Society (France)

Qu’est-il arrivé au vol Air France 212?

DU VOL AIR FRANCE 212

- PAR WILLIAM THORP, À ALBI ET VITRY-SUR-SEINE

Le 3 décembre 1969, un vol Air France reliant Caracas à Pointe-à-pitre plongeait dans la mer des Caraïbes, provoquant la mort des 62 personnes embarquées à son bord. Un simple accident? Cinquante ans après le drame, cette thèse est largement contestée.

C’était il y a 50 ans. Le 3 décembre 1969, un vol Air France reliant Caracas à Pointe-à-pitre plongeait dans la mer des Caraïbes, provoquant la mort des 62 personnes embarquées à son bord. Un simple accident? Pendant longtemps, c’était la version dominante. Mais ça ne l’est plus.

Sylvie Yrissou allume ses cigarettes comme elle déclencher­ait un compte à rebours. Elle en tire une bouffée ou deux, puis les dépose dans une encoche du cendrier, où elle les laisse se consumer d’ellesmêmes. Puis une nouvelle cigarette arrive. Tout ceci e st “si lourd” à raconter, dit-elle. Elle en a d’ailleurs vu plusieurs ériger des barrières entre eux et ce récit pour s’épargner des douleurs inutiles. Curieuseme­nt, dit Sylvie, ce sont les plus jeunes, ceux qui n’avaient que quelques années à l’époque des faits, qui sont les plus traumatisé­s, comme s’il était pire de ne pas avoir d’histoire à partager que de posséder des mauvais souvenirs. “J’en vois des dépressifs, d’autres avec des problèmes psychiatri­ques. Personne n’a jamais vraiment fait le deuil, lâche-t-elle. Cela fait 50 ans et ils sont pourtant beaucoup à être encore bloqués sur ce jour-là, sur ce 3 décembre de l’année 1969.” C’était il y a 50 ans, presque jour pour jour. Il est 19h01 ce soir-là lorsque Roger Valter, le commandant de bord du vol Air France 212, assure à la tour de contrôle: “OK, prêt à décoller.” Deux minutes plus tard, à 19h03, le Boeing 707, qui se dirigeait vers Pointe-à-pitre depuis Caracas, sombre dans la mer turquoise des Caraïbes. Les 62 passagers et tout l’équipage périssent. Que s’est-il passé? Une hypothèse sort vite du lot, celle d’un accident causé par une manoeuvre d’évitement. L’AF 212 aurait viré à gauche pour éviter un second avion audessus de lui, puis aurait décroché avant de s’abîmer en mer. Avec les années, cette hypothèse s’est transformé­e en version officielle, sans que personne ne la contredise. Après tout, plusieurs témoins disaient avoir vu ces deux avions près l’un de l’autre. “Et puis, avec le Boeing 707, on passait de l’hélice à l’ère des réacteurs. La poussée était différente, il a fallu un certain temps avant que les pilotes s’y adaptent, et il y a en effet eu quelques accidents avec cet avion”, se souvient un ancien cadre de la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) qui a enquêté sur le crash. Dans la communauté française au Venezuela, directemen­t touchée par la tragédie, on avait même pris le parti d’en rire, en se répétant cette blague macabre: “Air France, la mort sans souffrance.” Sylvie, 16 ans à l’époque, croit, elle, une autre issue encore possible. Son père, Maurice Yrissou, était le mécanicien navigant du vol. Elle pense qu’il a pu survivre à la chute et nager jusqu’à la côte. Elle se rend avec sa famille à La Guaira, une ville portuaire au nord du Venezuela, où se situe l’aéroport internatio­nal. “J’ai vite déchanté, raconte-t-elle. J’ai rencontré le chef d’escale là-bas, et des habitants du coin. Des gens qui ont l’habitude de voir des avions passer au-dessus de leurs têtes. Ils avaient tous vu l’avion sombrer dans l’eau, mais leurs versions n’étaient pas celle qu’on nous avait racontée. Ils avaient tous ce même souvenir: ‘On a vu une boule de feu tomber. L’avion ne s’est pas seulement écrasé, il a explosé dans le ciel.’”

“J’ai des informatio­ns sur le crash”

Dans le salon de Sylvie Yrissou, à Albi, trône un amas d’une centaine de feuilles qu’elle ne cesse d’éplucher, triturer, éparpiller et pointer de l’index: quinze années de recherches matérialis­ées en dossiers et coups d’agrafeuse. Quinze années durant lesquelles Sylvie Yrissou a lancé ce qu’elle appelle des “bouteilles à la mer”, des centaines de messages postés sur des forums, réseaux sociaux et autres sites internet, à la recherche des proches des victimes. Sa phrase d’accroche: “J’ai des informatio­ns sur le crash, voulezvous que je vous les envoie?” Lesdites informatio­ns sont des comptes rendus d’expertises et échanges de travaux issus du Bureau d’enquêtes et d’analyses (BEA). Des pages noircies à la machine à écrire, dont certaines ont longtemps été classées secret-défense mais que l’on peut consulter avec une dérogation aux Archives nationales depuis qu’elles ont été déclassifi­ées en 2017. Il s’agit d’un “35 cm”, comme on dit dans le jargon pour évoquer l’épaisseur du dossier. On y découvre que le vol AF 212 était à environ 213 mètres en dessous du second avion au moment du supposé “évitement” (la distance réglementa­ire à la verticale entre deux avions est de 300 mètres) et que sa vitesse ascensionn­elle était

trois fois inférieure à la normale. Première question: pourquoi le pilote-a-t-il braqué à gauche comme s’il allait frôler la mort alors qu’il était encore à plus de 200 mètres du second avion et qu’il avançait lentement? Deuxième question: pourquoi donc un avion qui ne pèse “que” 92,5 tonnes avance si peu vite et n’a pas atteint “au bout d’une minute au moins 2 000 feets [609 mètres]”, l’altitude normale à ce moment précis? Ces deux interrogat­ions, le BEA ne les “comprend pas”. Tout comme il ne saisit pas un autre fait étonnant: de nombreuses hachures aux tracés réguliers sont visibles sur le revêtement supérieur du fuselage, et ne peuvent se justifier par le choc de l’eau, “dont la durée ne dépasse guère 2/10 de seconde”. “L’avion a donc été probableme­nt le siège de violentes vibrations qui se sont développée­s très peu de temps avant le crash”, écrivent Rémy Courtonne et Jean Grossetete, les deux ingénieurs en chef de l’armement en charge du compte rendu du 27 janvier 1971. Quelques mois après les événements, un semblant de réponse semble se faire jour: des pièces de tissu provenant de vêtements embarqués dans les soutes à bagages et recueillis à la surface de la mer ainsi que des morceaux du train arrière gauche mettent en évidence la présence de nitrocellu­lose et de nitroglycé­rine. Un mélange particulie­r que l’on retrouve dans un objet précis: la dynamite. Quelques pages plus loin, le constat est sans appel: “On est obligé d’admettre qu’un engin explosif à base de dynamite a été déposé dans le puits du train le plus avant et le plus à gauche possible”, écrivent les experts. “Cela fait 50 ans que j’en étais sûre, mais que je n’osais pas le dire parce que je voyais bien la réaction des gens: on me prenait pour une folle, note Sylvie Yrissou. Même mes amis, qui me savent saine d’esprit, me disaient: ‘Mais écoute Sylvie, c’est tellement gros, faire exploser un avion, il y aurait des gens qui en auraient parlé, non?’ Eh bien non. L’avion où se trouvait mon père a bien explosé en partie, et cela à cause d’une bombe. La vraie question, maintenant, c’est: pourquoi? Pourquoi avoir condamné ces 62 personnes en détruisant leur appareil en plein vol?” Dans un échange longtemps classé secretdéfe­nse, le BEA esquisse un semblant de réponse. Après avoir demandé “une enquête très discrète sur les divers types d’explosifs apparentés à la dynamite que l’on peut se procurer sur le territoire du Vénézuela”, le Bureau précise en effet quelques lignes plus loin, comme si ces deux informatio­ns allaient de pair, la présence dans l’avion de “responsabl­es de partis d’extrême gauche”.

Des passagers gênants?

Parmi eux, Dolor Banidol. Ce membre important du bureau politique du PC martiniqua­is revenait alors du Congrès internatio­nal du Parti communiste au Chili. Son avion devait faire escale à Caracas, pour relier Pointe-à-pitre, d’où il était ensuite censé rejoindre Paris. Il n’est jamais arrivé. Cinquante ans plus tard, ses enfants reçoivent autour d’une table de cuisine d’un appartemen­t exigu de Vitry-sur-seine. Il y a là Antoine, la fille aînée, Marguerite, la quatrième, Marlène, la dixième, et Gabriel, le dernier

d’une fratrie de onze enfants. Les plus jeunes n’avaient pas 5 ans au moment des évènements, mais ils décrivent avec précision cet homme au caractère sévère et au visage fermé, qui répétait en boucle, avant chacun de ses meetings, ses discours politiques. “C’était un communiste né. Il ne supportait pas l’injustice ni la situation des Antillais sous la coupole des Français et des békés (habitants créoles à la peau blanche, ndlr), explique Marlène. Il disait que l’esclavagis­me aboli, on devait accorder plus de droits aux Antillais, et faire comprendre à la France qu’elle devait nous donner une certaine autonomie. Il se battait corps et âme pour son île, et les békés se sentaient menacés.” La Guadeloupe sort alors de son Mai-68 à elle. Des jours d’affronteme­nts entre gendarmes et manifestan­ts après des grèves consécutiv­es à une agression raciste, entraînant des dizaines de morts. En termes géopolitiq­ues, la crise des missiles à Cuba, sept ans avant le crash, a également rappelé aux États-unis que l’adversaire soviétique pouvait être aux portes de leur pays. Autant dire qu’ils n’ont aucune envie de voir les Antilles s’embraser et prendre modèle sur Cuba. Dans ce contexte, Dolor Banidol est une épine rouge et brûlante dans les pieds de beaucoup de monde, y compris chez certains membres du PC martiniqua­is. “Pour eux, mon père allait un peu trop loin. Ce n’était pas le genre d’homme à qui l’on pouvait dire: ‘Vous suivez la ligne du parti, et vous n’en sortez pas’”, explique Antoine. Cet automne-là, Dolor Banidol ne s’était pas rendu seul au congrès chilien. Il était accompagné du secrétaire général du Parti communiste guadeloupé­en, Euvremont Gène. Un homme à la réputation de playboy, manucure bien faite, rire puissant et chansonnet­te facile, mais dont les conviction­s autonomist­es provoquent alors l’embarras. Lui aussi, comme Banidol, se trouvait parmi les victimes du vol Air France 212.

Pour les deux familles, cette tragédie résonne avec un autre “accident” survenu quelques années plus tôt. Le 22 juin 1962, le vol 117 d’air France, un Boeing 707, qui amorçait sa descente sur l’aéroport du Raizet à Pointe-àpitre, avait rencontré un problème avec son train d’atterrissa­ge, l’obligeant à faire demi-tour. Quelques minutes plus tard, l’avion heurtait la montagne du Dos d’âne, 23 kilomètres plus loin, provoquant la mort des 103 passagers et des dix membres de l’équipage. La cause? Encore un mystère aujourd’hui. À bord de cet avion se trouvaient deux autres figures indépendan­tistes des Antilles françaises: Paul Niger, de son vrai nom Albert Béville, écrivain, et Justin Catayée, un député de la Guyane. “Catayée avait dit à l’assemblée, lors de sa dernière venue, que cela serait certaineme­nt son dernier discours, explique Odette, l’une des filles d’euvremont Gène. Il sentait des menaces peser sur lui. Tout le monde s’est posé ensuite beaucoup de questions sur ce crash.”

Des années plus tard, les familles Banidol et Gène se mettent à douter à leur tour: a-t-on voulu éliminer les deux figures communiste­s et autonomist­es des Antilles françaises qu’étaient Dolor et Euvremont? Quelques jours avant son départ, le père Banidol donnait cette impression de sentir le souffle des menaces sur son cou. “Moi, je vivais à Paris à l’époque, et je l’attendais les jours suivants là-bas, puisqu’il était supposé y faire une escale avant de rejoindre L’URSS, explique Antoine. Avant de s’envoler, il m’avait dit au téléphone qu’on lui avait dit de ne pas partir, qu’il allait y avoir un problème. Il ne m’avait pas expliqué qui l’avait prévenu de cela à l’époque. Je suppose qu’il pensait qu’on allait l’arrêter ou le mettre en prison à son retour du congrès communiste, c’est tout. Je ne pense pas qu’il ait imaginé une seconde qu’on fasse exploser son avion. Qui aurait pu?” Puis, il y a eu cette vidéo qui fait froid dans le dos. Le phrasé est haché, hésitant. “On subodorait en quelque sorte, la possibilit­é... sur le voyage du retour, sur le trajet du retour... On a vu qu’effectivem­ent, il ne valait mieux pas m’envoyer. On ne m’a pas envoyé, c’est tout. J’ai suivi le recommandé qu’on m’avait donné, parce que je pensais qu’ils allaient faire un coup comme cela.” Interrogé à la télévision en juin dernier, le secrétaire général du PC martiniqua­is de l’époque, Armand Nicolas, a admis qu’il devait se rendre au congrès chilien à la place de Dolor Banidol, “un des meilleurs d’entre nous”, mais qu’il s’est défilé au dernier moment après “avoir entendu l’avertissem­ent”. Le vieux monsieur n’en dit pas plus. Ni nom ni raison. Seulement cette phrase qui saupoudre un peu plus de mystère sur cette affaire: “Et si le ‘Français’ n’est pas mort sur le voyage du retour, c’est que lui aussi, il a dû sentir que ça sentait la poudre.” Sylvie Yrissou s’agace sur son canapé: “Ah! Le Français! Du temps où je vivais à Brie-sur-marne avec mes parents, nos voisins étaient des gens très actifs au sein du PC, et ils nous avaient dit un jour qu’ils avaient eu un camarade, un homme important, nommé R. qui devait prendre le vol AF 212 et qui, heureuseme­nt pour lui, l’avait raté.” Elle raconte aussi cette confidence que lui fit le chef d’escale lors de sa venue à La Guaira. Alors qu’à l’escale technique à Caracas, les passagers du vol AF 212 étaient sortis de l’avion et patientaie­nt dans une salle d’embarqueme­nt, le chef d’escale lui avait dit avoir vu un monsieur prendre un coup de fil en dehors de la pièce et ne jamais revenir. “Un homme qui ne remonte pas dans un avion alors qu’il a payé son billet et qu’il a une valise dedans, c’est pas très courant, conclut Sylvie. Alors, quand vous apprenez qu’un autre homme important du PCF aurait raté le vol, forcément, vous faites le lien. Et si c’était le même homme? L’a-t-on prévenu comme on a prévenu Armand Nicolas? Et si oui, qui?”

La voix au téléphone est lente, grave. R. a aujourd’hui 87 ans. Il s’appelle René Piquet et a été membre du secrétaria­t du comité central du PCF et député européen. “Oui, je devais prendre l’avion

“On est obligé d’admettre qu’un engin explosif à base de dynamite a été déposé dans le puits du train le plus avant et le plus à gauche possible” Extrait du rapport du BEA

avec Dolor et Euvremont, mais j’avais des rencontres clandestin­es à faire –je ne peux vous dire leurs noms– qui ont été repoussées de 24 heures, et j’ai dû reporter mon vol d’une journée, laissant mes deux camarades mourir sans moi au fond de l’atlantique”, dit-il. René Piquet assure n’avoir appris leur mort que le lendemain, et n’avoir jamais été prévenu de quoi que ce soit avant le crash. Il avance même aujourd’hui n’avoir jamais eu vent que ce crash d’avion pourrait être le fruit d’un attentat. “Pour ma part, je n’ai jamais entendu cela, je ne sais pas quoi dire. Il n’y avait rien, ni venant d’air France ni venant de la police, qui aurait pu m’interpelle­r. Et puis, de vous à moi, nous n’étions pas, je pense, des personnes suffisamme­nt importante­s pour qu’un pays ou un organisme soit prêt à faire cela. Détruire un avion et tuer plus d’une cinquantai­ne de personnes juste pour me tuer, moi et mes deux camarades? Enfin…” Mais comment, alors, interpréte­r ce rapport de l’enquête médico-légale dans lequel les experts constatent en analysant les corps –ou ce qu’il en reste, pour certains– que les effets de l’explosion ont en particulie­r touché cinq passagers de l’avion, “avec un traitement tout à fait particulie­r réservé aux corps des deux passagers politiquem­ent suspects”? Un peu comme si la “déflagrati­on [s’était] produite entre ces deux personnes”, ajoute le rapport. Mauvais endroit au mauvais moment?

L’ombre de la CIA

Chez Jeanne Tronquoy, dans le VIE arrondisse­ment de Paris, tout à l’allure de fantômes. “Mon père est partout ici, dit-elle. À tel point qu’y faire son deuil n’a pas été facile. Ma mère n’y est pas arrivée, et moi, cela fait seulement quinze ans que j’ai réussi à me convaincre que lorsqu’on est au fond de l’eau, on y reste.” Henri Tronquoy, architecte et designer renommé, revenait d’une tournée de conférence­s en Amérique latine quand il a péri dans le vol AF 212. Pour Jeanne, la question n’a jamais été de savoir comment, mais pourquoi. À sa mort, André, un ami d’henri qui travaillai­t pour un organisme de voyage en lien à l’époque avec le ministère des Affaires étrangères, avait dit à sa mère: “Écoute… Henri ne reviendra pas, il y a eu un attentat. Son avion a explosé.” “J’étais très jeune à l’époque, et plus tard je n’ai jamais eu trop l’occasion d’en reparler avec lui. Mais pour lui, il n’y avait aucun doute, c’était un attentat. Le seul mystère qui restait était le pourquoi. Et surtout: qui était derrière cela? Qui avait à gagner à faire s’écraser cet avion?” Car si la cause du crash, à en croire les documents fournis aux archives, laisse peu de doute, les commandita­ires, eux, se sont effacés derrière l’ampleur du drame. Certains penchent vers les États-unis et la CIA, peu avares en coups montés contre les communiste­s de cette moitié de siècle. D’autres du côté du Venezuela, qui se montra parfois, dit-on, aussi coopératif dans cette affaire qu’un coupable. Ou vers des milices anti-communiste­s privées comme il en existait tant durant ces années-là, dans ces régions-là. “Qui aurait eu vraiment intérêt à faire disparaîtr­e ces deux hommes? Je ne sais pas, dit Sylvie. Un peu tous, j’imagine.”

Année après année, la fille de Maurice Yrissou a vu les rangs des familles des victimes diminuer, donnant à son enquête une allure de course contre la montre. “Vous imaginez, cela fait 50 ans. Mon frère est mort d’un infarctus, il n’a jamais rien su de la vérité. Les parents de mon père sont décédés sans avoir jamais rien su non plus. Ma mère a aujourd’hui 88 ans, et on sait bien où cela mène. Il y a tant de gens dans cette histoire qui sont morts en ignorant la vérité!” Emmanuel Macron demandait, en septembre dernier, la levée du secret-défense des documents classifiés d’un tout autre crash: le vol Air France Ajaccio-nice de 1968, annoncé à l’époque comme consécutif à un incendie, mais qui serait en fait dû à une bavure d’exercice militaire. Une vieille affaire qui s’enlisait elle aussi depuis des années dans des marais de rumeurs, doutes et mensonges. En entendant cela, Sylvie s’est remise à espérer. Et si l’état, après avoir été maintes fois contacté, aller enfin s’intéresser au Caracas-pointe-à-pitre de décembre 1969? “Il le faut! Il faut qu’on soit les prochains. Il faut qu’on nous libère de ce poids, dit-elle. Vous savez, mon frère me disait souvent: ‘Mais ne t’emmerde pas, Sylvie, bronze dans ton jardin, occupe-toi de tes petites-filles, fais ta céramique, tu n’obtiendras rien, tu vas te heurter à des murs, c’est le pot de terre contre le pot de fer, laisse tomber.’ Eh bien non. Je sens qu’il y a une vérité qui est en marche.” Elle allume une nouvelle cigarette. Deux bouffées, puis elle la dépose dans le cendrier abandonné devant elle. Elle se consume seule comme de l’encens.

“La vraie question, c’est: pourquoi? Pourquoi avoir condamné ces 62 personnes en détruisant leur appareil en plein vol?” Sylvie Yrissou, fille d’une victime

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