MAUVAIS FRUITS
Figée dans un état de décomposition permanent, la série Bad Fruit de l’artiste américaine Kathleen Ryan relève autant du tour de force artisanal que d’un symbole de décadence: ces représentations à grande échelle d’agrumes mourants sont en effet réalisées à partir de l’assemblage méticuleux de pierres précieuses, venant reconstituer toute la palette formelle de la pourriture. “Les sculptures sont belles et agréables à regarder, mais il y a une certaine laideur et un malaise qui vont avec”, expliquait récemment au New York Times cette trentenaire originaire de Santa Monica, en Californie, par ailleurs ville championne de la production d’oranges. Émeraudes, améthystes, quartz roses et autres lapis-lazulis, les minéraux utilisés pour habiller des formes directement sculptées dans des blocs de mousse sont souvent hors de prix, et leurs interactions virtuoses, le résultat de longues semaines passées à observer le phénomène de dépérissement, une expérience organique salutaire pour l’artiste après un passage vraisemblablement aliénant dans le studio de fabrication de Jeff Koons (“Je n’en pouvais plus de tout concevoir sur un tableur”). Quant à la leçon à en tirer, Kathleen Ryan envisage ses moisissures onéreuses comme des vanités contemporaines: “Cette course à l’opulence, opérée au détriment de l’environnement et de l’égalité sociale, contient déjà en elle les germes du déclin.” Sans blague.