Society (France)

KANYE WEST

Qui n’aurait pas envie de passer son dimanche matin à écouter du gospel avec Kanye West? C’est ce qu’ont fait 350 personnes le 1er mars dernier à Paris, avec ou sans invitation.

- – THOMAS PITREL

INFILTRÉ DANS SA MESSE PARISIENNE

Le bruit courait depuis une semaine. Alors que la Fashion Week parisienne venait de commencer, une poignée de boîtes de production avaient été contactées pour filmer “une messe” le dimanche 1er mars 2020. Sans plus de précisions. Il faudra quelques jours pour faire le lien entre cette informatio­n et une autre, tout aussi essentiell­e: le mercredi 19 février, profitant d’un passage dans les bureaux parisiens de Jean Paul Gaultier, rue Saintmarti­n, Kanye West et Kim Kardashian montaient dans une berline noire pour aller se chercher un seau de Hot Wings épicées au KFC de Strasbourg-saint-denis, à 300 mètres de là. Une visite désormais immortalis­ée par une plaque de métal vissée sur la borne de commande que le couple a tenté d’utiliser avant de se rendre au comptoir. Malgré le braquage subi par Kim Kardashian dans un hôtel de luxe de la place de la Madeleine le 2 octobre 2016, les deux célébrités ont gardé leurs habitudes dans la capitale française, où West enregistra­it il y a dix ans, à l’hôtel Le Meurice et en compagnie de Jay-z, ce qui allait devenir un tube planétaire: Niggas in Paris. Or, il y a quelque chose que Kanye West aime désormais autant, voire plus, que la mode, les ailes de poulet et Paris: Jésus-christ.

Comme tout grand musicien américain qui se respecte, de John Coltrane à Bob Dylan en passant par Al Green, Kanye West a en effet vécu sa crise mystique, qui a suivi de près ses périodes de dépression, d’addiction aux opioïdes et de soutien à Donald Trump. En janvier 2019, le rappeur créait sa propre chorale religieuse, le Sunday Service Choir, qui se réunit désormais pendant une heure chaque dimanche pour enchaîner les chants gospel traditionn­els, les créations de Kanye West et, parfois, les reprises de Nirvana. Après une première apparition publique pour Pâques lors du festival de Coachella le 21 avril, le choeur a enchaîné les représenta­tions surprises, à Chicago ou dans le Wyoming, en plein air ou dans une prison, souvent accompagné d’invités comme Justin Bieber, Brad Pitt ou Katy Perry. Il est aussi intervenu sur le morceau inaugural de Jesus Is King, le neuvième album de Kanye West, avant de sortir son propre album, Jesus Is Born, le jour de Noël. “L’idée était juste d’ouvrir nos coeurs et de faire une musique aussi pure et positive que possible, développai­t Kanye chez David Letterman en juin dernier. Juste faire ça pendant une heure chaque dimanche, dans un lieu où les gens pourraient se rassembler et se sentir bien avec leur famille.”

120 personnes et un piano

Jusqu’à ce dimanche 1er mars, le Sunday Service Choir n’était jamais sorti des États-unis. Et tout porte à croire que la décision de mettre 120 personnes dans un vol transatlan­tique pour organiser une édition à Paris a été prise au dernier moment. Moins de 48 heures avant l’office, le lieu voué à l’accueillir n’avait toujours pas été déterminé, l’option du palais de Chaillot étant encore sur la table. Mais ce dimanche matin à 5h, c’est bien à l’intérieur du théâtre des Bouffes du Nord –où devait normalemen­t se dérouler une représenta­tion du spectacle de danse Contes immoraux – Partie 1: Maison mère, officielle­ment annulé pour “raisons techniques”– que quelques dizaines de technicien­s installent les caméras et le peu de matériel nécessaire à l’organisati­on d’un concert a capella. Dans le froid de cette fin d’hiver, un simple piano est posé sous la coupole de ce bâtiment auquel les dorures élimées donnent un air de civilisati­on perdue. Le 17 janvier dernier, c’est ici qu’un mouvement de foule s’était créé lorsque des manifestan­ts anti-macron avaient été avertis de la présence du président de la République à une représenta­tion de la pièce La Mouche. Ce matin, ce sont

encore une fois les réseaux sociaux qui ont ramené une quinzaine de curieux devant la porte du théâtre. “On a lu qu’il se passait quelque chose dans un commentair­e Instagram et on adore Kanye West, alors on est venus voir”, témoignent un couple d’asiatiques fraîchemen­t arrivés à Paris.

Pas évident, en revanche, de convaincre les deux solides responsabl­es de la sécurité qui gardent l’entrée, pas plus que la préposée aux invités, qui fait défiler les noms des heureux élus sur son téléphone. “Non, vous n’y êtes pas. Il faut travailler pour un journal pour y être.” Mais pas n’importe lequel: un magazine de mode.

“Bon, ils se bougent le cul?”

À 8h, lorsque les portes s’ouvrent, la foule qui s’engouffre dans les Bouffes du Nord ressemble davantage à celle qui se presse au bord des défilés qu’à des familles venues communier. Simon Porte Jacquemus, fondateur de la marque du même nom, et Jean Touitou, fondateur de la marque pas du même nom A.P.C., sont de la partie. Olivier Rousteing, directeur artistique de Balmain, assistera à la messe aux côtés de Kim et Kourtney Kardashian, toutes les deux habillées de combinaiso­ns en latex par sa faute. À 9h, enfin, une centaine de personnes se disposent en cercle sur trois rangées autour du piano et démarrent un Carmina Burana dans la pénombre. Elles sont toutes habillées de vêtements amples et blanc cassé, l’uniforme de la chorale. Les membres du staff assistant à l’office depuis les balcons le revêtent également, renforçant les soupçons de ceux qui font courir la rumeur perfide selon laquelle le Sunday Service ne serait qu’une secte déguisée. Mais non, Kanye West n’a pas déclaré son groupe comme un mouvement religieux. En revanche, il a essayé d’en déposer la marque. À Coachella, il avait installé un stand vendant des “vêtements d’église” –des sweat-shirts à 225 dollars et des paires de chaussette­s à 50. À Paris, tous les membres du Sunday Service sont équipés de Yeezy, les chaussures designées par Kanye. Le lendemain, il déplacera tous les moyens techniques à l’ancien siège

“L’idée était juste d’ouvrir nos coeurs pendant une heure, chaque dimanche, et de faire une musique aussi pure et positive que possible”

Kanye West

du Parti communiste français, place du Colonel-fabien, pour un défilé surprise, lui aussi. On peut y lire la métaphore qu’on souhaite y lire.

Un quart d’heure après le début des chants liturgique­s, un Américain à l’air important ouvre la porte: “OK, you can go.” La quinzaine de joueurs qui ont tenté leur chance sans invitation n’en croient pas leurs yeux et se précipiten­t à l’intérieur. Deux potes se tapent dans la main: “On l’a fait, putain!” Dans la salle, le Très-haut remplit tout l’espace. “Woke up today feeling godly / Glad to be part of God’s body / Lord, you’re welcome en mi casa / Heaven’s gon’ be one big ole party.” À l’image du refrain de Paradise, la performanc­e est un mélange équilibré de foi religieuse et de hip-hop, où les choristes peuvent se mettre à sauter sur place à tout moment. À leurs côtés, Kanye West ne chante pas, ou presque. Il les regarde, le sourire jusqu’aux oreilles. Tout autour, les bras sont tendus, terminés par des smartphone­s. Le photograph­e JR enchaîne les stories Instagram, comme tous les gens qui l’entourent. Perché sur une petite estrade individuel­le derrière le piano, Steve Epting, ancien choriste de Beyoncé, mène la barque et donne de la voix pendant une heure et quinze minutes, avant de se lancer dans un discours final à la gloire du Tout-puissant et ciselé pour Kanye West: “Peu importe votre passé, Dieu est là. Il nous rend neufs, il nous blanchit comme la neige.” S’ensuivent cinq minutes de “amen” en guise de bouquet final, avant que les choristes ne quittent la salle un par un, en file indienne. À la fin, il ne reste plus que Kanye West, seul près du piano. Il reste cinq secondes, les mains jointes, puis s’éclipse, un effet hélas ruiné par un enfant criant “papa!” dans le silence des Bouffes du Nord. Dehors, sur les trottoirs de La Chapelle, deux soldats de l’opération Sentinelle, arme automatiqu­e en bandoulièr­e et téléphone à la main, s’impatiente­nt: “Bon, ils se bougent le cul?” Kim et Kanye surgissent finalement sous les flashs. Un homme crie “alléluia” comme si c’était le titre d’une chanson, et le couple s’engouffre dans une Mercedes immatricul­ée en Allemagne. Les paparazzi n’ont plus rien à faire là. L’une d’entre eux s’interroge: “On va tous au Ritz?” La messe est finie.

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 ??  ?? Télex. La supérette de Bouvron, en Loire-atlantique, a été cambriolée, les … malfaiteur­s ayant emporté une meule de Savoie de 17 kilos ainsi que les saucisses et le jambon fumé du rayon charcuteri­e. Dans le village de Colp, dans l’illinois, aux États-unis, deux candidats à une élection municipale vont être départagés à pile ou face.
Télex. La supérette de Bouvron, en Loire-atlantique, a été cambriolée, les … malfaiteur­s ayant emporté une meule de Savoie de 17 kilos ainsi que les saucisses et le jambon fumé du rayon charcuteri­e. Dans le village de Colp, dans l’illinois, aux États-unis, deux candidats à une élection municipale vont être départagés à pile ou face.
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 ??  ?? Télex. Un mouvement luttant contre la presse people a vu le jour dans une dizaine de salons de coiffure en Angleterre. Selon le ministère de l’intérieur, 902 465 personnes sont candidates (présentes sur une liste) en vue du premier tour des élections municipale­s de 2020, soit 1,35% de la population française.
Télex. Un mouvement luttant contre la presse people a vu le jour dans une dizaine de salons de coiffure en Angleterre. Selon le ministère de l’intérieur, 902 465 personnes sont candidates (présentes sur une liste) en vue du premier tour des élections municipale­s de 2020, soit 1,35% de la population française.

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