’il m’a mis la main sur l’épaule, on est allés un peu à part, il m’a dit: ‘Qu’estce que tu veux boire?’ J’avais la réponse toute prête: un Jack. Jack Daniel’s, from Tennessee. Il a sorti le petit paquet de Camel sans filtres, ces petites tiges qui sentent le miel. Il a pris des spaghettis et dans ma tête, je me disais: ‘Est-ce que, comme nous, il a toujours un ou deux spaghettis trop longs? Et dans ce cas-là, qu’est-ce qu’il fait: est-ce qu’il aspire (il fait le bruit), est-ce qu’il les croque avec les dents pour couper ce qui dépasse?’ Je regardais sans regarder pour pas être trop lourd. Et comme nous, hein: quand c’est trop long, il coupait avec les dents.

Votre carrière semble jalonnée de ruptures. Après La Cité de la peur, il y a certains films que vous n’avez plus faits. Des films comme 37°2 le matin, Diva, des films d’auteur, des choses ambitieuse­s… Oui, hélas. Et encore, il y a des rôles que j’ai refusés qui étaient des sous-commissair­e Bialès. Après Le Grand Pardon, c’était que des pieds-noirs, si possible un peu méchants. Après Les Princes, de Tony Gatlif, c’était que des Gitans. Après La Cité de la peur, on m’a proposé beaucoup, beaucoup de comédies. Mais moi, j’adore ça, j’adore faire rire. Le seul problème, c’est que parfois, la qualité du rire est… La comédie, c’est très compliqué.

Ça ne vous manque pas de tourner autre chose? Si, absolument. Mais quand on me demande ce que j’ai envie de jouer, j’en sais rien. J’ai un film culte: Quand j’étais chanteur (de Xavier Giannoli, 2006, ndlr). Les personnage­s comme celui de Depardieu, c’est magnifique. Le

personnage que j’ai dans Emmenez-moi (de Edmond Bensimon, 2005, ndlr), c’est magnifique, ce légionnair­e de 55 balais qui n’a qu’une passion, Aznavour, et qui décide d’aller l’écouter chanter à Paris en pèlerinage, à pied.

Comment vous choisissez vos projets, si vous ne savez pas ce que vous avez envie de jouer? C’est au coup de coeur. J’ai cette chance de ne pas avoir dû accepter de rôle parce que j’étais obligé, ça a dû m’arriver une fois, à cause des factures, des trucs… (il se gratte le nez et s’interrompt) Je me frotte le nez, pas parce que j’ai tapé une ligne, mais parce que pour un tournage on m’a coupé des poils, ils commencent à repousser et ça me gratte. Et puis, il y a le pollen. Je suis arrivé hier à Paris, je suis dans le Sud normalemen­t. Je suis très sensible aux odeurs, je trouve que ça pue la merde, Paris. Ces derniers temps, on sent que vous parlez de plus en plus librement de thématique­s un peu mystiques. C’est quelque chose qui a toujours été là ou c’est venu avec le temps? Ça a toujours été là. C’est le mystère par excellence. Il y a ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas ; moi, j’y crois. Pas à un monsieur perché sur un nuage. Je crois aux forces de l’esprit, je ne suis pas le premier à le dire. Et ça me suffit. J’ai mes signes à moi qui me font dire que je n’ai pas l’impression de me tromper. Le reste, je ne pourrais pas vous donner la réponse, je l’aurai le jour où je ne serai plus là. On saura si derrière, ça se prolonge ou si c’est une aventure comme ça, sans queue ni tête. C’est quelque chose de très intime, la croyance, c’est pour ça que je suis foncièreme­nt laïc. Évidemment qu’on tombe sur des fêlés, des chtarbés, des fous mystiques. Moi, je parle de la foi. En l’absence de foi, il y a deux ou trois choses que je n’aurais pas faites dans la vie. La foi, c’est faire exister les choses parce qu’on y croit, parfois même les appeler.

Comment on fait la différence avec l’entêtement? Il faut être vigilant. C’est très bizarre, je ne sais pas pourquoi je pense à cette histoire: c’était aux Enfoirés, il y a quelques années. J’avais donné une consigne à tout le monde: à chaque fois qu’on passait devant un chanteur –dont je ne citerai pas le nom–, on devait lui demander comment il allait.’ ‘Comment vas-tu? –Bien, pourquoi? –Non, parce que t’as l’air… (il fait une grimace)’ Tout le monde a joué le jeu, quinze, vingt personnes, toute la journée. Arrive mon tour, je lui dis: ‘Tu vas bien?’ Il me répond pas. ‘Ça va?’ Et là, je vois le mec s’écrouler: ‘Je vais pas bien du tout... ’ À force de piler au même endroit, quand ça a été mon tour, il a eu envie d’ouvrir. Moi, je voulais faire une joke à la con et je me retrouve devant un truc… Pourquoi je vous dis ça, déjà? Ah, par rapport à la foi. Il faut être dans un état de disponibil­ité. C’est très important, la disponibil­ité.

Comment vous définiriez ça? La disponibil­ité, ça veut dire que vous pouvez prendre tous les chemins. Si vous n’êtes pas disponible, que vous êtes sur un seul truc, c’est mort, vous êtes rigide. On ne peut pas rigidifier deux endroits en même temps dans le corps. C’est comme pour la voix: elle vient de partout sauf de votre gorge. Or, les gens s’imaginent que (il prend une voix de gorge) la voix part d’ici, c’est pas vrai. (Il prend une voix nasillarde) Ou d’ici. C’est comme si tu disais que t’as envie de pisser en te tenant l’épaule. Pisser, ça part pas de là. Pour ta voix, c’est le plexus. C’est un muscle qui dort parce que tu n’as jamais fait appel à ce muscle. Tu vas le réveiller, il va se muscler, et te renvoyer la récompense. Quand j’ai commencé les cours de théâtre, on ne m’entendait pas à un mètre tellement je ne voulais pas déranger. (Il soupire) Et un jour, vous sortez un son que vous n’avez jamais entendu et qui vous appartient. C’est le vôtre. Ça y est, vous l’avez trouvé. Tant que tu n’as pas travaillé ce placement, tu fais passer ton son là où il ne doit pas passer. C’est comme si tu voulais enfourner un truc dans un cornet trop petit.

Comme Macron lors de son premier meeting. Il a d’ailleurs pris des cours de chant après.

Oui, mais c’est ça qui l’a fait élire. C’est ce cri, cette sincérité. Il a voulu la dramatiser, c’était très théâtral, et en même temps, ce cri de fou –‘C’est notre projet!”–, je suis sûr que la France a basculé là. Bien sûr, derrière il y a une intelligen­ce, ce n’est pas seulement un mec qui vient gueuler, sinon ce serait trop facile d’être président. Mais on a été touchés par ça, parce qu’il n’y a pas un homme politique qui parlait comme ça. Une espèce de cri, de chose déchirante. C’était plus grand qu’on ne le croit. Ça rejoignait les grands cris, les ‘Je vous ai compris’ de De Gaulle ou l’appel de Jeanne d’arc. Et ça, les Français en sont friands. Quand j’ai vu ça, j’ai dit: ‘C’est lui qui va être élu, j’en suis persuadé.’

Il a pourtant trahi François Hollande, que vous aimiez beaucoup. Absolument, et je persiste à dire que ce n’était pas un mauvais président, qu’il a été laminé par les médias, les commentate­urs et tous ceux qui pensent avoir la vérité. Il a fait beaucoup de conneries, la plus grosse ayant été de nous infliger à ce point des impôts, mais sinon il s’est mieux comporté que ceux qui font aujourd’hui 3%. Benoît Hamon, je n’ai pas envie de le plaindre, parce que ce mec ‘bien’ s’est comporté comme une merde quand il était au gouverneme­nt. Ils ont fait les fameux ‘Frondeurs’ et ils ont tué le Parti socialiste. Valls s’est barré, c’est une honte ; Hamon pareil. Ils ont tout laminé. T’as une gauche de pouvoir, profites-en. Pour moi, c’est comme la démission de Nicolas Hulot. Quand j’ai fait On n’est pas couché, Glucksmann disait, avec sa faconde: ‘C’est un acte politique majeur que Nicolas Hulot démissionn­e.’ Je n’ai pas pu m’empêcher de prendre la parole, parce que je ne suis pas d’accord. Quand on a la chance d’obtenir le Graal, le ministère de l’environnem­ent, même si on sait qu’il y a des lobbys, des vents contraires, des mecs qui te disent ‘si tu continues, tu vas finir avec deux balles dans la tête sur un parking’, même si les choses avancent milliardiè­me de millimètre par milliardiè­me de millimètre, fais-les avancer. Ne dis pas, au premier milliardiè­me de millimètre: ‘J’arrête, les mecs, j’y arrive pas, mon intégrité est en cause.’ C’est dégueulass­e.

Vous pourriez condamner le Macron-bashing comme vous avez condamné le Hollandeba­shing? Comme je condamnais le Sarkozy-bashing, oui. Je n’aime pas le bashing. C’est un procédé qui me révulse. Pour moi, c’est mettre des coups de pied dans la gueule à un mec ou une femme à terre. Un peu de décence.

Un président n’est pas vraiment à terre, si? C’est le mettre à terre, quand même. Hollande, il avait deux cravates, une rouge et une bleue. S’il mettait la rouge, tout le monde disait: ‘Ouais, pourquoi il a pas mis la bleue?’, ‘Ouais, il a mangé des frites!’, ‘Ouais, il pleuvait!’… Vous savez plus de quoi vous parlez, les mecs. Cette anecdote me renvoie à une autre. Des mois avant l’élection, DSK était encore favori, mais mon ami Jean m’avait dit: ‘Le prochain président, c’est Hollande.’ Et Hollande avait voulu me voir, je ne sais pas pourquoi. Je lui ai dit: ‘Je fais partie des 0,03% de gens qui, quand quelqu’un se présente à la présidence de la République, regardent la qualité de son col de chemise et la façon dont il fait son noeud de cravate. Vous savez, 0,03%, c’est peut-être 40 000 voix, il faut en tenir compte.’ C’est pas une question de neuf ou pas neuf, cher ou pas cher. C’est une façon de se présenter. Si vous avez une chemise avec un col un tout petit peu mal mis et un noeud pas très bien fait, ça me déplaît, je ne vote pas pour ça. Bon, je ne parle pas de Sinatra qui faisait exprès de mettre un pan de sa chemise au-dessus de sa veste, parce qu’il disait: ‘Il y a toujours une femme dans la salle qui a envie de me le remettre.’ Ça, c’est une autre approche.

Votre ami Jean, dont vous parlez, c’est Jean Testanière, auquel vous consacrez tout un chapitre du Dictionnai­re de ma vie, sans jamais citer son nom de famille. Pourquoi? Parce que l’argentier un peu imbécile dont vous m’avez parlé tout à l’heure (Jeanclaude Darmon, ndlr) a voulu l’exposer et lui faire faire des conférence­s, l’amener à l’élysée à l’époque de Sarkozy, et il en a beaucoup souffert. Jean a eu beaucoup de mal, après. Ça fait 25 ans que je le connais, c’est quelqu’un qui m’est très cher, qui m’a évité beaucoup d’écueils, et dont je prends l’avis très souvent. Pas tout le temps, parce qu’au début, on a envie de l’appeler pour savoir de quelle couleur on doit choisir sa chemise, c’est le danger. Mais ce n’est pas un gourou, il n’a aucun discours, il est dans le concret, il s’est occupé toute sa vie d’enfants maltraités. S’il n’avait pas ce don, cet accès à des choses qui nous sont inaccessib­les, ce serait quelqu’un d’absolument ordinaire.

Quand on lit les articles sortis sur lui début 2010, il y est surnommé ‘Le Mage’ et on a plutôt l’impression que c’est un intrigant, proche des Balkany, qui a trempé dans des histoires pas claires comme celle du Cercle Wagram qui aurait été contrôlé par le gang de la Brise de Mer, et qui aurait une emprise sur certaines célébrités. On sent une odeur de soufre. Et c’est dommage. C’est la faute de l’autre imbécile d’argentier. Évidemment qu’il a connu les Balkany, à un moment où on lui offrait un travail social à la mairie de Levallois. Il a dû y aller deux fois et ça a suffi. En plus, après, il y a eu les affaires corses. Mais si vous saviez comme c’est à l’opposé de ce qu’est cet homme-là! Je ne peux même pas donner d’arguments, parce que c’est tout sauf quelqu’un de sulfureux. C’est un homme, pas un dieu vivant, mais il a l’intelligen­ce de se cacher derrière cet extraordin­aire don. Je ne sais pas comment appeler ça autrement, cette faculté de voir, de pressentir.

Vous racontez qu’il vous annonce à l’avance l’affaire DSK. On pourrait se dire qu’il sait quelque chose par ses connexions. Pas du tout. Il le dit entre ‘donne-moi un café’ et ‘j’aime bien tes bonbons’. On était en train de parler d’autre chose, il me dit: ‘Tu vas voir que l’autre –comment il s’appelle, celui qui est marié à la journalist­e, là–, du jour au lendemain ça va tomber, ça va lui coûter sa vie. Et c’est une femme qui va le faire tomber.’ Et puis, il a recommencé à parler de fruits et légumes.

Un voyant, en fait? Oui, mais un voyant qui peut vous dire ce qu’il a à vous dire au milieu de beaucoup de bruit, même si on écoute les Stones à fond. Il n’y a pas de boule de cristal, pas de: ‘Il faut que je me concentre, ça me fatigue.’ Au contraire. Là où il est très fort, c’est sur la santé. Il scanne, mais alors, pff. Là ça fait peur, je te jure.

“Quand je fume, j’ai l’impression d’être très lucide, et ça me fait descendre dans les égouts. (…) Une petite parano. Une grosse même”

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À fleur de pot.
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Après les tests ADN, la cryogénisa­tion?

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