Society (France)

“Quand le message se répète, il finit par prendre”

- PROPOS RECUEILLIS PAR JB ET LDC

Trois questions à Aurélien Le Foulgoc, maître de conférence­s en sciences de l’informatio­n et de la communicat­ion à l’université de Cergy-pontoise.

Quelle importance accorder au métier d’éditoriali­ste? Éditoriali­ste, c’est une fonction traditionn­elle très importante dans la presse, qu’on retrouve ailleurs, notamment aux Étatsunis ou en Angleterre. La difficulté a toujours été la question de l’équilibre: quelle est la part qu’on va leur accorder par rapport aux autres fonctions du journalism­e, notamment le reportage de terrain? Dans les années 90, les éditoriali­stes était décriés. Le principal reproche qu’on leur faisait était celui de la connivence. On se rendait compte qu’il y avait des couples entre journalist­es et politiques, comme par exemple Anne Sinclair et Dominique Strausskah­n. Et une critique se développai­t à leur encontre: Karl Zéro, avec son Vrai Journal, les écrits de Pierre Bourdieu ou ceux de Serge Halimi. Ensuite, cette critique s’est peu à peu effacée. On a assisté à une montée en puissance des animateurs, et le prisme a changé: on est passé sur la question de l’amusement. Aujourd’hui, les éditoriali­stes reviennent en force. C’est lié à une question économique, bien sûr, mais pas seulement.

À quoi d’autre, alors? Historique­ment, les éditoriali­stes étaient des ‘insiders’: il était important pour eux d’avoir un lien fort avec la classe politique, pour avoir des infos de première main. C’est le cas d’elkabbach, de Duhamel, et d’aphatie aussi, dans une moindre mesure. Aujourd’hui arrive un autre type d’éditoriali­ste: il doit apparaître à l’extérieur, mettre à distance les politiques, et produire une autre forme d’opinion. C’est l’exemple de Pascal Praud. On pourrait parler à leur propos plutôt de polémistes, mais quel que soit le mot utilisé, on constate qu’ils sont sur le même registre que les éditoriali­stes: celui de l’opinion. Ce type d’intervenan­t a explosé ces dernières années, bien qu’on ne dispose pas encore de chiffres scientifiq­ues sur la question. J’estime qu’ils ont explosé en même temps que le paysage politique classique.

Ont-ils de l’influence? C’est très difficile de mesurer, scientifiq­uement, l’influence. Il y a en revanche une certitude: la notion de l’infusion. Quand le message se répète, sur un temps long, il finit par prendre.

leur appartenan­ce politique offre le dernier débat du jour. Sotto: “Sur les sous-vêtements, vous pouvez vous lâcher.” Julie Graziani médite à haute voix: “Prendre une douche chaude et enfiler des vêtements frais, ce n’est pas une obligation, c’est un plaisir.” Le débat se termine avec PPDA, dans la confidence: “Je ne prends que des douches froides.”

Encore plus tard, à 23h. À Boulognebi­llancourt. Yves Thréard et Serge July sortent en même temps de leur taxi respectif pour la deuxième partie des débats de l’émission Le Grand Soir, sur LCI. Serge July est un pionnier. En 1994, avec l’éditoriali­ste Philippe Alexandre, il débattait déjà de l’actualité dans l’émission Dimanche soir, présentée par Christine Ockrent. Et, déjà, le format était moqué par Les Guignols de l’info comme une version télévisée du café du commerce. “Je suis d’accord avec Cherge! répétait Philippe Alexandre. Allez, M’ame Krissine, fais péter une poire et des cahuètes!” Vingt-cinq ans plus tard, Serge July et Yves Thréard montent à la salle de maquillage et jettent un oeil sur le journal de 23h, qui s’ouvre avec la vidéo “troublante” de Juan Branco “exhumée” par Paris Match, dans laquelle le jeune avocat annonce, dès 2019, la chute prochaine de Benjamin Griveaux, que l’on verra “nu dans toute sa laideur”. Serge July: “C’est un sacré loustic, celui-là.”

Yves Thréard au maquilleur: “Alors, vous en avez fait des tonnes sur le coronaviru­s, comme sur BFM?” Le maquilleur: “Moins qu’eux, quand même. Si tu tousses, BFM débarque.” Serge July, un peu blasé: “Lyon a battu la Juve, c’est l’événement de la journée.” Les invités du plateau précédent sortent du studio. Tout le monde se salue. Yves Thréard lâche un “Monsieur le sénateur” à François Patriat, cacique du PS passé chez Macron, élu depuis 40 ans en Côte-d’or. Une fois qu’ils sont sortis, Thréard bitche un peu: “C’est un chasseur, mais il roule en Porsche.” Les deux routiers du journalism­e tirent maintenant des bords sur l’actualité des dernières semaines. Sur l’éventualit­é d’une rédemption politique pour Benjamin Griveaux, Serge July répète en boucle: “C’est injouable pour lui.” Thréard: “Tu te rappelles Baudis? Ça l’a tué, pourtant tout était faux.” Ils se mettent d’accord sur DSK, qui s’en sort le mieux en se tenant loin de la France. Yves Thréard: “Il est en Europe de l’est, en Afrique, il fait ses conférence­s à 100 000 euros. Je devais être son sparringpa­rtner à Abidjan.” Serge July: “Pour un ancien président du FMI, c’est mérité.” Ils entrent sur le plateau, s’assoient de chaque côté du présentate­ur, Julien Arnaud. En régie, deux technicien­s discutent de l’aprèstrava­il. “Je me bois une petite bière.” “Pas moi, c’est dur pour ma prostate.” “Je bois pas de rhum, ça me donne envie de sortir.” Technicien 1 annonce “30 secondes, on attaque avec Branco”. Technicien 2: “Les branquigno­les.” Technicien 1: “Il est lunaire, c’est le pied total.” Sur Juan Branco, Yves Thréard déroule: “C’est un bouffon, un type complèteme­nt paranoïaqu­e.” Pour July, “c’est un nihiliste”. La discussion dérive sur Bakounine. Le présentate­ur s’impatiente, l’air de dire que c’est pas le sujet. “Journée coronaviru­s” toujours et encore. Serge July a peur que la Chine et l’inde, qui fabriquent la totalité de nos médicament­s, ne soient complèteme­nt mises en quarantain­e et qu’une pénurie de comprimés ne frappe la France. “On a un mois de réserve”, prophétise-t-il. Yves Thréard colle à son édito du jour dans Le Figaro, qui défend, selon lui, une position équilibrée entre “rassurer et prévenir”.

Troisième sujet, le 49.3, et puis rideau. Serge July et Yves Thréard repartent en taxi dans un Boulogne-billancour­t désert. Trompeur, à entendre Thréard: “Faut pas croire que je vis comme un grand bourgeois, je prends le métro. Mais pas le bus, c’est trop lent.” C’est pourtant d’un bus (“ou un bateau”) dans lequel était assis “quelqu’un avec un voile” qu’il serait descendu pour signifier son opposition à l’islam, comme il l’avait expliqué sur le même plateau du Grand Soir en octobre dernier. Le dérapage avait, bien sûr, fait polémique. “Tu me ressors ça? interroge-t-il. Je me suis très mal exprimé. Au fond, je suis quasiment un laïcard, très ‘vallsiste’. Je refuse de me laisser berner: les filles qui portent le voile, c’est un acte militant, destiné à être visible, comme porter un burkini. C’est vraiment un acte antioccide­nt.” Il avoue aussi que, contrairem­ent à ce qu’il avait dit ce jour-là, il n’a pas été acteur de la scène, juste témoin. “Un jour où je suis à Marseille, je prends un bateau pour le château d’if et je vois une femme française qui refuse de s’asseoir en face de deux jeunes filles voilées de la tête aux pieds.” Pour lui, l’anecdote fait sens, parce qu’il y a “un risque qu’on vive séparément”.

Jeudi 27 février

Grosse journée: en plus de La Matinale, Aphatie officie le soir. Un débat d’une heure, à 21h et sur LCI, face à André Bercoff, qui attend seulement six minutes pour dire: “J’ai un ami qui est rentré des Maldives hier.” Coronaviru­s, encore! Ainsi va la semaine de l’éditoriali­ste: parler de tout, parfois de rien. “C’est la vie qui est comme ça, philosophe Aphatie. Nous-mêmes, en discutant avec nos proches, on s’accroche sur des queues de cerise, et parfois il y a des vrais problèmes qui nous sont posés. Le journalism­e, c’est pareil: parfois on se focalise sur des choses qui ne dureront pas, et puis d’autres fois sur le terrorisme, la planète, les retraites, des vrais sujets.” Sur la dangerosit­é du métier, et l’influence que les éditoriali­stes ont sur les téléspecta­teurs et les auditeurs, Jeanmichel Aphatie a aussi son avis. Il assure “servir à quelque chose dans l’immense lessiveuse qu’est la démocratie: les gens se forgent une opinion parce que celui qu’ils entendent dit des choses avec lesquelles ils sont d’accord ou non”. Pourtant, si Jeanmichel Aphatie déclare voter blanc à chaque élection, force est de reconnaîtr­e que ce que “les gens” entendent est souvent de droite. Selon Philippe Riutort, sociologue et auteur de La Politique sur un plateau, ce que le divertisse­ment fait à la représenta­tion, la plupart des éditoriali­stes présents sur les talk-shows de chaînes comme LCI, Cnews et BFM-TV seraient en effet à classer à droite sur l’échiquier politique. Parce que ces chaînes sont intrinsèqu­ement de

Sur RTL, on attend la fin de la séquence pub dans la bonne humeur. Julie

Graziani: “Rokhaya, t’as changé ta couleur de cheveux? Moi, j’ai coupé.” Rokhaya Diallo: “Ça te va bien.” Thomas

Sotto: “On va parler du coronaviru­s, tout le monde veut en parler”

droite? Ou parce que les avis qui prônent des solutions radicales font du buzz, et donc de l’audience? “J’opte pour la seconde hypothèse”, tranche Philippe Riutort. Le précurseur Éric Zemmour, l’ancien journalist­e de Téléfoot Pascal Praud, la jeune Charlotte D’ornellas, venue de Valeurs actuelles et devenue célèbre pour avoir donné des chiffres faux sur l’immigratio­n et les avoir justifiés par un “on se fout des chiffres”, le confirment: plus un éditoriali­ste parle fort, plus il prend des positions extrêmes, et plus il récolte.

Samedi 29 février

Yves Thréard a mis une cravate. Et il est bien entouré. Des ex-ministres grecs, chypriotes, des universita­ires. À 15h, il anime à la Maison de la Chimie le colloque “La dérive panislamis­te et néo-ottomane d’erdogan”. La salle est pleine, plutôt âgée et toute acquise à la critique de la “dérive” du président turc. “Je suis une espèce de Monsieur Loyal sur ce genre de conférence. Ça me nourrit intellectu­ellement, j’apprends des choses, auprès de gens de bon niveau”, explique-t-il. Devant le pupitre, Valérie Boyer, la députée des Républicai­ns, cède sa place à l’essayiste Alexandre del Valle, lui aussi classé à droite, présenté comme un “grand spécialist­e des mouvements islamistes”. Il adresse ses pensées à tous les peuples ou groupes religieux martyrisés par les Turcs depuis des siècles. “Pensées aux Arméniens, pensées aux chrétiens, pensées aux alévis qui n’ont aucun droit.” Il fait la liste des assassinat­s politiques. “En Turquie, ce sont toujours les fous qui égorgent les gens”, ose-t-il. Yves Thréard acquiesce de la tête. Alors que beaucoup d’éditoriali­stes arrondisse­nt leurs fins de mois en se faisant grassement payer pour animer des conférence­s, des colloques ou des séminaires d’entreprise, lui assure être venu bénévoleme­nt pour “son ami” Mezri Haddad, organisate­ur du colloque, et ne pas faire de “ménages”. Aucun livre non plus à son actif pour développer “la marque Thréard” comme il existe désormais une marque “Zemmour” ou une marque “Barbier”, qui se déclinent et se monétisent généraleme­nt en quatre étapes: présence médiatique, publicatio­n d’un livre, séances de signatures, animation de conférence­s. Et les chiffres suivent: Éric Zemmour peut aujourd’hui se targuer d’avoir vendu quelque 468 000 exemplaire­s de son livre Le Suicide français (2014) ; 103 000 pour Destin français (2018). “Développer sa marque, c’est plutôt le lot des éditoriali­stes solistes, s’échappe Thréard. Moi, j’ai un journal dont je dois m’occuper. Je n’ai pas le temps pour le reste.”

19h. Aphatie est maintenant sur France 5, dans C l’hebdo, qu’il a enregistré­e la veille. Une semaine de plus sans être parti “sur le terrain” ni avoir enquêté, donc. Un reproche souvent formulé à l’encontre des éditoriali­stes. Interrogé un jour sur la question par France Inter, Christophe Barbier avait revendiqué son “isolement” du terrain pour conserver sa “lucidité” d’éditoriali­ste. “Ce n’est pas parce qu’on reste chez soi que l’on ne vit pas dans la société, développe Aphatie. Moi, la société, je la comprends, d’abord parce que je la vis, je paye mes impôts, mon loyer, je suis confronté aux problèmes que tout le monde connaît. C’est la première forme d’appropriat­ion de la réalité.” La deuxième, poursuit-il, est le “travail”. Il s’efforce de rencontrer “deux ou trois personnes par semaine”, au déjeuner, et seulement au déjeuner. En juillet dernier, il avait reconnu une “erreur” après avoir été épinglé pour avoir participé à l’un des fameux dîners fastueux de François de Rugy. Il ne l’aurait fait que parce que leurs épouses, assure-t-il, sont amies, et cela ne lui serait arrivé que deux fois, même s’il refuse de révéler avec qui a eu lieu le deuxième dîner. Demain, dimanche, il ne sera pas à l’antenne. Et ensuite? Quand il n’aura plus envie de commenter l’actualité, Jean-michel Aphatie pense qu’il arrêtera en même temps de la suivre.•tous

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Il fait chaud dans cet ascenseur.

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