De guerre lasse
Il y a dix ans, le reporter de guerre Paul Marchand, notamment passé par l’ex-yougoslavie, mettait fin à ses jours. Alors qu’un film consacré à son histoire sort en salle, trois anciens camarades se souviennent.
Il y a dix ans, en 2009, le journaliste français Paul Marchand mettait fin à ses jours. Une quinzaine d’années plus tôt, il avait couvert le siège de Sarajevo par l’armée serbe. Alors qu’un film lui est consacré et que son livre racontant son expérience de correspondant de guerre, Sympathie pour le diable, est de nouveau publié, trois anciens camarades se souviennent du conflit, de leur aventure collective et de l’homme.
On parle souvent de ‘génération Sarajevo’ pour présenter la petite bande de journalistes français présents pendant le siège et dont faisait partie Paul Marchand. Comment vous êtesvous retrouvés là-bas? Philippe Lobjois: La Yougoslavie explose un an après la guerre du Golfe. Les reporters de guerre sont alors en train de cuver ce conflit. On envoie donc d’abord les correspondants qui se trouvent en Italie regarder ce qui s’y passe. Vous imaginez ce que ça veut dire? Vous êtes habitué à couvrir le Vatican, et vous vous retrouvez en Croatie, face à des mecs barbus qui boivent de la rakia. Ces journalistes-là, quand ils arrivent, se disent: ‘Ce sont des nazis’, et veulent repartir aussi vite. Éric Biegala: Il y avait énormément de reporters chevronnés, dans les grandes chaînes anglo-saxonnes et les journaux français, pour qui le reportage principal concernait le Proche-orient ou le Moyenorient. La Yougoslavie était une machine bizarre, que personne ne connaissait vraiment. Rémy Ourdan (qui a couvert le conflit pour Le Monde, où il travaille aujourd’hui, ndlr), me dit alors: ‘C’est notre chance, il n’y a personne.’ On appelle toutes les rédactions, on se les partage. J’étais un inconnu, et pourtant aucune n’a dit non. Même Le Monde a répondu: ‘Rappelez-nous de là-bas.’ Alors, on y est allés. J’avais 26 ans, Rémy, 23. Et de nombreux jeunes free-lance ont fait comme nous. PL: Quand on arrive à Sarajevo, il y a déjà Paul Marchand. Il est un peu plus âgé, il a déjà la trentaine, huit ans d’expérience à Beyrouth-ouest, où il a échappé à une tentative d’enlèvement. Il est à l’aise, il est caustique et sarcastique, et il devient très vite une petite star locale. Il répétait: ‘Je vais vous raconter la vie.’ EB: La première fois que je le vois, il est en chemise rose Kenzo assez chère, en pantalon en cuir très cher, il tire sur son cigare… Je me dis: ‘Qu’est-ce que c’est que ce mec?’ Trois heures plus tard, je me fais tirer dessus. Trois personnes m’ont cherché partout dans la ville, dans les hôpitaux. Paul Marchand en faisait partie.
Paul Marchand disait qu’un bon correspondant de guerre est d’abord quelqu’un qui va compter les morts à la morgue. Ça veut dire quoi?