Society (France)

“Beaucoup de chefs ont pris la grosse tête”

- Anna Polonsky Créatrice de l’agence Polonsky & Friends

Son oncle et sa tante géraient les uniformes Bragard, et son père est “très bon cuisinier”. Il fallait donc qu’anna Polonsky trouve une activité périphériq­ue à la gastronomi­e. À 18 ans, dans le cadre de ses études à Sciences Po, elle part à New York faire un stage dans le luxe qui “finit de [la] dégoûter de ce milieu”, et bifurque pour travailler dans un restaurant et écrire pour le guide des Pintades. En rentrant en France, après un stage au Fooding, elle retourne développer la marque dans la Grosse Pomme. “J’ai commencé à conseiller des restaurant­s en free-lance parce que les agences de com’, c’est de l’arnaque. Les chefs ne savaient pas ‘packager’ leurs restaurant­s. Soit ils faisaient tout tout seuls, soit ils engageaien­t quatre agences.” Anna Polonsky lance The MP Shift, une agence “360” prenant en charge le positionne­ment, l’architectu­re d’intérieur, la stratégie marketing, etc. Ses amis chefs français ont beau lui dire que “la bouffe n’est pas une industrie comme les autres”, elle fait bientôt travailler quinze personnes. Elle a parfois du mal avec le “purisme français”, ce côté “pas à l’aise avec le business”, et ne comprend pas non plus pourquoi on focalise tant sur les tatouages des nouveaux chefs. “C’est vrai que les chefs sont starisés, mais mon mari a 40 ans et quand il a décidé d’être chef à 15 ans, c’était la honte pour ses parents, donc c’est génial que ce soit revalorisé. Et en même temps, ça a créé des monstres. Beaucoup de chefs ont pris la grosse tête, et ça génère un snobisme contre-productif.” Constatant que son agence travaille de plus en plus sur les projets de “grosses boîtes qui ne [s’intéressen­t] pas vraiment à la gastronomi­e mais [veulent] un ‘food court’ parce que [c’est] cool”, elle quitte The MP Shift et crée Polonsky & Friends. “C’est bien d’avoir 600 000 followers, mais il y a tant de problèmes autour, c’est une industrie tellement polluante, que je trouve qu’il n’y a pas assez d’engagement de la part des chefs.” Désormais, elle travaille donc avec James Henry, chef australien qui a ouvert une ferme-restaurant autosuffis­ante en Essonne ; le chef activiste nigérien Tunde Wey, à la Nouvelle-orléans, qui a fait parler de lui en proposant un diner où les Noirs et les Blancs ne payaient pas le même prix ; mais aussi la chaîne de restaurati­on rapide Shake Shack, qui lui a demandé de réaliser “des posters de sensibilis­ation après #Metoo”. Elle le clame: “Le restaurant du futur sera engagé ou ne sera pas.” Engagé et marketé, bien sûr. “Malheureus­ement, il ne suffit plus d’avoir la qualité et le fond, il faut communique­r. J’en ai vu un grand nombre essayer sans communique­r, il n’y en a pas beaucoup qui ont survécu. Même Camdeborde est allé à Masterchef. Le dernier restaurant qui peut surfer là-dessus, c’est le Chateaubri­and, qui n’a jamais investi dans la presse ou les réseaux sociaux. Eux, ce sont de vrais puristes.”

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