Society (France)

Aya Nakamura

- PAR FRANCK ANNESE ET GRÉGOIRE BELHOSTE / PHOTOS: LOUISE DESNOS POUR SOCIETY

Aya Nakamura n’aime pas trop donner d’interviews. D’ailleurs, elle n’en donne pas beaucoup qui dépassent le quart d’heure. Alors, quand la chanteuse de 24 ans s’assoit une heure et demie dans un canapé, c’est une victoire. Et une interview avec flow.

Aya Nakamura n’aime pas trop les interviews. D’ailleurs, elle n’en donne pas beaucoup qui dépassent le quart d’heure. Alors, quand la chanteuse de 24 ans s’assoit une heure et demie dans un canapé, c’est déjà une petite victoire. Le temps de ratisser large: Aulnay-sous-bois, la natation, son premier job, les premières instrus piquées sur Youtube, les Gilets jaunes, les médias, l’argent et la flemme…

Tu as passé ton enfance à Aulnay, dans la cité des 3 000. C’était comment? J’ai eu une enfance tranquille, j’allais à l’école, je sortais avec mes copines… À la bibliothèq­ue, souvent. Je lisais beaucoup de livres, des mangas, des BD ‘de fille’, je lisais tout le temps, ça m’intéressai­t. Une enfance basique. Les 3 000, c’est pas un quartier méchant, en fait. Je suis partie il y a deux ans, et j’y retourne tout le temps. J’aime trop.

Pourquoi? Bah je sais pas, c’est comme si je te demande: ‘Pourquoi tu vas dans ta campagne?’ Ça me rappelle mon enfance, je suis plus à l’aise quand je suis entourée de personnes avec qui j’ai grandi, qui savent d’où je viens. Là-bas, je suis comme tout le monde, je peux aller au milieu du quartier, avec tous les enfants qui jouent. J’y vais avec ma fille, je l’emmène, comme une maman accompagne sa fille après l’école. Parfois, il y a un autre enfant qui me reconnaît, ça peut arriver, mais je lui dis: ‘Calme-toi, joue tranquille­ment et amuse-toi.’ À Aulnay, je suis juste Aya, la meuf de la cité, y a pas d’aya Nakamura. Ils le savent. Ils m’ont vue grandir, donc personne ne pourra dire ‘Oh, elle se la pète, elle fait la star’, parce qu’ils savent comment je suis. D’ailleurs, en général, je suis en mode jogging, casquette, pas maquillée, tu me reconnaîtr­ais pas.

Et ça, c’est Aya? Laisse tomber, je suis limite un garçon manqué. Je crois que c’est ça, en fait, ma personnali­té. Je pense que je ne peux même pas l’effacer, j’aurais beau être habillée de manière… je changerais pas.

D’où vient ce côté ‘garçon manqué’? Moi, j’étais vachement sportive, tu vois. Au début de l’adolescenc­e, j’ai commencé à lire des mangas, à regarder des séries, un peu. Nakamura, patati patata (le nom vient d’un des héros de la série Heroes, ndlr). J’ai arrêté parce que je faisais de la natation, il y avait des compétitio­ns, je gagnais des médailles, j’ai commencé à être grave athlétique, à vouloir me muscler, je traînais beaucoup avec des garçons, on faisait du sport ensemble. J’avais une mentalité… pas girly, en fait. J’étais pas là à me pomponner, à vouloir plaire à tout le monde.

Il paraît que tu as été contactée par la Fédération Française de natation pour faire des compétitio­ns à un plus haut niveau. C’est vrai? De base, après le collège, je devais aller faire sport études. Et je me suis dit: ‘Non, je vais être musclée comme un homme, ça ne m’intéresse pas, laissez-moi aller dans une école de mode.’ Peut-être que j’aurais dû continuer, en fait!

Tu as déclaré un jour que le problème, c’est que ‘c’est relou d’être tout le temps mouillée’ quand on se maquille. Tu as refusé une carrière qui t’aurait peut-être menée aux Jeux olympiques parce que ça te faisait chier de te démaquille­r? Non, mais tu vas dans l’eau, t’es obligée de pas être maquillée, c’est relou, franchemen­t. Et puis, quand on a commencé à parler de faire ça profession­nellement, en mode sérieux, j’ai dit ‘ah ouais, flemme’.

La flemme, c’est un truc qui revient assez souvent chez toi. Oui, je suis une flemmarde, je l’assume. Encore maintenant. Par exemple, là, je fais l’interview mais après, je vais rentrer dormir.

Comment tu étais, à l’école? J’étais pas très concentrée... (Elle rit) J’étais un peu dure. Je répondais aux profs, mais pas méchante, avec du sarcasme, pas au premier degré en mode énervée, jamais. Le genre qui répond (elle prend un ton énervé) ‘ouais, qu’est-ce que tu vas faire?’, c’était pas mon délire. J’aimais bien m’amuser, c’est tout. Y avait des profs avec qui je m’entendais bien, et d’autres qui étaient un peu timides, j’en jouais un peu. Mais bon, j’avais pas la tête à l’école, je pensais déjà à me faire de l’argent hypertôt.

Pourquoi? Je sais pas, j’aimais trop les vêtements. J’avais déjà en tête la musique, je commençais aussi à vouloir payer mes propres studios, et du coup, au bout de deux ans et demi, j’ai lâché la filière stylisme dans laquelle j’étais, et je suis partie travailler. J’ai fait un stage, mais genre un jour, et j’ai lâché…

Tu as fait un stage d’un seul jour? Ouais! J’ai découvert le monde du travail. (Elle rit)

Tu l’as découvert brièvement! Ah non, mais c’est abusé. Après, c’est là où tu te rends compte que le boulot de vendeuse, c’est hyperdiffi­cile! Tu restes toute la journée debout, tu as mal aux pieds, je me rappelle encore la douleur. C’est là que je me suis dit: ‘Plus jamais je me prends la tête sur les caissières, parce que maintenant, je sais ce que ça fait.’ En vrai, je suis venue genre deux jours, et en partant j’ai dit: ‘Prenez quelqu’un d’autre, moi je peux pas, j’ai pas la patience’, et après j’ai plus répondu à leurs appels. C’était plus mon problème… Je suis venue, j’ai vu, mais je reviens plus, tu vois? Et entre-temps, j’ai continué à aller au studio, et ça a porté ses fruits.

Ensuite, tu as intégré une filière styliste modéliste. Pourquoi? Parce que j’adore dessiner, et que j’aimais beaucoup les vêtements. De base, je voulais être mannequin, mais c’est un milieu hyperfermé, en plus on te demande d’être anorexique. Excuse-moi, non, moi et la bouffe, ça fait un! Et styliste-modéliste, en fait, c’est relou aussi, tu tailles, tu fais de la couture, des trucs comme ça. Moi, je m’étais dit: ‘Tu vas dessiner, et tu vas apprendre à faire ce que t’as dessiné’, mais non, il y avait d’autres étapes, et comme moi je ne suis pas une personne patiente… Et puis, j’avais tellement la flemme, qu’au bout d’un moment j’ai dit: ‘Bon, stop, en fait, laissezmoi dans ma musique, c’est ce que je préfère.’

La musique, c’est venu très tôt? En primaire. Je me souviens d’une réunion avec la maîtresse, je devais être en CP, et elle a dit à ma mère: ‘Aya n’écoute pas trop, patati patata’, et moi je lui ai répondu que je voulais être chanteuse. Ma mère m’a dit: ‘Mais c’est pas un métier, en fait, chanteuse, tu peux pas venir à l’école et rêvasser.’ Elle avait un peu honte devant la prof…

Et tu chantais déjà? Ouais, je chantais les sons qui passaient, ‘Viser la Lune’ (la chanson Ma philosophi­e, d’amel Bent, ndlr),

Sheryfa Luna… Au bout d’un moment, j’étais devenue la radio de l’école. Je disais ‘C’est bon, ça va deux minutes’, mais ça fait quand même plaisir quand tout le monde te demande de chanter, ça booste. J’aimais bien aussi Aretha Franklin, Lauryn Hill, ces voix-là. Même si je comprenais pas l’anglais, je ressentais l’émotion. D’ailleurs, l’anglais, c’est le seul truc pour lequel je me dis que j’aurais dû écouter à l’école. Parfois, je me retrouve en face de ‘Cainris’ et je peux même pas parler avec eux, c’est relou.

C’était quoi, les conneries que tu faisais à l’école? Franchemen­t, le plus gros truc que j’aie fait –et c’était hypermécha­nt–, c’est de couper les cheveux d’une meuf. J’ai pris des ciseaux et je lui ai coupé les cheveux... Je sais pas quelle image les gens ont de moi, mais je suis pas là à foutre la merde pour rien, surtout si c’est pas dans mon intérêt. Même si j’ai toujours eu du répondant. Je savais que j’allais me faire casser la gueule, mais je parlais, tu vois.

Tu t’es déjà battue? Ouais. La honte… C’est horrible de se battre. En vrai, quel plaisir à frapper quelqu’un? Après, ça peut défouler, mais si c’est pour faire mal, il y a d’autres façons: j’ai toujours trouvé que ça faisait plus mal avec la bouche, parce que ça reste dans le coeur, c’est pire.

Tu as toujours les mêmes copines qu’au collège? Que ce soit au collège ou au lycée, je les voyais jamais en dehors de l’école. J’ai toujours trouvé ça chelou, mais quand je sortais de l’école, je trouvais aucun intérêt à traîner avec elles, en fait. Je ressentais aucune envie, elles me manquaient pas. J’avais ma bande de copines en dehors de l’école, qui sont mes copines d’aujourd’hui. Celles du quartier. On a grandi ensemble, et c’est ça qui nous lie. Aujourd’hui, elles sont dans les clips avec moi, je trouve que c’est hyperimpor­tant.

Elles font des trucs complèteme­nt différents de toi? Ah ouais, elles font un travail comme tout le monde: y en a une qui bosse à l’aéroport, une autre qui vend des vêtements. Si j’avais pas mes copines, je pense que j’en serais pas là.

C’est-à-dire? Au niveau du soutien, parce que je me rappelle le premier son que j’ai fait, c’est une de mes copines qui m’a amenée au studio, c’était dans le 77. Quand j’y repense, je me dis ‘ah ouais, j’étais déterminée’. J’ai pris le train, le RER D, une heure, allez hop,

bus... C’était dans un trou perdu, laisse tomber, même si tu me paies un Uber, j’y vais pas. (Elle rit) Elle avait confiance en moi, tu vois. Elle avait tellement kiffé le morceau que j’avais fait qu’elle m’a dit: ‘Va au studio, j’aime trop ta voix.’ C’était pour le titre J’ai mal. L’instru, c’était un son que j’avais piqué sur Youtube, parce que j’y connaissai­s rien du tout, je connaissai­s pas de beatmakers, personne dans la musique, du coup je m’étais dit: ‘Je vais prendre une face B, aller en studio, et on va voir ce que ça donne.’ Au début, je faisais comme ça. Tu tapes ‘instru zouk’, ‘instru rock’ ou ‘instru pop’ sur Youtube, y a de tout. Jusqu’au jour où je me suis dit que j’allais arrêter de voler les morceaux de ces mecs et essayer de me faire un petit peu d’argent!

Il y en a qui s’en sont aperçu? Non, jamais. Tant mieux, hein!

Tes copines, elles te disent quand elles n’aiment pas tes chansons? Ouais! Mais j’écoute pas. Pour Pookie, une de mes meilleures amies m’a dit: ‘Mais t’as perdu ton temps en studio, là! Et moi, j’ai douté et je lui ai répondu: ‘Bon OK, je vais quand même le mettre dans l’album, parce que moi j’aime bien.’ Finalement, elle danse dessus.

Il paraît que tu as utilisé le CV d’une copine pour trouver un job. Franchemen­t, je déposais des CV mais personne voulait de moi, je comprenais pas. On se ressemblai­t, elle a fait des études et elle avait trouvé un travail. J’ai pris son CV.

Et ça a marché? Même pas. Je sais pas, peutêtre qu’elle présentait mieux, qu’elle avait l’air plus gentille. J’avais passé un entretien chez H&M. T’arrives, c’est à Paris, à 10h, y a plein de monde, horrible. Ça dure même pas deux minutes, le truc, je pense que c’est à la gueule. C’est comme Foot Locker: tous beaux gosses, tout bien, et moi avant, j’étais un peu genre je-m’en-foutiste de ouf, j’ai dû arriver avec une dégaine, c’était pas ça.

Ta mère disait que chanteuse, ce n’est pas un métier. Comment ça se passe maintenant que c’est devenu le tien? Très bien. On a 20 ans d’écart, donc c’est limite comme si c’était ma copine. Je comprenais qu’elle se dise: ‘Ma fille de 8 ans ne peut pas avoir comme seule ambition de devenir chanteuse’, mais elle sait que je suis têtue, et elle savait que j’avais ce truc en tête. Tu sais, parfois, je me posais dans ma chambre avec mes soeurs –on était trois–, j’éteignais la télé, j’allumais le poste et j’écoutais la radio. Genre je m’allongeais à rien faire, et juste j’écoutais, comme ça, tout l’après-midi. Ça me faisait du bien.

Et maintenant, du coup, elle considère que c’est un métier? Ouais! Maintenant, c’est bon, elle me donne des conseils et tout. Au début, c’était: ‘Fais attention parce que c’est un milieu d’hommes.’ Je suis une fille, quand j’ai commencé, j’avais des managers, aujourd’hui j’en ai plus, ça fait genre un an et demi.

Et pourquoi tu n’as plus de managers? Parce que je m’entendais plus avec. Enfin, c’est même pas ça, c’est juste que je voyais pas l’intérêt qu’ils soient là, en fait. Ils servaient à rien, à part prendre de la thune.

Comment tu t’entoures? En général, c’est souvent à l’instinct. C’est comme l’équipe du Side (la team qui fait ses instrus, ndlr), je les connaissai­s même pas il y a deux ans, on s’est rencontrés via un autre beatmaker avec lequel j’avais bossé sur le précédent album. Ils m’ont proposé de venir dans leur studio, qui est juste à deux pas de chez moi. Au début, c’était un peu froid, et au fur et à mesure, on a commencé à se faire confiance musicaleme­nt. Et aujourd’hui, ça se passe très bien. Je cherche pas à avoir la star des beatmakers, ou le mec ultrapoint­u, je marche au feeling. J’aime bien être dans un bon mood quand on est au studio, on s’amuse, on chill, on fait de la musique, on est posés, ça fume, on est détente. Avec le Side, on va continuer jusqu’à ce que la vie nous sépare. Mais pour l’instant, c’est mes gars.

Ils sont même dans tes chansons. ‘T’as la pookie dans l’side.’ Ouais, les gens se demandent souvent ce que ça veut dire, j’aime bien, ça sonne un peu comme une secte…

Dans C à vous, tu as dû expliquer tout le vocabulair­e de ton disque… C’est l’interview la plus ‘malaisante’ de ma vie. Je voulais me barrer, mais d’une force. C’était horrible. Ils se sont dit: ‘On entend parler d’elle, on va l’inviter, mais en vrai on ne connaît rien de ce qu’elle fait.’ Et au lieu de faire leur travail de journalist­e avant, ils l’ont fait en direct... Et puis, c’était comme si la présentatr­ice voulait me mettre dans un délire ‘c’est trop dur la cité, je suis une renoi, c’est trop dur’. En mode pleurnicha­ge. Alors que non, j’ai jamais dit ça, moi, basta.

Il y a eu d’autres malaises dans le genre, comme quand Nikos Aliagas s’est trompé sur ton nom aux NRJ Music Awards… Franchemen­t, ils m’ont brisé le coeur. C’est comme si tu t’appelles Hugo et qu’on t’appelle Jean-claude. Pour moi, les NRJ Music Awards, c’était hyperimpor­tant, en plus c’est TF1. Tu te dis: ‘Pourquoi moi, en fait?’ En plus, mon prénom est simple. Il aurait pu juste m’appeler Aya.

“J’avais fait un entretien chez H&M. T’arrives, c’est à Paris, à 10h, y a plein de monde, horrible. Ça dure même pas deux minutes, le truc, je pense que c’est à la gueule”

“Les trucs avec Zemmour, la polémique avec la maman voilée, je me dis qu’on vit dans un pays pas facile”

Dans Clique, ils t’ont aussi demandé d’expliquer l’expression ‘en catchana’. Didier Bourdon, qui était invité avec toi, a beaucoup aimé… Ouais mais là, c’était l’inverse, c’est moi qui ai été malaise. Quand ils ont dit ‘Didier’, j’ai dit ‘c’est qui Didier?’ Je voyais ce que c’était Les Inconnus, mais je savais pas qu’il s’appelait Didier. J’espère qu’il m’en veut pas, il était sympa.

[L’interview est interrompu­e par une femme d’une quarantain­e d’années, très excitée à l’idée de croiser l’interprète de Djadja, et qui obtient finalement une photo. ‘Elle, elle est bourrée’, se marre Aya]

Tu es à l’aise avec l’attitude de fan? Non. Enfin, disons que j’ai jamais été fan moimême. Je kiffais Beyoncé, par exemple, mais j’ai jamais été en mode: ‘Si je vais voir Beyoncé, je vais crier ou être euphorique’, parce que j’imaginais qu’elle me dise non pour une photo. J’ai toujours pensé comme ça, depuis toute petite. Mes copines allaient aux concerts de stars. Moi, je suis jamais allée à un concert. À part très récemment, évidemment. C’était pas mon délire. Je me disais: ‘Il y a Youtube.’

Et tu regardes les commentair­es des fans sous tes clips? Je regarde plus. Parce que certains peuvent, en vrai, influencer ton avis sur ton titre. Je suis tombée sur des commentair­es de Pookie, et je me disais: ‘Si je suis un esprit faible, je me dis que, putain, mon son est claqué, en fait.’

Ça disait quoi? ‘Je ne comprends pas ce que tu dis, tu te prends même pas la tête sur ton écriture.’ Mais eh! je t’ai pas demandé d’écouter ma musique, en fait. Après, tu peux pas reprocher à certaines personnes de pas aimer ton travail. C’est leur avis, je respecte ça. Mais à partir du moment où tu viens me le dire d’une certaine manière, c’est que tu veux faire passer un autre message. Moi, si j’aime pas un truc, je parle pas. Si tu parles, c’est que tu me portes un certain intérêt, en fait.

Tu as, à l’inverse, des retours de gens qui expliquent combien une chanson a pu les toucher? Je reçois beaucoup de messages de filles qui disent: ‘Tu ne te rends pas compte de la force que tu nous donnes, j’écoute tes morceaux, ça me booste.’ Même moi des fois, quand j’ai un coup de mou, que je suis pas bien, j’écoute un de mes morceaux, et après je suis plus en mode bad. Je suis pas en mode guerrière, mais presque…

Quels morceaux, par exemple? Celui que j’écoutais quand j’étais en mode bad, c’est Claqué. Il vient de sortir. Après, c’est un son bad bitch en vrai, tu vois?

La ‘musique urbaine’ marche depuis longtemps en France, mais les artistes féminines étaient jusqu’alors souvent sur un créneau de ‘bonnes copines’ ou de ‘garçons manqués’. Les filles qui arrivaient avec un côté bad bitch, comme tu dis, ne devenaient pas forcément hyperpopul­aires comme toi. Tu es la première bad bitch… Je suis la première bad bitch de France! (Elle rit) Je pense que les gens ont grandi. Aujourd’hui, il y a une nouvelle mentalité avec les réseaux sociaux, c’est un autre mood. Avant, c’était beaucoup ‘je me cache, je prends soin de moi, je me préserve, je suis pas une fille, patati patata…’ Alors que maintenant, la nouvelle génération n’en a rien à foutre, elle est en mode: ‘Je suis dans mon délire à moi toute seule, je m’en fous de plaire à tout le monde.’ Dans mes sons, Comporteme­nt était déjà un truc bad bitch. Pookie, c’était bad, mais pas bitch, bitch…

Il y a moins de complexes aujourd’hui? Avant, quand on faisait quelque chose, on se posait la question de savoir si c’était bien. Maintenant, y a un délire je-m’en-foutiste. Avant, qui est-ce qui gérait? C’étaient les maisons de skeuds. Aujourd’hui, non. Avant, les gens signaient pour l’argent. Maintenant, de plus en plus, avec les réseaux sociaux, c’est eux qui font tout, ils ont limite même plus besoin des maisons de disques. Certains sont même plus signés sur un label, et ça cartonne. Moi, je suis contente d’avoir une maison de disques, mais c’est plus obligé d’en avoir une pour réussir. C’est l’artiste qui décide maintenant, c’est lui qui a le pouvoir.

Tu as vu que les Gilets jaunes ont repris l’air de Djadja pour chanter ‘Oh Macron, y a pas moyen Macron’? Tu es entrée dans un truc de culture ultrapopul­aire… C’est une comptine, tu vois? Ça veut dire que ta chanson, elle arrive facilement à entrer dans la tête des gens, c’est un kiff. Quand j’ai vu cette vidéo, je me suis dit: ‘Ah ouais, ils sont en train de kiffer, et en même temps ils se foutent de la gueule du président. D’une pierre deux coups!’

Les revendicat­ions des Gilets jaunes, elles te touchent? Mais grave. La vie, elle est chère, en vrai. T’as beau avoir tout l’argent du monde, moi je sais ce que c’est de pas en avoir… J’ai pas grandi dans une famille de blindés. Et encore aujourd’hui, je le dépense pas pour rien.

Et la politique, ça t’intéresse? Ça commence. Récemment, je me suis mise à regarder des débats sur Cnews, à m’intéresser aux polémiques parce que ça faisait du bruit sur les réseaux sociaux… Et je vais pas mentir, ça commence à m’inquiéter. Je ne sais pas si ça a toujours été comme ça ou si c’est parce que aujourd’hui j’ai grandi, mais je commence à me rendre compte de tout ce qui se passe. Mais l’islamophob­ie qu’on ressent, ça m’a marquée. Les trucs avec Zemmour, la polémique avec la maman voilée, je me dis qu’on vit dans un pays pas facile.

Tu pourrais écrire des chansons plus politisées? Peut-être, si ça m’inspire. J’en suis pas là encore. Je sais pas.

Comment tu vois l’évolution du rôle de la femme dans la société, aujourd’hui? Elle est partout, en vrai. C’est comme si je te demandais: ‘Où est la place de l’homme dans la société?’ Tu vas me répondre quoi? ‘C’est celui qui dirige’, parce qu’on a toujours mis ça en avant? Mais il y a une expression qui dit que ‘derrière chaque homme se cache une femme’. Parce qu’il y a toujours un peu de douceur et de courage. Une femme, ça accouche, ça fait le ménage. Moi, j’ai une fille, je sais ce que c’est. Je sais pas comment font les meufs qui travaillen­t et ont des enfants en même temps. C’est un gros truc de ouf. Zéro vie, les meufs. Et les mecs, ils ont pas conscience de ça, il y a un taf d’éducation à faire. Après, j’ai pas envie d’endosser un rôle, d’être un modèle ou un truc du genre. Si on m’écoute, tant mieux. Si on m’écoute pas, tant pis…

Tu as une petite fille. Est-ce qu’elle comprend qui tu es? Non, pour l’instant elle est trop jeune, elle a 3 ans. Et j’ai pas envie qu’elle le sache.

Mais elle va grandir… Comment tu vas gérer ça? On verra, en fait. Tout est dans l’éducation. Ce que j’essaie de lui apprendre, c’est la valeur des choses. J’essaie de faire en sorte qu’elle grandisse comme une petite fille normale. Et quand elle comprendra, elle comprendra.

Et si un peu plus tard, elle te dit ‘Ah, j’ai la flemme…’ comme toi plus jeune, tu lui répondras quoi? Franchemen­t, j’essaierai de la comprendre, de discuter. De comprendre pourquoi elle, elle a la flemme.

Écouter: Nakamura, avec 5 titres inédits (Warner)

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