Society (France)

Allô la police?

- – ANA BOYRIE

Depuis les années 70, aux États-unis, une associatio­n du nom de Crime Stoppers incite les citoyens à collaborer avec les forces de l’ordre, moyennant finances. Ce qui n’empêche pas quelques ratages d’ampleur.

Pour ceux qui auraient raté le début du film: le 11 octobre dernier, Guy Joao, un homme tout à fait placide de 69 ans, habitant du départemen­t des Yvelines, était arrêté à l’aéroport de Glasgow, soupçonné d’être Xavier Dupont de Ligonnès. Le scoop fera pschitt rapidement, si bien qu’après 26 heures de garde à vue, Guy Joao sera finalement relâché. Depuis, ce retraité de chez Renault a retrouvé son quotidien, mais de nombreuses zones d’ombre subsistent, et surtout une question continue de le hanter: qui l’a dénoncé? Si l’identité de la balance n’a pas été divulguée, il est en revanche acquis que la dénonciati­on émane du site internet de Crime Stoppers, un programme qui promet de l’argent en échange d’informatio­ns menant à l’arrestatio­n d’un criminel. Peu connue en France, cette associatio­n est une institutio­n aux États-unis, où elle a été créée en 1976 par un certain Greg Macaleese. À l’époque, Macaleese vient de fêter ses 30 ans et découvre la frustratio­n de la vie de policier à Albuquerqu­e, au Nouveau-mexique. “J’étais obsédé par la criminalit­é de la ville, dont le taux par habitant était l’un des plus élevés du pays. Tous mes collègues se plaignaien­t du manque de coopératio­n des citoyens et de la difficulté d’obtenir des informatio­ns”, se souvient-il. Le jeune détective finit par émettre une hypothèse: et si cela s’expliquait par la peur des représaill­es et l’indifféren­ce? Il en déduit que la solution tient à ces deux ingrédient­s clés que sont l’anonymat, pour vaincre la peur, et l’argent, pour susciter l’intérêt. L’idée de Crime Stoppers est lancée le 8 septembre 1976 sur la chaîne de télévision locale KOAT-TV, où Macaleese présente son premier “crime de la semaine”, le meurtre d’un jeune pompiste de 19 ans survenu deux mois plus tôt lors d’un vol à main armée. Le résultat est sans appel. “À partir du moment où on a balancé l’info, avec à la clé une récompense de 1 000 dollars, le téléphone n’a pas arrêté de sonner”, remet le détective. Soixante-douze heures plus tard, lui et son équipe arrêtent les deux coupables. Puis, tout s’enchaîne. “Dans la foulée, on a reçu des appels anonymes qui nous ont permis de résoudre une autre enquête vieille de quatorze mois, portant sur une agression sexuelle.”

Fausses pistes et infos bidon

En un an, Crime Stoppers parvient à s’exporter dans quatorze autres États américains. Une ascension qui vaudra à Greg Macaleese le prix du “policier de l’année 1977”. “Rien que la première année, on a résolu 298 affaires et récupéré 300 000 dollars de biens”, se remémore l’intéressé. En 1984, un nouveau pas est franchi: Crime Stoppers Internatio­nal (CSI) voit le jour. Aujourd’hui, c’est une armée de 1 600 antennes qui opèrent dans plus de 25 pays. Fini l’époque où les flics restaient en famille pour résoudre une affaire. Désormais, ils se rendent eux-mêmes sur les plateaux télé afin de présenter “le criminel du jour”. C’est le cas de Myrle Carner, directeur de Crime Stoppers Seattle, dans l’état de Washington. “Là, je m’apprête à distribuer une centaine d’affiches sur lesquelles on peut voir le visage de plusieurs suspects recherchés pour meurtre, annonce-t-il. Je vais passer ma journée à la radio et à la

Myrle Carner, directeur de Crime Stoppers Seattle

télévision. Vous pouvez même m’entendre sur certains podcasts. C’est une façon de dire aux fugitifs: ‘Vous pouvez courir, mais vous ne pourrez pas vous cacher.’” Un message clair et efficace, puisque les criminels affichés par Crime Stoppers seraient environ 40% à se rendre d’euxmêmes après avoir reconnu leur portrait. Pour les dénonciate­urs, la procédure est simple: ils ont le choix entre un coup de téléphone au numéro indiqué, un formulaire en ligne ou l’applicatio­n smartphone P3 Tips. Crime Stoppers leur attribuera alors un numéro de dossier dans le but de pouvoir les identifier et –le cas échéant– leur adresser la récompense. “Plus le crime est important, plus la somme est élevée, indique Myrle Carner. Pour une affaire mineure, on est à 150 dollars. Pour un

“Plus le crime est important, plus la somme est élevée. Pour une affaire mineure, on est à 150 dollars. Pour un meurtre, ça peut monter jusqu’à 3 000”

meurtre, ça peut monter jusqu’à 3 000.” Mais attention, la récompense, financée grâce à des levées de fonds annuelles auprès de particulie­rs, ne tombera que si l’on considère que l’informatio­n a été utile. Autrement dit: le dénonciate­ur de Guy Joao n’a pas fait fortune…

Si l’argent est l’appât ultime, il ne peut pas tout résoudre. Loin de là. Dans de nombreuses affaires, la promesse d’une grosse somme a, à l’inverse, multiplié les infos bidon et submergé les policiers de fausses pistes. Est-ce à cause de ces failles que Crime Stoppers n’a jamais posé le pied en France? Possible. Mais pas seulement, si l’on en croit le sociologue Fabien Jobard, chercheur au CNRS et coauteur de Citoyens et délateurs: la délation peutelle être civique? “Premièreme­nt, la France n’a pas de justice privée, rappelle-t-il. Deuxièmeme­nt, ce système de récompense aux renseignem­ents s’inscrit dans des pays aux espaces immenses, historique­ment caractéris­és par une administra­tion faible, voire totalement absente, comme les Étatsunis.” Et troisièmem­ent, “si pour les Américains la délation n’est rien de plus qu’un geste civique, les Français sont mal à l’aise avec cette notion. C’est une question de culture et d’histoire”. La dernière fois où cette pratique fut utilisée dans l’hexagone, c’était en 2007, lors des émeutes à Villiers-le-bel. La police judiciaire avait alors promis quelques milliers d’euros aux habitants susceptibl­es de détenir des informatio­ns qui auraient permis l’arrestatio­n de coupables de violences urbaines. “Ça a été l’objet de toutes sortes de controvers­es”, réagit Fabien Jobard. Aujourd’hui, quand la France utilise ce système, ce n’est donc “qu’en cas d’ultima ratio”. Au Royaume-uni, enfin, où Guy Joao a été arrêté, si l’informatio­n transmise par Crime Stoppers est jugée malveillan­te ou suspectée d’être envoyée par l’auteur du crime lui-même, un juge peut aisément émettre un mandat afin d’obtenir son adresse IP. De quoi donner de l’espoir au malheureux Guy qui, depuis son arrestatio­n, s’est rapproché d’un avocat écossais afin de connaître l’identité de son mystérieux dénonciate­ur. Et si ce fameux “tipster” n’était autre qu’un certain Xavier Dupont de Ligonnès? Le mystère reste, pour l’instant, entier.

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… … Télex. Rian Johnson, réalisateu­r de l’épisode 8 de Star Wars, affirme qu’apple refuse que les méchants utilisent un iphone dans des films. Bonne nouvelle: l’aspirateur-balai Miele Triflex HX1 arrive enfin en France. À New York, une supérette propose de se servir gratuiteme­nt pendant cinq secondes en cas de bonne réponse à une question de calcul mental.
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Télex. Une personne déguisée en dinosaure a été filmée à l’aéroport de Blagnac, à Toulouse. Attention, bonne affaire! Le 3 mars, la compagnie aérienne low cost philippine Cebu Pacific a célébré son 24e anniversai­re en mettant en vente des billets à un peso, soit 0,017 euro.
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