Sci-hub, pirate du Web
En 2011, la Kazakhe Alexandra Elbakyan créait un site permettant de télécharger, gratuitement mais illégalement, une bonne partie de la recherche scientifique mondiale. Dix ans, un statut d’icône et des accusations d’espionnage plus tard, elle fait le point.
Il y a dix ans, une jeune chercheuse kazakhe du nom d’alexandra Elbakyan créait SCI-HUB, un site permettant de télécharger, gratuitement mais illégalement, une bonne partie de la recherche scientifique mondiale.
Elle est depuis devenue à la fois l’héroïne des activistes de l’information libre et la bête noire des éditeurs scientifiques, et fait même figure pour certains de potentielle pièce dans la stratégie d’influence russe. Mais encore?
une vie d’universitaire, les remerciements de la thèse sont l’équivalent d’un discours de remise de César, l’hommage indispensable à ceux qui ont aidé à boucler ce marathon. Ces dernières années, en France comme à l’étranger, on a vu un nouveau nom y apparaître régulièrement aux côtés de ceux des parents, conjoints, amis, collègues ou fournisseurs de bonne musique et de cafés serrés. On la qualifie de “Robin des bois des sciences”, on fait part de sa “gratitude” pour
“son action remarquable”, pour “son audace, son courage et sa ténacité”, quand on ne lui dédie pas carrément l’ensemble de son travail. Les auteurs de ces mots doux n’ont pourtant jamais rencontré Alexandra Elbakyan, 33 ans. Mais cette jeune Kazakhe leur a fourni, avec le site pirate Sci-hub, un moyen illégal mais efficace d’accéder gratuitement en quelques clics aux dizaines de millions d’articles produits par les grandes revues scientifiques, normalement réservés aux détenteurs d’un onéreux abonnement. Ce faisant, elle est aussi devenue la bête noire des grands éditeurs, qui assument pour l’occasion le rôle peu enviable autrefois endossé par les majors du disque face à Napster et ses clones.
Pas de quoi lui faire peur. Sous une image de cotillons postée sur Twitter, Alexandra Elbakyan a annoncé, le 5 septembre dernier, l’ajout de plus de 2,3 millions d’articles à la base de données de Sci-hub. Le site, qui soufflait ce jour-là ses dix bougies, en compte désormais pas loin de 90 millions, soit, en ordre de grandeur, l’équivalent d’environ deux tiers de la production académique référencée. Vous cherchez des articles traitant de la façon dont l’ordinateur peut battre l’homme au jeu de go, un des tubes universitaires les plus massifs de ces dernières années? Ils sont sur Sci-hub. Les premières études publiées fin 2019 sur un mystérieux virus apparu dans la région de Wuhan et dont personne ne se doutait alors qu’il allait mettre l’humanité sous cloche? Elles sont également dans sa base de données. Des articles de référence produits il y a un demi-siècle par les stars de la pensée française de l’époque? Ils y sont sans doute aussi. De quoi rendre accros chercheurs, étudiants, documentalistes et journalistes spécialisés. “Sci-hub, c’est mon dealer de crack qui se rappelle à mon souvenir chaque fois que j’échoue à mener une vie saine”, tweetait en 2016 un bibliothécaire universitaire français. En 2020, deux paléontologues argentins, Federico Agnolin et Sergio Bogan, ont, eux, carrément rendu hommage à la fondatrice de Sci-hub en baptisant de son nom une espèce éteinte de poisson-chat, depuis connue sous le nom de Brachyplatystoma elbakyani.
“Il est possible qu’elle m’ait sauvé la vie”
Dix ans plus tôt, au printemps 2010, Alexandra Elbakyan n’est pas encore un nom d’espèce, et à peine un nom tout court: celui d’une “chercheuse indépendante” en neurotechnologie parmi les quelques centaines conviés à une conférence sur l’intelligence artificielle organisée à Tucson, en Arizona. Cinq jours durant, la chercheuse présente ses travaux sur l’interface entre le cerveau et la machine sur fond d’images de processeurs, de bras mécaniques et de cervelle bien rose.
À son retour, elle tire le bilan, positif mais coûteux, sur son blog: “Dans l’ensemble, j’ai aimé la conférence, mais ce que je n’ai vraiment pas aimé, c’est que vous devez payer pour tout!” La recherche, cela coûte cher, elle le vérifie régulièrement depuis le début de ses études supérieures, de son Kazakhstan natal à Moscou en passant par des stages à Fribourg et Atlanta. La documentation, surtout: à l’époque, les universitaires en quête d’articles pour nourrir leurs recherches sollicitent un coup de pouce sur les forums de discussion ou font tourner leur demande sur les réseaux sociaux, accolée à un mot-dièse farceur inspiré d’un mème félin, #ICANHAZPDF. “Beaucoup d’articles dont j’avais besoin étaient en accès payant et je me suis dit que ça serait bien de disposer d’un programme qui les téléchargerait gratuitement, comme on fait pour la musique et les films”, explique aujourd’hui Alexandra Elbakyan.
Quand on l’interroge, par écrit et en anglais, sur le moment où elle a lancé le projet qui l’a rendue célèbre, la jeune femme, à la fois ouverte à la discussion et méfiante (à une de nos interrogations techniques, elle répondra qu’elle semble émaner “d’une personne désireuse de glaner des détails utiles sur Sci-hub en se faisant passer pour un journaliste”), affirme avoir peu de souvenirs précis de ces quelques jours décisifs: “Ce n’est pas comme porter un enfant ou se marier, pas quelque chose que vous préparez plusieurs mois à l’avance et dont vous attendez l’arrivée avec excitation en en retenant des petits détails dix ans plus tard. C’était juste une idée de programme qui m’est venue soudainement et que j’ai testée pour voir si elle fonctionnait. Et elle fonctionnait.” Tout juste consent-elle à raconter un rêve étrange et pénétrant, survenu quelques jours plus tôt: “J’étais dans un bâtiment qui ressemblait à une maison moderne, mais c’était l’académie des sciences de Russie. Il faisait sombre et partout des gens dormaient dans des positions bizarres. Quelqu’un marchait avec précaution comme s’il allait voler quelque chose. Je suis allée jusqu’à l’interrupteur et je l’ai actionné. D’un coup, la lumière s’est allumée sur les douze étages du bâtiment, les gens ont commencé à se réveiller, tout le monde était d’extrêmement bonne humeur. Autour, tous les bâtiments étaient dans l’obscurité, à part le Kremlin et l’académie.” Après avoir imaginé un script informatique permettant, grâce à des codes d’accès aux serveurs des éditeurs transmis par des universitaires, de télécharger à la demande des articles scientifiques, Alexandra Elbakyan poste sa trouvaille sur des forums russes dédiés à la biologie moléculaire ou la chimie et la laisse se répandre. Une décennie plus tard, le nombre de téléchargements quotidiens y est évalué à plusieurs centaines de milliers au moins –la chercheuse, elle, l’estime à plus de deux millions–, contre cinq millions d’articles téléchargés chaque jour. Le site fait partie de la boîte à outils du monde de la recherche au sens large, y compris chez les médecins libéraux. “Dès qu’on sort du contexte hospitalier et qu’on est à son compte, on est totalement démuni pour l’accès à l’information scientifique
en première main, estime ainsi Florian Zores, cardiologue à Strasbourg.
Je continue à lire des revues scientifiques pour me tenir au courant et cela me serait quasiment impossible sans Sci-hub: il me faudrait un abonnement annuel à chacun des grands journaux, comme The Lancet ou The New England Journal of Medicine, qui tournent tous à 600, 700, 1 000 dollars par an.” Même des patients y ont recours, curieux de connaître les dernières avancées sur le traitement de leur pathologie. Après qu’on lui eut diagnostiqué un cancer de la prostate en 2018, le Britannique George Monbiot, éditorialiste star du Guardian sur les questions climatiques, expliquait l’avoir alors utilisé pour comparer les différents traitements: “Je n’ai jamais rencontré Alexandra Elbakyan et je ne peux que spéculer sur ce qui aurait pu se passer si les travaux que j’ai lus n’avaient pas orienté ma décision, mais il est possible qu’elle m’ait sauvé la vie.”
Les péages d’accès n’étaient qu’une “ligne Maginot”
En avril 2016, la revue Science, l’une des plus prestigieuses du monde, finit par poser la question qui fâche dans un article à sensation: “Qui télécharge illégalement des articles scientifiques?” Réponse: “TOUT LE MONDE.” Le magazine révèle que des millions de copies d’articles sont téléchargées en fraude tous les mois, aussi bien en Chine ou en Inde que dans les pays occidentaux. Intervenant devant la presse le même mois à Amsterdam, le Portugais Carlos Moedas, commissaire européen à la Recherche, à l’innovation et à la Science, estime que le succès du site est la preuve que l’édition scientifique doit se réformer et que “le succès de l’europe repose désormais sur un partage le plus tôt possible” des avancées de la recherche. Les paywalls, les péages d’accès à la science, sont en train de s’effriter. Ils n’étaient peut-être, selon la formule ironique de David Rosenthal, un ancien bibliothécaire de l’université de Stanford, qu’une “ligne Maginot”.
Le succès de Sci-hub a surtout permis de mettre le doigt sur les particularités d’un marché peu connu du grand public, celui des publications scientifiques universitaires. En début de chaîne, un(e) chercheur(se), souvent payé(e) sur fonds publics, produit un article à partir de ses travaux et le propose, sans être rémunéré(e), à une revue. Celle-ci fait évaluer la validité du travail en question par d’autres chercheurs sans que ceux-ci soient payés non plus, puis… revend l’article. Cher: une dizaine d’euros à l’unité, quelques centaines par an pour un abonnement complet, davantage encore pour les universités, dont les budgets consacrés aux revues scientifiques se chiffrent en centaines de milliers –voire millions–
d’euros annuels. Un modèle extrêmement rentable: les géants du secteur, comme le britannico-néerlandais RELX Group (anciennement Reed-elsevier), pèsent jusqu’à des dizaines de milliards de dollars en Bourse et affichent des marges colossales. Les chercheurs, eux, sont non seulement incités à publier dans ces revues prestigieuses pour progresser dans leur carrière, mais dépendants des ressources de leurs universités en tant que lecteurs. Ces dernières années, le coût des abonnements s’est accru, l’âpreté des négociations aussi. Une étude menée en 2020 par le consortium documentaire Couperin, qui regroupe la grande majorité des universités françaises, a fait état d’une insatisfaction “flagrante” de la communauté des chercheurs sur le rapport qualité-prix et la valeur ajoutée apportée par le monde de l’édition scientifique. “Il y avait autrefois beaucoup de petits éditeurs et, à force de rachats, on est arrivés à cinq ou six grands, explique Christine Ollendorff, directrice de la documentation et de la prospective aux Arts et Métiers à Paris. Dans les années 2000, les éditeurs ont été très forts: ils nous ont dit que pour le même prix que l’abonnement papier, ils allaient nous donner accès à l’ensemble des versions électroniques de leurs titres, on a fait ‘waouh’ et quand tous les chercheurs sont devenus accros, ils ont augmenté les prix et on s’est retrouvés coincés.” Comme beaucoup de ses confrères, elle se dit “ambivalente” envers Sci-hub, prise entre la mise en avant de l’offre légale, les limites de cette dernière et l’insatisfaction ou la mauvaise information des chercheurs, qui négligent parfois d’utiliser les ressources proposées par leur université. “Il y a pas mal de chercheurs ou de doctorants qui, par flemme, facilité ou méconnaissance des abonnements de leur institution, vont sur Sci-hub, explique-t-elle. Que le site soit très utilisé en Inde, en Iran ou en Égypte, c’est normal. Qu’il soit très utilisé en France, ça l’est moins, car on a quand même des accès importants.”
Entre l’accès payant et le téléchargement illégal, il existe pourtant une troisième voie: l’open access, l’accès légal et gratuit à l’expertise scientifique. En 1994, Stevan Harnad, un chercheur hongrois en sciences cognitives, incitait dans ce que l’on appelle depuis la “Proposition subversive” les chercheurs du monde entier à publier leurs travaux gratuitement en ligne plutôt que de les confier aux revues commerciales. On imagine alors qu’internet permettra aux scientifiques d’ajouter leurs études à des bases de données dédiées ou de pratiquer l’open accesss, dit “doré”, en les compilant dans des revues thématiques gratuites. Presque dix ans plus tard, depuis son salon de Montréal, Harnad, qui se présente comme un ancien “archivangéliste” et se consacre aujourd’hui au combat contre la souffrance animale, analyse sans concession ce qu’il perçoit comme l’échec d’un rêve: “J’ai perdu la bataille pour l’accès libre parce que les entreprises étaient beaucoup plus fortes que moi. L’industrie a gagné, moi et d’autres, nous avons perdu.” Perdu car, juge-t-il, si le nombre de publications en open access a considérablement augmenté, les éditeurs ont perverti le système en proposant aux chercheurs du “faux or”: le grand public pourra les lire gratuitement... mais eux paieront. En 2017, les plus grandes universités et organismes de recherche français (CNRS, Inserm...) ont ainsi versé près de 5,6 millions d’euros aux revues scientifiques pour faire publier en accès libre plus de 3 000 articles signés par leurs chercheurs. “Je n’ai pas réussi à convaincre que le système est absurde et la preuve qu’il l’est, c’est Sci-hub”, juge Harnad. Dans le monde des militants de l’accès libre, Sci-hub est aujourd’hui considéré comme un open access “noir” –probablement orné d’un crâne et d’une paire d’os. Un croche-pied aux maisons d’édition, certes, mais qui ne rend pas pour autant les chercheurs plus autonomes dans leurs publications. Alexandra Elbakyan, elle, estime qu’au “sens étroit du terme”, son projet ne participe pas du mouvement open access mais constitue “la parfaite mise en oeuvre de ses objectifs”. Avec une grosse touche de guérilla numérique en plus, de celle qu’avait menée, au début des années 2010, l’activiste américain Aaron Swartz, qui s’est pendu début 2013 alors qu’il était menacé de prison pour avoir téléchargé en masse des articles universitaires depuis les serveurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT).
Activiste ou espionne?
Bibliothécaire à l’école centrale de Lyon, Nicolas Jardin est notamment chargé de guider les étudiants dans la jungle des publications académiques. En 2018, il leur présentait Sci-hub sous la forme d’une métaphore cinématographique: d’un côté, Luke Skywalker, le bras amputé, en position précaire au-dessus du vide, dans le rôle du “chercheur en manque de littérature scientifique” ; de l’autre, Dark Vador, la main tendue vers son fils, dans celui du site pirate. L’année suivante, il leur proposait cette fois un escape game: plongés dans une dystopie où une multinationale contrôle l’intégralité de la connaissance mondiale, ils étaient chargés de repérer des indices permettant de localiser Alexandra Elbakyan pour la balancer aux autorités. “C’était un scénario, mais il y avait quand même des participants qui avaient des problèmes de conscience à appeler pour la dénoncer”, s’amuse-t-il aujourd’hui. Les grands éditeurs, eux, n’ont pas ces petits jeux. En 2015, Elsevier a porté plainte contre Sci-hub devant la justice new-yorkaise. Alexandra Elbakyan a répliqué en accusant le groupe de “racket” et d’exploitation du travail des chercheurs. L’affaire a fait exploser la couverture médiatique du site, ainsi que son audience. Estimant que Sci-hub, et d’autres projets associés, “desservent les intérêts du grand public”,
Le site compte désormais pas loin de 90 millions d’articles scientifiques, soit, en ordre de grandeur, l’équivalent d’environ deux tiers de la production académique référencée
la justice a imposé le versement de quinze millions de dollars de dommages et intérêts, jamais acquittés faute d’actifs à saisir aux États-unis. En France comme dans d’autres pays européens, les éditeurs ont obtenu en justice l’obligation pour les grands fournisseurs d’accès de bloquer le site. Blocage très théorique, cependant, tant des solutions techniques assez simples existent pour le contourner. Le front judiciaire s’est depuis déplacé vers l’inde, l’un des plus grands “marchés” mondiaux de Sci-hub, où plusieurs éditeurs ont déposé une plainte dont l’examen au fond est prévu pour début 2022.
Ces procédures judiciaires ont poussé, ces derniers mois, une poignée d’activistes du Web à faire de Sci-hub une de leurs causes privilégiées. “Shrine” est l’un d’entre eux. Ce chercheur d’une université publique américaine, qui a adopté pour alias ce mot qui signifie “sanctuaire”, s’est d’abord fait un pseudonyme, au printemps 2020, en récupérant via Sci-hub plus de 5 000 articles relatifs aux coronavirus avant de proposer librement en téléchargement cette “compilation éditorialisée”. Depuis, il voit plus grand et veut favoriser la duplication intégrale du site. Il a proposé à des milliers d’internautes de stocker sur leurs machines une petite partie de sa base de données: “Le principe, c’est la décentralisation. Cette mission de sauvetage prend la bibliothèque de Sci-hub, l’envoie 10 000 fois dans le monde entier et la laisse aux mains de milliers d’amoureux de la science. Cela, pour moi, fait la beauté d’internet.”
Pendant ce temps-là, dans le camp d’en face, la résistance aussi s’est organisée, non seulement chez les éditeurs universitaires, mais également chez les autorités et les experts en sécurité informatique. “Début 2017, des universités se sont mises à nous faire part du comportement inhabituel de certains utilisateurs qui téléchargeaient des dizaines de milliers d’articles de leur bibliothèque, ce qui faisait planter le système. Quand on demandait à ces utilisateurs pourquoi ils faisaient cela, ils répondaient que ce n’était pas eux alors que c’était leur identifiant et leur mot de passe”, affirme Andrew Pitts, un vétéran de l’industrie de l’édition aujourd’hui à la tête de PSI, une société britannique de solutions technologiques à destination des éditeurs scientifiques. Selon lui, les fuites de données depuis les réseaux des bibliothèques universitaires ne seraient pas seulement le résultat de codes d’accès gentiment prêtés par des sympathisants mais d’un phishing, cette pratique consistant à piéger un internaute en lui demandant son mot de passe sous une identité dissimulée, et Sci-hub fonctionnerait comme un “pot de miel” pour appâter les détenteurs d’accès, avec le risque que soient compromises leurs informations personnelles ou les données de leur établissement. Au printemps dernier, la police londonienne a d’ailleurs averti les universités et les étudiants qu’utiliser Sci-hub pouvait aboutir à ce genre de piratage. Alexandra Elbakyan, elle, a démenti avoir eu recours à ces techniques, tout en reconnaissant que des mots de passe obtenus de seconde main avaient pu, au départ, être récupérés de manière illégale.
“Sci-hub n’est pas un miracle tombé du ciel, [...] [il] fait partie d’une des plus grandes campagnes de guerre technologique de l’histoire”, clamait, dès le printemps 2019, Kent Anderson, ancien directeur de la publication de Science et du
New England Journal of Medicine. Mais encore? “Les collaborateurs des universités courent le risque de se faire voler leurs secrets car le gouvernement russe s’active à les récupérer, tempête Andrew Pitts. On connaît tous la Russie, n’est-ce pas? Tout le monde sait son rôle autour des élections, du Brexit à la présidentielle américaine...”
Fin décembre 2019, le Washington Post révélait l’existence d’une enquête du département américain de la Justice au motif que Alexandra Elbakyan “pourrait également travailler avec les services russes pour dérober des secrets militaires à des prestataires du secteur de la Défense”. Fondé sur des sources anonymes et publié, par une coïncidence du calendrier, quelques heures après la condamnation de Donald Trump par la Chambre des représentants pour ses pressions sur l’ukraine, le scoop a déclenché un âpre débat entre les détracteurs de Sci-hub et ses soutiens. Il a aussi installé Alexandra Elbakyan dans un rôle ambigu, à la fois héroïne de la liberté d’information et espionne potentielle. Le lanceur d’alerte Edward Snowden, réfugié en Russie, l’a défendue en appelant la presse et le Congrès américains à s’assurer que la jeune femme “ne soit pas persécutée pour son travail”. Cette dernière, elle, continue d’affirmer que Sci-hub constitue son projet à elle, et elle seule, et estime être victime de la suspicion associée au pays où elle réside ainsi qu’à l’“idéologie communiste” qu’elle promeut: “Sci-hub renverse l’ordre établi parce qu’il rend l’information libre. Cette liberté d’information est habituellement associée aux pays occidentaux, alors qu’on associe la Russie au manque de liberté et à la censure.” Pendant les affaires, ses affaires, en tout cas, continuent, y compris chez des intellectuels bien loin du communisme. Début novembre, l’auteur de best-sellers Steven Pinker, débattant sur les réseaux sociaux d’une récente étude en psychologie cognitive de Nature, incitait ses centaines de milliers de suiveurs à aller la lire... sur Sci-hub. Qui télécharge illégalement des articles scientifiques? Tout le monde, en effet. Même les millionnaires de l’édition.
“Les collaborateurs des universités courent le risque de se faire voler leurs secrets car le gouvernement russe s’active à les récupérer. On connaît tous la Russie, n’est-ce pas?” Andrew Pitts, un vétéran de l’édition scientifique