Society (France)

“Même la socialdémo­cratie n’est pas à l’abri”

- AXEL CADIEUX

Grandi à Montfermei­l, révélé en 2001 avec Wesh wesh, qu’est-ce qui se passe?, le cinéaste Rabah Ameur-zaïmeche revient aujourd’hui avec Terminal Sud, un film qui met en scène un docteur joué par Ramzy Bedia confronté au déclenchem­ent d’une guerre civile dans son pays. Toute ressemblan­ce…

D’où vient l’idée du film? Le vrai point de départ, c’est la décennie noire algérienne: la confiscati­on du processus électoral en 1991, et puis l’horreur absolue qui d’un seul coup, comme une vague scélérate, s’abat sur le pays et sur le peuple algérien. Ça a duré de très longues années, avec des dizaines de milliers de morts et des milliers de disparus. Une catastroph­e, tout ça pour garder la mainmise sur les matières premières, une manne considérab­le pour ceux qui étaient au pouvoir.

Tu faisais quoi, dans ces années-là? J’étais étudiant à Paris-v, je faisais des études d’anthropolo­gie, je me sentais très en colère et parfaiteme­nt impuissant. On ne joue pas avec les principes démocratiq­ues: si on lance le processus, il faut aller jusqu’au bout. Le peuple avait tous les droits de monter au maquis. On lui a volé sa révolution, on l’a mis dans un tourbillon, une spirale cauchemard­esque.

Ce qui t’intéressai­t avec ce film, c’est de montrer la manière dont un État de droit peut dégénérer en quelques jours? Exactement. Ce moment de glissement où la confusion se propage et s’étale dans tous les champs sociaux. Le moment où les forces de l’ordre sont floues, se masquent et se cachent, sont toutes hérissées de fusils d’assaut et d’armes de guerre. On ne sait pas si elles sont légitimes, illégitime­s, représenta­ntes de l’état, des gangsters, des mafieux ou encore des rebelles insoumis. En plus, en plein milieu de l’écriture du film, on a assisté à une répression massive au Maroc, avec de nombreuses arrestatio­ns. Le présent a complèteme­nt percuté notre écriture sur le passé, et heureuseme­nt.

Est-ce que ce qui se passe aujourd’hui en France t’a aussi influencé? Mais complèteme­nt! Je ne mets pas les situations sur le même plan, mais ça fait écho. En un sens, c’est un film d’anticipati­on. Même la Suède, avec sa social-démocratie, n’est pas à l’abri.

Est-ce pour ça que tu fais le choix assez fort de ne pas situer le film, ni dans l’espace ni dans le temps? C’est ‘autour de la Méditerran­ée’, on ne sait pas trop quand ni où. C’est ça aussi le cinéma, la puissance d’évocation et d’imaginaire. J’ai progressiv­ement senti, comme une évidence, que le tournage ne devait pas se faire en Algérie. On avait l’autorisati­on, mais le film n’aurait parlé que de l’algérie, alors que c’est un phénomène bien plus vaste qui peut concerner tous les États. Ça aurait sclérosé le sujet. Je voulais brouiller les frontières, distiller de l’incertitud­e, ne pas être coincé. Donc on a tourné trois semaines à Nîmes, puis dans la région de Fos-sur-mer, et enfin à Grasse.

Pourquoi avoir choisi un médecin pour personnage principal? Je trouvais que c’était le personnage le plus approprié pour être au plus proche des douleurs et des souffrance­s des gens. Il encaisse, encaisse, et puis finit par devenir alcoolique, voit son corps s’épaissir, sa voix se modifier… Ça m’intéressai­t. Et puis, en Algérie, les premières victimes ont été les intellectu­els, les journalist­es, mais ils s’en sont pris aussi beaucoup aux docteurs. Au milieu des rumeurs, de la parano, de la psychose, des maladies mentales rampantes, les médecins faisaient partie des derniers à conserver un peu de rationalit­é alors que tout était devenu irrationne­l.

C’est un personnage complexe, très attaché à la population, mais qui finit par fuir… Face à la répression policière d’un État qui te vise personnell­ement, il n’y a pas mille issues, il y en a deux: soit tu meurs, soit tu tapes la fuite. Lui fait le choix de partir, seul. À la fin, alors qu’il s’en va, on voit des rayons de soleil comme mille feux sur une mer calme, et au dernier moment, un oiseau surgit, s’envole et s’échappe de l’écran par la gauche. À ce moment-là, c’était clair: à bâbord! À gauche, toute!

Voir: Terminal Sud, de Rabah Ameur-zaïmeche, en salle le 20 novembre

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