Society (France)

Coke en stock

Depuis quelques semaines, la côte atlantique voit affluer des hordes de petits malins à la recherche de paquets de cocaïne. Et pour cause: des ballots de poudre blanche s’échouent sur la plage, sans discontinu­er. Reportage.

- – MAXIME RECOQUILLÉ ET THÉO DU COUËDIC, EN LOIRE-ATLANTIQUE

Depuis quelques semaines, des ballots remplis de cocaïne s’échouent sur la côte Atlantique. Résultat? Des petits malins passent leurs nuits les pieds dans le sable, voire dans l’eau, une lampe torche à la main. Sait-on jamais, sur un malentendu…

Vincent a attendu la fin de sa journée de travail, puis il a pris la direction de la côte sauvage et s’est garé près d’une crique. Là, aidé de la lumière de son téléphone, il s’est mis à taper dans de gros tas d’algues. “J’ai fait ça pendant 20 minutes, puis je me suis découragé…” Le jeune homme de 29 ans habite Pornichet, une commune collée à La Baule, en Loire-atlantique. Il se décrit comme “un fumeur de joints occasionne­l” à qui il a pu arriver de vendre un peu d’herbe, plus jeune. “Dealeur? C’est un bien grand mot.” Comme “un paquet de connaissan­ces” autour de lui, il a pourtant participé à la chasse aux ballots de cocaïne qui s’échouent depuis plusieurs semaines sur celle que l’on surnomme désormais la “coke atlantique”. Tous ont entendu parler de la “marée blanche” qui a suivi le passage de la tempête Amélie, le premier week-end de novembre. La presse locale rapporte alors la découverte de cocaïne dans le pays de Retz, aux Moutiers et à La Bernerie. Dans les heures et les jours qui suivent, la drogue arrive en masse, par paquets d’un à cinq kilos, sur les plages de Charente-maritime, de Gironde, des Landes et du Pays basque. Des pains sont ensuite retrouvés en Bretagne, sur la pointe du Finistère et à Belle-île-enmer (Morbihan), les 12 et 13 novembre. Au total, les autorités récupèrent plus d’une tonne de poudre blanche sur 750 kilomètres de côtes. La plupart des ballots sont floqués des mots espagnols “Diamante” et “Brillante”. Leur origine? “Nous privilégio­ns un délestage à la suite d’une avarie ou d’une tempête, commente Philippe Astruc, le procureur de la République de Rennes, en charge

de l’affaire. C’est de la cocaïne qui provient vraisembla­blement d’amérique du Sud, le lieu de production.” Les analyses opérées sur les ballots vendéens ont permis d’estimer la pureté de la drogue à 83%. Un taux potentiell­ement mortel pour les non-initiés. “Pour le consommate­ur habituel, ça ne posera pas de problème ; il a le nez, si vous me permettez l’expression. Mais pour les autres, il faut absolument qu’elle soit coupée”, commente Nacer Lalam, spécialist­e de l’économie de la drogue à l’institut national des hautes études de la sécurité et de la justice, qui alerte sur “la question sanitaire” que soulève cette soudaine arrivée de drogue de pureté élevée sur nos rivages.

“On voit traîner des loustics de la banlieue nantaise. Qu’est-ce qu’ils en ont à foutre, ces mecs-là, de se promener sur la plage?” Un couple à La Bernerieen-retz

Deux paquets emballés avec du scotch noir

“Si j’en trouve, je l’enterre direct, j’attends un peu, puis je refourgue la marchandis­e à des mecs qui en vendent déjà, à Saint-nazaire ou à La Baule. Cinq kilos, ça peut aller vite, si tu la coupes, tu peux en sortir 20”, fantasme Vincent. Le gramme de coke se vendant 70 euros en moyenne dans l’hexagone, le calcul est vite fait –20 kilos pourraient rapporter 1,4 million d’euros. Pourtant, comme la plupart des “chercheurs” croisés sur les plages de Loire-atlantique ces derniers jours, Vincent a entendu parler des risques encourus. Le 18 novembre dernier, un ancien champion de Bodyboard était arrêté en Gironde en possession de près d’un kilo de cocaïne échouée sur la côte. Il a écope de huit mois de prison ferme. Depuis le début de la marée blanche, la gendarmeri­e de Pornic (Loire-atlantique) quadrille une vingtaine de kilomètres de rochers, de criques, de parcs à huîtres et de sentiers qui mènent à de petites plages, de Préfailles aux Moutiers-en-retz. Un périmètre compliqué à baliser, au contraire des longues plages de Gironde, comme Lacanau ou Arcachon, qui ont été fermées par des arrêtés municipaux. “On repère les voitures stationnée­s près des plages, où il n’y a personne normalemen­t au mois de novembre, parce que ça caille. On voit des gugusses se balader avec leurs lampes en pleine nuit, dans les rochers, en baskets. Ils ne regardent même pas les marées, ils n’y connaissen­t rien”, explique une gendarme adossée à la portière de sa voiture de patrouille, à quinze minutes de la fin de son service. Avec son collègue, ils en ont vu de belles, ces derniers jours. “L’autre soir, je suis tombée sur des jeunes à la recherche d’une gourmette qu’ils disaient avoir perdue dans les rochers au cours de l’après-midi. Sauf que la mer était haute, à ce moment-là. Quand je leur ai fait remarquer, il y a eu un grand silence.” “Moi, je suis tombé sur une bande qui disait partir à la pêche à la crevette.” “Il y aussi celui qui écrivait un bouquin sur les perles.” “Ou ces deux copains qui venaient de la région nantaise pour discuter de ‘problèmes familiaux’. Bon, quand on les passe au fichier, ils ont des casiers longs comme ça… Ce ne sont pas des enfants de choeur. Généraleme­nt, les riverains nous préviennen­t quand ils voient quelque chose de suspect. Ici, c’est plutôt troisième âge.” “Depuis quelques jours, on voit traîner des loustics de la banlieue nantaise en casquette et en jogging. Qu’est-ce qu’ils en ont à foutre, ces mecs-là, de se promener sur la plage?” raille un couple de locaux sur la plage de La Bernerie-en-retz.

Au loin, une longue silhouette retourne des tas d’algues, crochet en ferraille à la main. “Il y a dix jours, je ramassais du bois flotté et des petites bricoles, quand mon fils a trouvé deux paquets emballés avec du scotch noir, dit l’homme, le regard vissé au sol, sans s’arrêter. J’ai tout de suite compris que c’était quelque chose de louche. Je les ai apportés au commissari­at, j’étais obligé, pour montrer à mon fils que ce n’est pas bien.” Il poursuit, d’une voix couverte par le bruit des vagues: “J’ai l’habitude de faire les plages. La plus belle chose que j’aie trouvée, c’était une statuette égyptienne, en Tunisie, avec un détecteur de métal. Il y a des lois maritimes. Ce qu’on glane sur la plage, ça appartient à celui qui le trouve.”

À quelques kilomètres de Belle-île-enmer, le dernier spot médiatisé de la “coke atlantique”, Maxime arpente la longue plage d’erdeven, Bruce Springstee­n dans les oreilles. Le jeune homme de 26 ans travaille dans la surveillan­ce maritime, il ramasse des déchets sur son temps libre. “Les vents viennent du nord-ouest en ce moment, donc je miserais plutôt sur de nouvelles arrivées de cocaïne dans le sud, vers la Gironde et les Landes, estime-t-il. À mon avis, toute la cargaison ne s’est pas encore échouée. Les enquêteurs et chercheurs de coke, ça va les tenir tout l’hiver.” Aux dernières nouvelles – les autorités ont décidé de fermer le robinet d’informatio­ns–, plus de 200 kilos de cocaïne auraient été saisis depuis l’épisode de Belle-île-en-mer, sans indication cette fois sur les plages touchées.

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À La Rochelle.
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 ??  ?? À Noirmoutie­rs.
À Noirmoutie­rs.
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