Society (France)

“Des mondains ouvrent des restos parce qu’ils ont du flouze”

- Fred Peneau Cofondateu­r du Chateaubri­and et du Dauphin, et fondateur du kebab gastronomi­que Grillé Inaki Aizpitarte Chef du Chateaubri­and

Fred Peneau: Quand je me suis lancé dans la restaurati­on, il y avait des petits bistrots classiques parisiens et des grands gastros, mais pas beaucoup d’intermédia­ires. Inaki Aizpitarte: Il y avait eu l’élan donné par Yves Camdeborde. On a pu trouver un nouveau style de restos, plus personnel, créatif, décontract­é. FP: C’était vraiment les débuts de la ‘bistronomi­e’. Quand on a ouvert Le Chateaubri­and avec Inaki en 2006, il y avait un truc punk et animal, on n’en avait vraiment rien à branler, on voulait travailler des bons produits, faire des menus à quatorze euros le midi et avoir un endroit festif. Je ne sais pas si c’est encore possible aujourd’hui de se lancer dans la bouffe avec cet état d’esprit. Il y a beaucoup de concurrenc­e. IA: J’ai le sentiment qu’il n’y a plus vraiment de courant culinaire, tout est représenté. Beaucoup de gens mondains ouvrent des restaurant­s parce qu’ils ont un peu de flouze. Ils débauchent le second d’un resto et c’est parti, on ouvre vite et on fait ce que font les voisins, ce qui marche, en pensant que la bouffe est un nouvel eldorado. Ah on en a vu, des betteraves à la faisselle... FP: Rien qu’en termes de déco, de style, il y a des mimétismes. Le noir, le blanc, les ampoules à filament, on a du mal à se détacher de tout ça. IA: On a vu plein de restaurant­s en bois clair avec des ampoules qui pendent. Dans beaucoup d’endroits, tu sais pas où t’es. T’as des restaurate­urs qui vont à Copenhague pour voir ce qu’ils vont faire. FP: C’est bizarre, d’ailleurs, aujourd’hui, il y a un côté ‘obsession’ avec la cuisine. Il y en a partout. T’allumes la télé, t’as de la bouffe, tu zappes, de la bouffe. C’est une valeur refuge, il y a un petit côté fin du monde. Un autre truc que j’ai remarqué, c’est qu’il faut de la mise en scène. À Londres, il n’y a pas un restaurant où les chefs ne sont pas dans une cuisine ouverte comme sur une scène de rock. Il faut que ce soit un show. Si tu ne mets pas en scène ton chef dans ton restaurant, tu as beaucoup moins de chances d’y arriver. Même pour un étoilé, si ta cuisine est en sous-sol, c’est dur. Globalemen­t, pour les étoilés, c’est dur, parce que tu peux manger dans des petits restos pas mal du tout, et on vit dans une société où on passe beaucoup moins de temps à table. Comme il y a énormément de concurrenc­e, le storytelli­ng a pris de la place, il faut raconter des histoires, ça devient un peu théâtral. C’est de plus en plus compliqué de servir en disant: ‘Voilà le cochon, bon appétit!’ Je déconseill­e. IA: Il y a beaucoup de gens qui font de la communicat­ion, du pop-up, du business, pas de la cuisine. Ils sont nulle part, et pourtant on les connaît. FP: Aujourd’hui, t’as les chefs Instagram et ceux qui ne le sont pas. Pour le futur, mon conseil, c’est: travaillez le style autant que la bouche, peut-être même plus, et tatouez-vous.

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