DERNIÈRE VIRÉE
Présences fantomatiques suspendues dans le silence des nuits londoniennes, les muses motorisées du photographe Ray Knox composent un cimetière de l’ancien monde dont la fossoyeuse locale sévit sous le nom D’ULEZ (Ultra Low Emission Zone). En vigueur à Londres depuis 2019, cette zone de très basse émission interdit en effet la circulation de véhicules jugés trop polluants dans un périmètre s’étendant, depuis le 25 octobre dernier, bien audelà des limites du centre-ville. “Je faisais beaucoup de promenades tard dans la nuit pendant le confinement, quand j’ai commencé à remarquer ces vieilles voitures et ces caravanes garées sous les lumières sinistres des réverbères”, se remémore celui dont la vente contrainte, quelque temps plus tard, d’une Fiat Punto recalée aux tests d’émission carbone et “chérie pendant 20 ans” scellera le début d’une entreprise élégiaque déchirée entre l’attachement nostalgique pour ces “vieilles autos à la personnalité captivantes” et la nécessaire prise de conscience écologique. Capturée dans un clair-obscur cinématographique cher aux maîtres de l’étrangeté suburbaine que sont John Carpenter ou David Lynch, cette litanie onirique de Mini Cooper, Citroën 2CV ou DS (“Ma préférée, j’adore les lignes fluides de sa forme”), entités mélancoliques livrées à la solitude d’une réalité dénuée de conducteurs, fonctionnerait également comme ode à un certain terreau esthétique traditionnel. “Londres a toujours été un endroit fantastique pour apercevoir ces vieux modèles d’automobiles”, poursuit le photographe, qui n’en finit plus d’être écartelé entre des sentiments contradictoires: “Je pense que réduire la pollution est une démarche positive mais cela signifie aussi la fin de la route pour beaucoup de ces véhicules iconiques, qui représentent une partie de notre héritage automobile. C’est triste de les voir disparaître.”