Hong Kong en pleine révolution
Depuis le rejet, en juin, d’un projet de loi visant à autoriser les extraditions vers la Chine, les Hongkongais sont dans la rue pour exiger plus de démocratie. Quoi qu’il en coûte. Le photographe allemand Sebastian Wells est à leurs côtés.
Comme pour la Première Guerre mondiale, tout commence par un assassinat. Celui, en 2018, d’une jeune femme par son petit ami taïwanais, à Taipei. Une fois retourné à Hong Kong, où il vit, le meurtrier se trouve protégé par un flou juridique: Hong Kong ne peut pas statuer sur un meurtre commis hors de ses frontières, et ne peut pas non plus légalement envoyer l’assassin se faire juger à Taïwan. L’affaire émeut les foules, et la cheffe de l’exécutif d’hong Kong, Carrie Lam, l’utilise en février 2019 pour justifier un projet d’amendement qui autoriserait Hong Kong à pratiquer l’extradition, notamment vers Taïwan, donc notamment vers la Chine.
Ancienne colonie britannique, Hong Kong a été restituée à la Chine par le Royaume-uni en 1997. Considérée comme “région d’autonomie spéciale”, l’archipel fait depuis partie de la Chine mais dispose d’une certaine autonomie légale et juridique, laquelle confère à ses habitants plus de droits que dans le reste du pays. Une organisation désignée par la formule suivante: “Un pays, deux systèmes”. Mais à mesure que les tentatives d’ingérences chinoises s’intensifient, leur rejet s’intensifie aussi. Et c’est pourquoi le projet d’amendement de la loi d’extradition a tout de suite été perçu par beaucoup comme une mise à mal du particularisme légal d’hong Kong. Le 31 mars dernier, quelques semaines après l’annonce, les étudiants descendaient dans les rues. Les protestations n’ont cessé de se durcir depuis. Côté manifestants, des grèves, des blocages, la mise à sac du Conseil législatif, des rassemblements allant jusqu’à plus de deux millions de personnes le 16 juin, soit plus d’un quart de la population de la ville –la plus grande manifestation de l’histoire de l’île. Ou encore le blocage très médiatisé, en août, de l’aéroport (le huitième plus gros du monde) et l’occupation de l’université polytechnique, mi-novembre. Côté forces de l’ordre, une répression de plus en plus forte, des coups de feu tirés à balles réelles, des milliers d’arrestations. Une suspension du projet d’amendement a bien été annoncée en septembre, mais trop tard. Entre-temps, les revendications avaient changé: réclamation du suffrage universel, dénonciation des violences policières et départ de Carrie Lam, qui cristallise les mécontentements et la méfiance grandissante envers Pékin.
Les manifestations ne sont pas sans rappeler celles de la “révolution des parapluies” qui, en 2014, protestaient déjà contre l’ingérence pékinoise dans les élections locales. Mais si celles-ci avaient des leaders identifiés, comme le jeune Joshua Wong, qui avait à l’époque écopé de deux mois de prison ferme, les manifestations de 2019 se définissent par leur absence de chefs. “Cette fois-ci, le mouvement est organique et spontané, déclarait Wong à Society en août. Il n’y a pas de leader, ce qui prive aussi les autorités de cibles. Elles ne peuvent pas arrêter, juger ou emprisonner des personnalités comme elles l’avaient fait avec moi.” Et si le symbole de l’insurrection de 2014 était le parapluie, celui de 2019 est indéniablement le masque antigaz, qui confère aux manifestants des allures de soldats de science-fiction. “Les masques soulignent eux aussi l’absence de hiérarchie”, note Sebastian Wells, un photographe berlinois de 23 ans qui suit le mouvement depuis le mois d’août. Organisés et communiquant grâce aux applications de messagerie cryptée, les manifestants se distinguent essentiellement par leur jeunesse. Ce qui n’est pas anodin, selon Wells. “Une manifestante m’a dit: ‘Je me bats pour mon futur’”, raconte-t-il. Un symptôme de cette génération qui, partout dans le monde, lutte aujourd’hui pour ne pas payer le prix de traités signés par leurs aînés. Car le futur, ici, est sombre. En 2047, Hong Kong perdra son statut spécial et deviendra partie intégrante de la Chine. Un deal conçu avant la restitution, mais qui impactera la génération actuelle: celle qui va voir d’un coup ses droits diminuer, alors qu’elle est composée en partie des descendants de Chinois ayant précisément fui à Hong Kong après l’arrivée de Mao Zedong au pouvoir il y a 70 ans, en 1949.