Society (France)

856 nouveaux messages

- PAR AMBRE CHALUMEAU ET ANTHONY MANSUY / ILLUSTRATI­ONS: MAXIME ROY POUR SOCIETY

Des dizaines, voire des centaines de notificati­ons par jour. Des amis, des parents ou des collègues de bureau qui deviennent insupporta­bles. Des troubles de l’attention. Les discussion­s de groupe sur Whatsapp, Slack, Messenger et consorts sont en train de pourrir nos vies. Et la mauvaise nouvelle: cela ne fait que commencer.

Des dizaines, voire des centaines de notificati­ons par jour. Des amis, des parents ou des collègues de bureau habituelle­ment charmants qui deviennent insupporta­bles une fois online. Des troubles de l’attention. Tout le monde, ou presque, va finir par craquer: les discussion­s de groupe sur Whatsapp, Slack, Messenger et consorts sont en train de bouffer nos vies. Peut-on en sortir? Pas sûr.

Béatrice parle d’un “quasiburn out”. D’un “quasiburn out Whatsapp”, plus précisémen­t. Dans son appartemen­t parisien, la trentenair­e déroule les discussion­s de groupe sur son téléphone. En tout, il y en a une dizaine, parmi lesquelles “Collages 17/10”, “#Noustoutes­réseaux”, “#Nelesoubli­onspas”, “Nuit des relais 2019”. Militante féministe, Béatrice fait partie des activistes qui collent depuis plusieurs semaines des affiches sur les murs de la capitale pour alerter sur les féminicide­s. “Il y a un gros groupe où on accueille et informe les nouvelles arrivantes, mais il y en a eu un deuxième parce que le premier était plein, commence-t-elle à énumérer. Il y a aussi un groupe de débat, et puis les sousgroupe­s liés à une seule action.” Soit jusqu’à une centaine de messages par jour, avec autant de notificati­ons.

Et tout ça pour une seule associatio­n. “Ça peut prendre jusqu’à quatre heures par jour de tout lire, de répondre et d’agir en conséquenc­e”, estime-t-elle. Elle a même dû acheter de la mémoire supplément­aire pour son téléphone afin qu’il n’explose pas après chaque action de groupe, dont les membres envoient leurs photos et vidéos. “Dans le militantis­me, il y a une multiplica­tion folle des groupes de discussion instantané­e”, dit-elle. Tout irait bien si les gens ne venaient y chercher que des informatio­ns précises et factuelles. “Le souci, ditelle, vient surtout de celles et ceux qui ne comprennen­t pas les barrières implicites dans toute discussion, les limites à ne pas dépasser.” Comme cette participan­te qui, alors que ses consoeurs se trouvent en pleine action de collage d’affiches sous la pluie, poste une photo de sa raclette avec le message: “Ce soir pour moi c’est détente.” Comme cette autre qui, après cette photo de raclette, décide d’incendier la coupable. Comme ces autres qui, après la phase incendiair­e, décident de publier un énième message appelant à la modération. Et ainsi de suite. Récemment, Béatrice a dû faire une pause d’une semaine: elle a enclenché la “fonction sourdine”. “Et je ne suis pas la seule, témoigne-t-elle. J’en vois de plus en plus dire que ça va trop loin et qu’il y a trop de messages.” Bien vu. Si l’on rappelle que 2,5 millions de discussion­s collective­s naissent chaque jour sur Messenger, que près d’un Français sur deux fait partie d’un groupe de discussion avec sa famille et que 19 millions d’entre eux sont sur Whatsapp, alors, tout s’éclaire: oui, il existe aujourd’hui des groupes de discussion pour tout, tout le monde, tout le temps, et parfois pour n’importe quoi. Des groupes qui essaiment et deviennent autre chose. Des groupes qui n’existent parfois que cinq minutes. Trop de groupes.

Illustrati­on en temps réel avec Louis, 25 ans. En une heure de discussion, il recevra la bagatelle de 52 notificati­ons. “Alors, résume-t-il, il y a mon groupe de classe de lycée, de prépa, d’école, mes groupes de discussion de stage, mon groupe de collègues où on parle d’où on va déjeuner le midi, des groupes pour organiser des événements, genre anniversai­re ou soirée, un groupe d’un mariage d’il y a quatre ans, encore actif et je ne sais pas pourquoi, un groupe ‘jeux de mots’ où on s’envoie des blagues, le groupe de ma coloc’, le groupe de mon ex-coloc’, des groupes créés par des potes partis à l’étranger pour donner des nouvelles...” Juliette*, elle, a deux enfants. Elle jongle entre le groupe de crèche de sa fille et celui de parents d’élève de l’école primaire de son fils. “Au début, c’est chouette, détaille-t-elle. On reçoit des photos des enfants en train de faire des activités, ça rassure. Et c’est pratique pour prendre des décisions ou alerter l’école sur des sujets. Mais là, c’est devenu hors de contrôle.” En moyenne, cinq à dix messages par jour pour proposer une pétition demandant l’apprentiss­age d’une langue étrangère dès la maternelle, dénoncer un menu de cantine pas assez coloré ou comploter contre un instituteu­r aux méthodes trop vintage. Insupporta­ble, mais impossible de faire sans. La dernière fois que Juliette a mis en sourdine ses messagerie­s groupées pour avoir un peu de répit, des décisions ont été prises sans elle. Ou l’illustrati­on que la seule chose pire que d’être dans un groupe Whatsapp, c’est sans doute de ne pas y être.

“Fonky Family”

Au-delà du flux, le problème avec ces groupes, c’est qu’ils ont totalement transformé les relations sociales que l’on pouvait avoir avec ses amis, ses collègues, sa famille. Pour schématise­r: avant, régnait l’ère des non-dits ; aujourd’hui, on en dit trop. Plus personne n’hésite à soumettre au conclave virtuel la moindre

décision, à faire part du moindre achat, à partager la moindre réflexion métaphysiq­ue ou le moindre gif d’animal mignon. Les jeunes parents inondent les conversati­ons de photos de leur bébé, de mémos vocaux de gazouillem­ents et de détails sur la situation gastrique de leur progénitur­e. Les anciens parents, eux, voient en ces groupes le moyen parfait de continuer à avoir une place dans la journée de leurs enfants éloignés, en les questionna­nt ou en leur prodiguant des conseils plus ou moins bienvenus. Le tout en commettant des bévues qui irritent prodigieus­ement leurs interlocut­eurs millennial­s, inondés de photos floues ou d’émojis malvenus. Zoé, la vingtaine: “L’autre jour, mon père a envoyé un émoji aubergine pour dire qu’il avait fait une parmigiana… Au secours!” Forcément, ça frite. “Ma grand-mère de 87 ans qui m’appelle pour me demander pourquoi je n’ai pas répondu à son gif. Non mais on rêve!” hallucine Louis en direct. “Ce qui est agaçant, au fond, c’est que les conflits de famille qu’on se tapait à Noël, maintenant, on se les tape toute l’année”, s’agace son ami Maxime, 24 ans, 165 notificati­ons en attente. Il détaille: “J’ai mon groupe de famille qui s’écharpe sur un truc, et un groupe de famille parallèle avec deux membres en moins pour qu’on puisse casser du sucre sur leur dos… L’autre jour, ma tante a envoyé un message, ma mère n’a pas répondu, ma tante a pris ça comme une déclaratio­n de guerre, elle a quitté le groupe. C’est la conversati­on Whatsapp de Pandore, j’ose même plus l’ouvrir.” Le tout dans des conversati­ons aux noms personnali­sés, licence dont certains font un exercice de style, souvent raté: “Une famille en or”, “Fonky Family”, “Si si la famille”... Il y a aussi de quoi gâcher des amitiés. Manon a une conversati­on Messenger avec ses trois meilleurs amis d’enfance pour se donner des nouvelles et planifier les soirées. Et à l’entendre, ce fil de discussion représente désormais la plus grosse menace pour une amitié entamée dans la vraie vie il y a 25 ans. “Quand il faut planifier un rendez-vous, c’est l’enfer sur terre. Il y a celui qui voit tous les messages mais ne répond jamais, celle qui ne répond que par des émojis alors que tu lui demandes une réponse précise, celui qui arrive mille ans après et dit: ‘J’ai la flemme de lire, vous pouvez résumer?’...” Sans oublier celui qui utilise la fonction “vu” pour rappeler à l’ordre ceux qui mettent un peu trop de temps à répondre. À telle enseigne que cette conversati­on de groupe, au lieu de rapprocher les amis, les éloigne chaque fois un peu plus. “Quand finalement on arrive à fixer une date, franchemen­t, ils m’ont tellement saoulée que je ne suis même plus sûre d’avoir envie de les voir”, résume Manon. Clara, 22 ans, confirme la tendance. Elle est dans un groupe Messenger d’une dizaine de personnes qui date du lycée. Alors qu’en temps normal, ses membres se voient peu ou s’entendent bien, online, il n’est pas rare qu’ils s’écharpent, explique-t-elle. “Ça polarise complèteme­nt le truc. Comme c’est par message, tout est plus cash, plus direct. Et tu as une audience immédiate, alors que dans la vie, personne n’écouterait ce que deux personnes se racontent. Là, les autres se mettent à liker les messages en mode soutien passif-agressif. Et c’est fou, on s’est mis sur la gueule avec un mec, je l’ai revu le soir même, il m’a fait la bise, comme si de rien n’était.”

La sphère profession­nelle n’est évidemment pas épargnée. Bien au contraire. Aux États-unis, une étude menée par l’associatio­n américaine de psychologi­e a avancé que certains employés perdraient près de 40% de productivi­té à force d’être assaillis de notificati­ons. Mais c’est loin d’être le seul

“Ce qui est agaçant, au fond, c’est que les conflits de famille qu’on se tapait à Noël, maintenant, on se les tape toute l’année”

Maxime, 24 ans

problème. Dans certaines branches, où les frontières entre relations profession­nelles et personnell­es peuvent être floues, d’autres dérives émergent. Julien, un trentenair­e travaillan­t dans l’industrie du divertisse­ment, l’a constaté de première main. Son entreprise utilisait Gchat, une messagerie de Google rattachée à Gmail. Jusqu’au jour où “les filles ont commencé à se plaindre que les mecs ne parlaient que de foot”, dit-il. En 2017, ces derniers ont donc créé un groupe à part sur la messagerie profession­nelle Slack, destiné à échanger sur leurs pronostics sportifs. Très vite, la discussion s’engage sur ce que Julien appelle “un terrain glissant”. Il développe: “Dans ce genre de discussion­s, tu n’as rien pour te sécuriser dans ton expression, vu que tu considères comme acquis le fait de parler de façon complèteme­nt libre. Les barrières qui existent dans la réalité sautent les unes après les autres, et une fois que tu mets le doigt dedans, c’est terminé. Les outils offerts par la messagerie te permettent d’être créatif dans ta connerie, donc ça s’est transformé en cour de récré, comme des gamins sur jeuxvideo.com.” Certains ressentime­nts profession­nels, à l’égard de collègues ou de supérieurs hiérarchiq­ues, transforme­nt la discussion en un défouloir où pleuvent les vannes ad hominem dans une ambiance sexiste. Leurs collègues finissent par se poser des questions, “à force de voir dix connards pouffer de rire en même temps dans l’openspace”. Au bout d’un an, une personne extérieure au groupe a eu accès à l’ordinateur de l’un d’eux. Elle a fait des captures d’écran de la conversati­on et les a envoyées à la hiérarchie. En tout, il y a eu un scandale public pour l’entreprise, deux enquêtes internes et trois licencieme­nts. Aujourd’hui, “tout le monde se sent trahi, l’équipe est flinguée niveau ambiance, ça finit par créer un espace aseptisé et, surtout, on n’a pas répondu aux rancoeurs qui existaient avant”.

Dressés comme des dauphins

Comment expliquer une telle impression de dévaluatio­n des relations humaines? Selon Linda Stone, ancienne viceprésid­ente de Microsoft et fondatrice d’un

“Le plus nocif , ce n’est pas l’irruption intempesti­ve des notificati­ons. C’est l’espace entre deux notificati­ons. C’est un sentiment de qui-vive permanent”

Matt Webb, designer

centre de recherche sur les communauté­s virtuelles, il existe deux types d’interactio­ns sociales. Les premières, “à haute fidélité”, sont des “rencontres en face-à-face, sans distractio­ns, avec une vraie attention portée à l’autre”. En bref, “celles qui nous font vraiment nous sentir en vie”. Les secondes, “à basse fidélité”, incluent la quasi-totalité des interactio­ns virtuelles. Et les secondes sont en train de prendre le pas sur les premières. Stone prend pour exemple la désaffecti­on, particuliè­rement chez les jeunes, des discussion­s orales au téléphone. “Devant la facilité apportée par les discussion­s de groupe et les réseaux sociaux, énormément de gens ont arrêté de s’appeler”, dit-elle. En définitive, le chemin serait le suivant: à force de chercher à nous simplifier la vie, nous dénouons petit à petit nos liens affectifs. Nous le savons, nous le constatons chaque jour, mais nous prenons le risque quand même. Pourquoi? Selon Margaret Morris, psychologu­e américaine spécialisé­e dans les effets des nouvelles technologi­es sur la santé mentale et les relations humaines, c’est simple: “Parfois, quelque chose de positif arrive.” Traduction: perdu entre les notificati­ons inutiles, il y a toujours un message, quelque part, qui présente un véritable intérêt. Pour expliquer le goût de “reviens-y” de ces applicatio­ns dans nos vies, même chez des individus ayant parfaiteme­nt identifié leurs conséquenc­es nocives, Matt Webb, un designer et développeu­r anglais, prend, lui, l’exemple des dresseurs de dauphins. “Quand on entraîne un dauphin, on lui demande de faire un tour en échange d’une friandise. Une fois, deux fois, trois fois. Ensuite, l’échange de friandise devient totalement aléatoire, et à chaque fois, le dauphin fait quand même le tour. C’est ce qu’on appelle du conditionn­ement.” Une autre manière de dire que nous aurions été dressés par nos téléphones à espérer, tels des joueurs de casino, une issue plaisante à chaque réception d’un “push”. Chaque nouveau message est potentiell­ement une invitation à une soirée exclusive, un “je t’aime” ou une offre d’emploi. Potentiell­ement. De telle sorte que selon Matt Webb, “ce qui est le plus nocif pour l’attention, ce n’est pas l’irruption intempesti­ve des notificati­ons. C’est l’espace entre deux notificati­ons, celui où il est possible qu’un ‘push’ arrive. La moitié de votre esprit est dans un état de semi-alerte, comme quand vous attendez le facteur et qu’il est susceptibl­e de sonner d’un moment à l’autre. C’est un sentiment d’être sur le qui-vive en permanence”.

Matt Webb, qui a notamment créé la première interface de lecture pour l’ipad d’apple, a beaucoup réfléchi aux notificati­ons et à leur manière de s’immiscer dans notre intimité et notre cerveau. Pas pour rien qu’en anglais, push signifie “pousser”. Aurait-il pu en aller autrement? Webb raconte qu’il a, un jour, été approché par Nokia. Nous sommes alors en 2005, l’iphone n’arrivera que deux ans plus tard, et Nokia est encore le leader du marché de la téléphonie mobile. Pour ses futurs téléphones, la firme, “qui avait observé qu’avec les avancées technologi­ques et l’émergence à venir des téléphones intelligen­ts, les gens finiraient inondés d’informatio­ns provenant de leur téléphone”, cherche à comprendre comment construire un système d’exploitati­on respectueu­x des utilisateu­rs et de leur attention. Matt Webb se met au travail et construit un prototype de système d’exploitati­on avec pour objectif “d’informer l’utilisateu­r du téléphone de l’activité en cours, sans créer en lui un sentiment d’urgence et de panique”. Il met en place une interface se résumant à une simple photo d’une scène urbaine en apparence banale. “Sauf que si vous vous concentrie­z dessus pendant de longues secondes, elle changeait peu à peu”, dit Webb. En l’occurrence, la rue se remplissai­t à mesure que la boîte mail de l’utilisateu­r accumulait des messages, et plus il y avait de voitures sur la photo, plus le prochain rendez-vous approchait. “Notre idée, c’était que les gens puissent décider eux-mêmes à quel moment aller regarder leurs mails et consulter leur agenda”, dit-il. À la même époque, il décide d’explorer le domaine des messagerie­s de groupe. Un projet baptisé “Glancing” (littéralem­ent, “jeter un coup d’oeil”). Il commence par compulser les recherches de l’anthropolo­gue Robin Dunbar, selon qui la psyché humaine n’est capable d’entretenir qu’un réseau élargi de 150 personnes. Encore selon Dunbar, il existe également un “réseau primaire” de cinq à douze individus “très proches”. “Dans ces réseaux primaires, où l’on retrouve les amis très proches, la famille, il y a une espèce de ‘cerveau collectif ’ qui se crée, avec ses propres dynamiques d’attention, des envies qui arrivent au même moment”, explique Webb. Influencé par Dunbar, il crée une applicatio­n pour ordinateur, prenant la forme d’un oeil logé en surbrillan­ce dans un coin de l’écran. “L’oeil pouvait être ouvert, entrouvert ou fermé selon le niveau d’intérêt collectif à l’idée de discuter, décrit-il. Si vous cliquiez dessus, ça indiquait aux autres que vous étiez disponible, et ça déroulait un menu avec le nom des autres membres disponible­s de votre groupe. Si une majorité, ou la totalité, des participan­ts était disponible, l’oeil s’ouvrait entièremen­t et la discussion pouvait démarrer.”

À la fin, c’est Facebook qui gagne

Jamais commercial­isé, Glancing était un projet expériment­al. “C’était une manière d’entamer une réflexion sur des technologi­es respectueu­ses de la psychologi­e humaine, qui s’intègrent au quotidien des utilisateu­rs, plutôt que de les bousculer sans cesse”, dit le designer. L’humanité a finalement opté pour un autre chemin et à la fin, comme souvent, c’est Facebook qui

Entre 2014 (année où Facebook a racheté Whatsapp) et 2016, le nombre de SMS envoyés dans le monde a chuté de 51%

gagne. Lorsqu’au cours des années 2000, le marché des smartphone­s explose, les systèmes de messagerie par SMS des leaders du marché, Apple et Android, sont alors incompatib­les, si bien qu’il est impossible de créer des discussion­s de groupe entre personnes utilisant des téléphones différents. C’est là qu’intervient une petite entreprise créée en 2009 et comptant une dizaine d’employés, Whatsapp. Sa technologi­e permet pour la première fois aux propriétai­res de téléphones de marques différente­s de communique­r en groupe, gratuiteme­nt, instantané­ment, à l’aide de leur téléphone et d’une connexion internet. On ne le sait pas encore, mais le bouleverse­ment est d’importance. En 2014, Facebook rachète Whatsapp pour 19 milliards de dollars. Sans doute Mark Zuckerberg a-t-il compris avant les autres qu’après dix années à mesurer leur popularité aux likes, les utilisateu­rs de son réseau étaient prêts à passer à autre chose. “À cause du score induit par le nombre de likes, beaucoup ressentent une certaine pression à l’idée de poster et de partager des choses sur Facebook, confirme le docteur Margaret Morris. Du coup, ils gravitent davantage vers des messagerie­s de discussion instantané­e. Comme c’est plus intime, ils peuvent plus rapidement jauger la réaction des gens.” En parallèle, les scandales liés à la protection des données Facebook et la compétitio­n de Snapchat ou Instagram dans ce que les gens très sérieux de l’industrie appellent “l’économie de l’attention” ont poussé la firme à accélérer cette transition vers ses messagerie­s privées. Depuis, plus rien n’est pareil. Première conséquenc­e: le SMS est en chute libre (rien qu’entre 2014 et 2016, le nombre de SMS envoyés dans le monde a chuté de 51%). Deuxième conséquenc­e: grâce à Messenger et Whatsapp (respective­ment 1,3 et 1,5 milliard d’utilisateu­rs), l’hégémonie de Facebook est plus grande que jamais. Quand on lui demande pourquoi ses idées n’ont pas gagné, Webb répond, un peu fataliste: “Je ne sais pas comment changer le statu quo, puisque les recherches sur des paramètres d’applicatio­ns plus respectueu­x existent. Le souci, c’est que si deux applicatio­ns identiques sortent en même temps, l’une avec une approche respectueu­se, l’autre non, je crois bien que ce sera la seconde qui l’emportera sur le marché.” À des milliers de kilomètres de là, le téléphone de Louis vibre une énième fois. Il jette un coup d’oeil, soupire: “Alors là, c’est ma soeur qui demande si mes parents ont bien reçu sa carte postale, ils disent que non, puis ils vérifient, en fait ils l’ont reçue, ils remercient… 52 messages pour ça. Un enfer.”

*Le prénom a été changé.

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