Society (France)

“J’ai été construit par la guerre froide”

Philippe R., 27 ans à l'époque, fonctionna­ire des douanes

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“En 1989, je travaillai­s en banlieue parisienne, dans un bureau de douanes. Un de mes collègues était devenu un ami. On était, on va dire, des idéalistes. J’avais 27 ans. Avec la chute du mur, l’histoire nous a rattrapés. Il se trouve que je venais juste d’acheter une voiture neuve, et ce copain me dit: ‘Écoute, t’as une voiture, moi un marteau, si on allait passer le week-end à Berlin?’ On décide de partir le vendredi, à quatre dans la voiture avec deux autres potes. J’ai du mal à me rappeler si c’était fin novembre ou début décembre, mais mon épouse allait bientôt accoucher, mon fils est né le 13 décembre 1989. Ça a été un petit drame familial. Elle m’a dit: ‘Tu prends le risque de partir et de rater la naissance de ton fils…’

Pour arriver là-bas, on a traversé une partie de l’allemagne de l’est en voiture, sur une autoroute est-allemande grillagée qui permettait la connexion entre l’est et l’ouest. L’histoire était encore incertaine. Ça paraît plié aujourd’hui, mais au moment où on l’a vécu, ce n’était pas si clair que ça, un rebond du régime estalleman­d n’était pas tout à fait impossible. Il y avait encore tout un État derrière, une armée, la Stasi, tout ça existait encore. Le mur, il aurait fallu beaucoup de temps pour qu’il disparaiss­e complèteme­nt… Mais tous les jours, des gens comme moi, originaire­s d’un peu partout dans le monde, venaient gratter un peu de mur, des fragments colorés, et donc participai­ent à sa destructio­n.

On a déjeuné côté Est, dans un restaurant d’allure très soviétique. Ce n’était pas seulement un déplacemen­t géographiq­ue, c’était aussi un voyage dans le temps. C’étaient des petits détails: il y avait des interrupte­urs électrique­s qui me faisaient penser à ceux de la maison de mes grands-parents, des choses un peu vieillotte­s. Il n’y avait aucun panneau publicitai­re, vous savez, l’environnem­ent

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