Society (France)

Le son de l’époque

- – AMBRE CHALUMEAU

Deux scientifiq­ues ont analysé les paroles des chansons du top 100 américain de 1951 à 2016 et attribué à chacune des notes allant de 0 à 1 pour les émotions suivantes: la colère, la joie, la tristesse, la peur et le dégoût. Résultat? Ça va pas fort.

Les scientifiq­ues Kathleen Napier et Lior Shamir ont analysé les paroles des chansons du top 100 américain de 1951 à 2016 (soit plus de 6000 morceaux) à l’aide d’une intelligen­ce artificiel­le qui attribuait à chaque titre des notes allant de 0 à 1 pour les émotions suivantes: la colère, la joie, la tristesse, la peur et le dégoût. Résultat? “La pop music n’a jamais été aussi triste”, disent-ils. Étonnant.

Comment avez-vous procédé pour mener votre étude? Nous nous sommes intéressés uniquement aux tops 100, ce qui veut dire que l’étude ne montre pas les émotions exprimées par toute la production musicale, mais se concentre sur les chansons plébiscité­es par les auditeurs. Ça ne montre donc pas tant ce que les musiciens voulaient dire que ce que les gens voulaient écouter. Nous pensons que c’est la société qui a un impact sur la musique, pas l’inverse. Ces chansons-là étaient les plus populaires cette année-là parce qu’elles étaient les plus écoutées, c’est ce que les gens avaient envie d’entendre. C’est donc un reflet de la société. La musique va là où la société va.

Et comment avez-vous vu la société évoluer, alors? Vers la fin des années 60 et le début des années 70, les paroles ont commencé à perdre en joie et à gagner en colère. Cela s’explique notamment par le fait que dans les années 50-60, la musique était destinée à divertir. Vers la fin des années 60, la donne a changé: la musique s’est mise à exprimer des opinions sociales et politiques. En 1988, le niveau de peur chute d’un coup, ce qu’on peut relier à la fin de la guerre froide. Puis ça repart.

Comment les choses évoluent-elles ces dernières années? Les chansons d’aujourd’hui sont plus tristes qu’à aucun autre moment de l’histoire de la pop music. On va vers plus de colère et de tristesse. C’est logique: comment ne pas lier le fait que la colère augmente actuelleme­nt dans les paroles des chansons au fait que la société est elle-même plus énervée qu’avant? La colère s’exprime sur les réseaux sociaux, même les hommes politiques s’expriment d’une manière différente. Alors, les chansons aussi. Par ailleurs, la façon dont a évolué l’industrie musicale ces dernières années a aussi son importance: les labels ont moins de contrôle sur la musique qu’ils n’en avaient auparavant et la musique se diffuse désormais via les réseaux sociaux, sur le Web. Il y a moins de filtres, ce qui permet à des langages différents d’émerger. Les musiciens peuvent s’exprimer plus librement, et cette liberté donne logiquemen­t lieu à des tons plus durs, plus énervés. On peut être plus radicaux dans les textes, utiliser davantage de gros mots qu’avant, etc.

Lire: “Quantitati­ve Sentiment Analysis of Lyrics in Popular Music”, publiée dans le Journal of Popular Music Studies

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