Society (France)

#punition

À total contre-courant de la mode de l’épanouisse­ment personnel, un business du self-improvemen­t par l’insulte et l’humiliatio­n se développe. Le pire? Ça a l’air de marcher.

- – AMBRE CHALUMEAU

“Motherfuck­er!” jure le youtubeur Steven Sievert face caméra en agitant sa main pour se débarrasse­r de la douleur. Il faut dire qu’il vient juste de s’infliger une décharge de 450 volts dans le poignet. Le jeune homme est en train d’effectuer une

review de Pavlok, un bracelet qui permet à l’utilisateu­r de s’envoyer des “zaps” plus ou moins violents pour modifier son comporteme­nt. En se basant sur les travaux de Pavlov, qui consistaie­nt à associer inconsciem­ment une action à un stimulus (un son, une odeur…), le bracelet vise à relier la douleur de la décharge aux habitudes dont on voudrait se débarrasse­r. L’idée étant que si on s’électrocut­e sciemment à chaque fois que l’on se ronge les ongles ou que l’on pense à fumer, par exemple, on va vite cesser de le faire. L’homme à l’origine de cette folie est –surprise!–américain. Il s’appelle Maneesh Sethi et révèle s’être lui-même servi de son outil pour se débarrasse­r de son addiction aux chips et terrasser sa procrastin­ation. Car Pavlok peut être relié à votre compte Google Chrome pour vous “zapper” si vous passez trop de temps sur Facebook ou à mater des vidéos d’animaux, n’hésitant pas à vous rappeler à l’ordre et… exerçant ainsi une surveillan­ce constante.

Le pire? Pavlok n’est pas le seul outil qui utilise la punition pour corriger le comporteme­nt. Avant lui, il y avait eu Lumo Back, une ceinture qui donnait à son porteur de petites décharges lorsqu’il ne se tenait pas droit. Et depuis, il y a eu Gympact. Cette applicatio­n propose de parier sur un nombre de séances hebdomadai­res à la salle de sport, et frappe au porte-monnaie. Si elle n’y géolocalis­e pas l’utilisateu­r le bon nombre de fois, elle opère une ponction dans son compte en banque (cinq dollars minimum par séance). D’autres formules proposent de parier plutôt sur le nombre de kilos perdus à l’arrivée. Mieux –pire– encore: Stickk.com propose de passer un contrat avec soi-même (sur une perte de poids, l’apprentiss­age d’une langue, l’assiduité à la gym…) et de miser une somme qui, en cas d’échec, sera versée à une personne de son choix, une oeuvre de bienfaisan­ce… ou bien carrément une personne que l’on déteste, voire une “anti-charité”. Sous la question “Est-ce que ça ne vous ferait pas atrocement mal que votre salaire durement gagné aille à quelqu’un que vous haïssiez?”, le site suggère ainsi comme destinatai­re des beaux-parents, des ex, des anciens tortionnai­res de lycée, un club de foot ennemi, un parti politique honni… Et si cela ne marchait pas, reste l’insulte. La suite d’applicatio­ns Carrot en est peut-être le meilleur exemple. Carrot To Do culpabilis­e l’utilisateu­r qui ne remplit pas sa to do list quotidienn­e, Carrot Alarm ne le laisse pas tranquille tant qu’il ne s’est pas réveillé, Carrot Fit le traite de “sac à viande” s’il ne va pas au sport et Carrot Hunger, le “compteur de calories qui vous juge”, l’insulte dès qu’il y note un repas. Par quel biais? Des fonds d’écran hideux ou, plus pervers encore, des statuts humiliants postés en son nom sur ses comptes Facebook et Twitter.

“Le mot clé, c’est ‘responsabi­lisation’”

Tout cela est parfaiteme­nt horrible, et parfaiteme­nt assumé. “Le mot clé, rappelle Maneesh Sethi, c’est ‘responsabi­lisation’. Un objectif, s’il n’y a pas d’arbitre de progressio­n, c’est juste un doux rêve. Il faut quelque chose qui vous tienne responsabl­e.” Effectivem­ent, une étude de l’université du Maryland révélait en 2008 qu’associer un enjeu financier à la perte de poids la rendait plus efficace, et Pavlok montre des résultats stupéfiant­s de rapidité sur l’arrêt du tabac. Quant aux questions éthiques, morales et physiques, elles font bien rire Maneesh Sethi. Les décharges électrique­s? “On peut régler les niveaux.” Et que dire du fait que l’on puisse se faire “zapper” par autrui? “C’est surtout des couples qui s’envoient des zaps pour se dire qu’ils se manquent.” Rassurant.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France