Society (France)

“Papa, il a tué maman”

- PAR JOACHIM BARBIER, HÉLÈNE COUTARD ET LUCAS MINISINI

Longtemps cantonnés aux rubriques de faits divers, les féminicide­s –les meurtres de femmes par leur conjoint ou leur ex-conjoint– sont enfin reconnus pour ce qu’ils sont: des faits de société. Depuis le début de l’année, en France, 138 femmes ont ainsi été tuées par leur partenaire ou ex. Victimes collatéral­es de ces crimes: les enfants. Comment sontils pris en charge? Quelles personnes deviennent-ils? Paroles d’orphelins.

Longtemps cantonnés aux rubriques de faits divers et décrits comme des “drames familiaux”, les féminicide­s –les meurtres de femmes par leur conjoint ou ex-conjoint– sont enfin reconnus pour ce qu’ils sont: des faits de société. Rien que pour l’année 2019, en France, 138 femmes ont déjà été tuées par leur partenaire ou ex. En 2018, le chiffre était de 121. Victimes collatéral­es: les enfants. En 2018, 82 ont ainsi perdu au moins un de leurs parents à cause d’un crime conjugal. Comment sont-ils pris en charge? Quelles personnes deviennent-ils? Profession­nels de santé et orphelins racontent.

Depuis bientôt trois semaines, l’histoire de Chloé Madesta n’a pas bougé. Rue de Chaligny, dans le XIIE arrondisse­ment de Paris, elle domine le mur grisâtre. Neuf lignes, des dizaines de feuilles format A4 et autant de lettres majuscules peintes en noir, sans “un millimètre de papier arraché”, note-t-elle. Le message: “Jean-pierre frappait Valérie, doigts tordus, menacée de mort, insultée, traînée par les cheveux.” La jeune femme de 26 ans passe devant le collage tous les soirs. Elle est fière. “Ça a été tellement libérateur de faire ça, explique-t-elle. Et surtout, maintenant, on peut comprendre la gravité de la situation. Le monde peut voir ce qui est arrivé à ma mère!” Des phrases sans ornement pour résumer quinze années d’horreur. Pour Chloé Madesta, le premier souvenir de violences date de la fin des années 90. Elle a 5 ans, elle voit sa mère en “position foetale, recroquevi­llée sur le sol”, et les coups de pied de son père. Il y a d’autres souvenirs. Trop. Souvent, dans l’appartemen­t familial de Nice, le père détruit la porte des toilettes où son épouse se réfugie, la frappe. “Dans ces moments-là, je m’étalais sur elle, raconte Chloé. Je voulais la protéger comme si c’était ma fille.” Après des actes “proches de la torture”, sa mère finit par fuir avec quelques affaires, ses deux enfants et le chat. “Le début d’un deuxième enfer”, assure la jeune femme. Les plaintes pour kidnapping d’enfants, les filatures par un détective privé engagé par le père, l’obligation de se cacher dans une maison de campagne prêtée par des amis. Et les menaces de mort. “C’était tous les jours. Parfois, il nous appelait jusqu’à 70 fois dans la même journée pour nous menacer de mort, il a dû le faire un milliard de fois.” Tisane dans une main, cigarette dans l’autre, Chloé Madesta en est certaine: “Si on n’avait pas eu de bol, si on n’avait pas été aidées par les bonnes personnes, toute cette histoire aurait pu finir beaucoup plus mal.” Alors, rue de Chaligny, elle l’a écrit: “Maman a failli mourir.” •••

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