Society (France)

Let’s gauche!

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Membre du think tank Open Markets, Matt Stoller tente de trouver une tactique pour remettre la gauche américaine au pouvoir lors de la présidenti­elle de 2020. Pas facile.

Membre d’open Markets, un think tank américain, Matt Stoller travaille sur les questions de monopole aux États-unis et la façon dont Facebook, Google, etc. menacent nos démocratie­s. Plus globalemen­t, il réfléchit à comment remettre la gauche américaine au pouvoir. Bref, il a des choses à dire sur la présidenti­elle de 2020.

Bernie Sanders et Elizabeth Warren bien placés dans la course à l’investitur­e démocrate, Alexandria Ocasio-cortez devenue l’opposante la plus visible de Trump… Il semble qu’il y ait un renouveau de la gauche américaine actuelleme­nt. Et votre analyse est de dire que tout cela part de la crise financière de 2008. Oui, parce que cette crise a structuré la façon dont on réfléchit à l’économie politique. Les gens qui ont commencé la politique après la crise financière n’envisagent pas le monde comme ceux qui étaient là avant eux. Nancy Pelosi (démocrate, présidente de la Chambre des représenta­nts et âgée de 79 ans, ndlr), par exemple, a supervisé la crise des saisies immobilièr­es, alors qu’alexandria Ocasio-cortez (qui a 30 ans, ndlr) en a été une victime. Sur un plan plus général, la vision que les jeunes gens ont du système financier est très différente de celle de leurs aînés parce qu’ils croulent sous la dette étudiante et qu’ils ne sont propriétai­res de rien. Au-delà de cette fracture génération­nelle, la crise a aussi montré que les enseigneme­nts économique­s de l’école de Chicago étaient un tissu de mensonges: cette idée selon laquelle les marchés ne sont pas des institutio­ns politiques, qu’ils ne sont pas construits à travers le temps mais que ce sont des institutio­ns qui émergent de la nature comme par enchanteme­nt… c’est faux! Les marchés et les entreprise­s sont des institutio­ns politiques. Cette crise n’était pas un problème technique affectant le système bancaire, mais le résultat de choix politiques –problémati­ques, à mon sens– effectués durant les dix, quinze années qui y ont mené.

Ce qui est paradoxal, c’est qu’en 2008, le Parti démocrate remporte justement l’élection présidenti­elle avec un candidat porté par les jeunes et l’aile gauche du parti: Barack Obama. Qu’est-ce que lui et son gouverneme­nt auraient dû faire, à votre avis? Après la crise de 1929, Roosevelt et les démocrates ont décidé de sauver le système financier, mais aussi la classe moyenne. Roosevelt l’a formulé comme ça: ‘On a beaucoup aidé Wall Street, et il est temps d’aider le reste du pays.’ Sous la supervisio­n du Parti démocrate, Obama a fait l’un, mais pas l’autre. Il a renfloué Wall Street et a laissé les saisies immobilièr­es au reste du pays. Il a refusé de trouver un compromis, de partager les pertes, qu’il a laissées aux classes moyenne et populaire. L’autre chose qu’il a faite, c’est qu’il a acté la fin de l’état de droit en renonçant à poursuivre en justice les différents acteurs de la crise, banquiers ou dirigeants de fonds spéculatif­s. C’était un choix politique, et il s’est avéré absolument catastroph­ique: les gens de gauche se fâchent tout rouge quand Donald Trump piétine l’état de droit, mais c’est Obama qui l’a vidé de son sens avant ça. Tant qu’on ne se mettra pas en position de voir la brutalité que la gauche et les technocrat­es ont –aussi– imposé à nos sociétés, on continuera à voir grandir ces menaces autocratiq­ues mues par le secteur privé, dont Trump et Boris Johnson sont les exemples les plus visibles.

Dix ans après la crise financière, l’une des grandes menaces qui pèsent actuelleme­nt sur la démocratie est représenté­e par les grands monopoles des entreprise­s de la tech, expliquez-vous. Comment ça? Ces entreprise­s n’ont pas grandi organiquem­ent mais à la suite de consolidat­ions financière­s –Google a acheté une centaine de boîtes entre 2004 et 2014, à peu près pareil pour

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Bernie Sanders et Alexandria Ocasiocort­ez le 14 novembre dernier, à Washington.

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