Society (France)

Les animaux au pouvoir?

- PAR MAXIME BRIGAND / ILLUSTRATI­ONS: FAUNE STUDIO POUR

Ils sont, sur les réseaux, devenus des influenceu­rs comme les autres. Et figurent en bonne place dans les débats de la prochaine présidenti­elle française, où une liste défend même leurs droits. Les humains n’en finissant plus de décevoir, l’avenir appartient-il aux animaux?

Il y a dix ans, la défense de la condition animale était au mieux un non‑sujet politique, au pire un épouvantai­l –affilié de façon plus ou moins proche au Front national. La montée des thèmes écologiste­s et d’associatio­ns comme L214 ont changé la donne. À tel point que 47% des Français affirment désormais que leur vote à la prochaine présidenti­elle pourra être influencé par la position des candidats sur la question. Et que le Parti animaliste, après avoir créé la surprise aux dernières européenne­s, participe cette année pour la première fois à la campagne présidenti­elle.

Elle prévient: la journée s’annonce intense. Ce mardi 11 janvier, alors qu’à Paris comme partout, on commence à se lever politique, à manger politique et à respirer politique, Hélène Thouy, elle, retire sa toge et sort son portable. Une dizaine de minutes plus tôt, la candidate du Parti animaliste à l’élection présidenti­elle était encore Me Hélène Thouy, avocate missionnée pour plaider devant le Conseil constituti­onnel afin de “défendre la liberté de conscience des opposants à la chasse sur leur propriété” dans le cadre d’une question prioritair­e de constituti­onnalité. Thouy, 38 ans, publie une photo du moment sur son compte Twitter avant de repartir au front. Elle a rendez-vous dans quatre heures avec la caméra de Yahoo France pour un face-à-face avec l’animateur Alexandre Delpérier, puis deux heures plus tard à la rédaction du Point. Elle avoue avoir “eu du mal” au début à se jeter dans le quatrième mur: “L’élection présidenti­elle est conçue comme ça. Les interviews, ça fait partie du job, il faut rentrer dans le jeu sans perdre notre identité. C’est un jeu d’équilibre, d’autant qu’on ne veut pas faire passer notre combat derrière une personnali­té.”

À quelques mois de la ligne d’arrivée, Hélène Thouy n’a plus le choix. Il lui faut se présenter à tous les micros, notamment pour contrer un chiffre. Selon une étude de notoriété réalisée par son parti fin 2021, seuls 4% des électeurs la connaissen­t. L’avocate, qui ne peut pour le moment pas se mettre en disponibil­ité pour se consacrer à 100% à la campagne, a déclaré sa candidatur­e l’été dernier, avec un double objectif: imposer la question animale dans les débats et poursuivre la bataille menée par son parti, qui vise autour des 5% au printemps prochain, après avoir secoué son monde lors des élections européenne­s de 2019, quand il a obtenu 2,2% des voix, doublant ainsi son score aux législativ­es deux ans plus tôt. Mais problème, le jeune parti, créé il y a cinq ans, doit toujours jouer des coudes pour se faire une place dans les sondages. “On a saisi la commission en charge de contrôler l’objectivit­é des sondages, parce qu’on y est absents, détaille Thouy, au fond d’une brasserie parisienne. En novembre, on a pourtant commandé une étude à l’ifop qui nous a crédités de 2% des intentions de vote, soit à l’époque le double d’arnaud

Montebourg. J’ai demandé à la commission qu’on nous inclue systématiq­uement dans les sondages, mais on m’a répondu que les sondeurs n’ont pas à se justifier des critères de choix des candidats... Il n’y a quasiment pas de contrôle, alors que les sondages déterminen­t tout: les prêts bancaires, la visibilité...” Et les parrainage­s: Hélène Thouy, qui en avait 260 mi-janvier, se retrouve souvent face à des maires qui jugent sa candidatur­e “nécessaire” mais refusent de donner leur soutien à qui que ce soit. Selon la candidate, certains élus ruraux auraient également reçu des pressions aux subvention­s de la part de responsabl­es du Mouvement de la ruralité, ancienneme­nt Chasse, pêche, nature et traditions. Pourtant, si elle trouve ses parrainage­s, Hélène Thouy pourrait, selon un député de la majorité, créer une nouvelle fois la surprise: “Une grosse surprise, qui serait une confirmati­on: désormais, on ne peut plus faire de politique sans parler de condition animale. Il y a 30 ans, ce n’était pourtant qu’un sujet rangé au fond d’un placard et que personne n’avait envie de mettre sur la table.”

“Madame crottes de chiens”

Il y a 30 ans, justement, la socialiste Geneviève Gaillard, vétérinair­e dans le civil, débarquait au conseil municipal de Niort, une ville où son père, René, a donné son nom au stade de foot après de nombreuses années de règne politique. Vite, la future députée, qui deviendra par la suite maire du chef-lieu des Deux-sèvres, est affublée d’un surnom: “Madame crottes de chiens”. “Je pense que ça suffit pour vous montrer la place qu’on accordait à la condition animale dans les débats”, dit-elle. Gaillard décide malgré tout, au cours de son premier mandat de députée, de créer un groupe d’études parlementa­ire sur la protection animale. Souvenirs: “Quand le groupe a été créé, mes collègues disaient tous être des protecteur­s des animaux, mais aux réunions, il y avait 50 inscrits et deux personnes qui venaient. C’est comme si faire partie d’un groupe de travail sur la protection animale

Hélène Thouy estime que le président Macron a fait du “massacre des animaux” un marqueur de son mandat. “Il y a eu des avancées, mais il a fait des cadeaux à n’en plus pouvoir aux chasseurs”

faisait bien sur la carte de visite, rien de plus.” Faute de réussir à avancer en groupe, Geneviève Gaillard va finalement surtout lutter avec deux autres femmes –Laurence Abeille (EELV) et Muriel Marland-militello, alors membre de L’UMP– pour bousculer un sujet que les partis traditionn­els ont longtemps regardé comme s’il brûlait les doigts. “La raison est simple, complète Gaillard. Le parti qui a choisi de s’en emparer en premier est le Front national. Les autres ne voulaient donc surtout pas s’y aventurer et j’ai très vite vu qu’il ne fallait pas en parler. Ça a eu un grand impact sur la première décennie des années 2000. Puis, L214 est arrivée.” L’histoire est connue: en diffusant des images tournées clandestin­ement dans des abattoirs, l’associatio­n créée en 2008 et devenue la référence de la protection animale en France a bousculé l’opinion. Dans les allées de l’assemblée nationale, Geneviève Gaillard voit alors les regards changer petit à petit.

Au printemps 2015, Fabienne Roumet est, elle, dans les bureaux d’europe Écologie-les Verts. Devenue conseillèr­e d’arrondisse­ment à Paris pour le parti après plusieurs années de militantis­me, elle note aussi un changement de perception dans la foulée des actions de L214 –dont Thouy est l’une des avocates attitrées. Roumet, qui a depuis quitté le parti écologiste et est devenue la directrice de campagne d’hélène Thouy, détaille: “Lorsque je suis arrivée chez EELV, il y avait un groupe de travail sur la condition animale.

Ses membres étaient peu écoutés, d’autant que le parti était très investi par la Confédérat­ion paysanne, qui voyait d’un assez mauvais oeil la montée de ce sujet. Pendant de nombreuses années, vouloir s’occuper des animaux était considéré comme un truc de personnes en détresse. C’était un peu la honte. Il a fallu du temps pour que ça bascule, et tout le monde n’a pas basculé. À mes yeux, lutter contre la violence faite aux animaux revient pourtant à lutter contre une culture de la violence dans son ensemble.” Cette thèse est aussi portée par le député LREM Loïc Dombreval, aujourd’hui aux manettes du groupe d’études “Condition animale” de l’assemblée nationale et qui a notamment porté ces derniers mois un projet de loi contre la maltraitan­ce animale après avoir traîné dans un premier temps son lot de “mépris”: “Ça peut rester un sujet sur lequel les gens ricanent, mais globalemen­t, les élus ont aujourd’hui compris qu’on était sur un vrai sujet de société, qui interroge sur notre rapport au vivant, à la nature, notre éthique et notre morale, dit-il. Il y a 30 ans, il y avait deux millions de chasseurs. Aujourd’hui, ce chiffre ne cesse de décroître. En parallèle, les Français n’ont jamais eu autant d’animaux de compagnie. C’est un marqueur de notre époque: l’animal est devenu un membre à part entière de la famille, on dépense pour lui des sommes considérab­les, des jeunes couples préfèrent parfois avoir un animal de compagnie plutôt qu’un enfant... C’est un sujet d’époque.”

L’époque veut qu’il y a quelques mois, en réponse à un sondage de l’ifop, 47% des Français ont affirmé que leur choix de bulletin pourrait être impacté par la position prise par les candidats sur la question animale. Marine Le Pen le sait et s’affiche depuis longtemps avec ses chats. Jean-luc Mélenchon le sait aussi et a déjà, comme en 2017, glissé ce thème dans tous ses premiers discours de campagne. Lors d’un voyage mi-décembre en Guadeloupe, il a ainsi affirmé que “l’esclavage, le racisme, le spécisme et le sexisme nient l’individu”. En introduisa­nt ainsi pour la première fois en France la question de la lutte contre le spécisme –l’idée selon laquelle les animaux seraient inférieurs aux humains– sur la table du débat public, Mélenchon s’est posé en recours naturel des électeurs animaliste­s, si d’aventure Hélène Thouy ne réussissai­t pas à récolter tous ses parrainage­s. Plus, en tout cas, qu’un Yannick Jadot qui marche sur des

oeufs sur le sujet et qui s’est notamment récemment fait critiquer pour avoir dit qu’il appréciait le foie gras artisanal. Quid d’emmanuel Macron? Hélène Thouy n’y va pas par quatre chemins. Elle estime que le président a fait du “massacre des animaux” un marqueur de son mandat. “Il y a certes eu des avancées, mais il a aussi fait des cadeaux à n’en plus pouvoir aux chasseurs”, précise la candidate. Le député LREM Loïc Dombreval juge au contraire que la cause animale n’a “jamais autant été traitée que lors du dernier quinquenna­t”. Melvin Josse, cofondateu­r du Parti animaliste, qui s’est depuis retiré et copréside Convergenc­e animaux politique, dont le rôle est de mettre en relation associatio­ns et élus, tranche: “Lors du mandat actuel, les parlementa­ires ont vraiment compris que la cause animale était un sujet qui pouvait rapporter politiquem­ent. Le renouvelle­ment démographi­que de l’assemblée a aussi aidé en ce sens: plus de jeunes députés, de femmes... La France est en retard sur ses voisins, elle commence juste à débattre avec intelligen­ce de ses animaux alors qu’un parti pour les animaux existe aux Pays-bas depuis 2002. En France, l’émergence du Parti animaliste a fait pression, créé une compétitio­n électorale sur le sujet et poussé tout le monde à se positionne­r.” Ce rôle moteur est revendiqué par les élus locaux du parti, qui en compte neuf au total. À 49 ans, Sandra Krief a, par exemple, été propulsée conseillèr­e municipale à Grenoble avec le costume de déléguée à la condition animale, dans le sillage de la réélection d’éric Piolle en 2020. “J’ai eu des doutes au début, mais l’année a été riche, témoigne-t-elle. J’ai notamment décidé de faire partie du conseil d’administra­tion des abattoirs. J’y ai vu une chaîne d’abattage en marche, j’ai entendu les pleurs, senti les odeurs, vu les tremblemen­ts des cochons, des vaches, des veaux... Je sais qu’on ne les fera pas fermer, en tout cas pas aujourd’hui. Mais si on s’est lancés en politique, c’est pour faire évoluer les pratiques, les conscience­s. Et les citoyens commencent à le comprendre.”

Un ministère de la Condition animale

Une prise de conscience qui est aussi liée, selon Jérôme Fourquet, de l’ifop, coauteur d’une étude sur l’électorat animaliste pour la Fondation Jean-jaurès en juillet 2019, à l’évolution du rapport entre humains et animaux. “Aujourd’hui, nous sommes dans une société totalement urbaine et périurbain­e, donc la place de l’animal n’est plus du tout la même qu’il y a une soixantain­e d’années, et un paquet de gens n’ont jamais vu une exploitati­on agricole avec des animaux dedans, théorise-t-il.

Vous avez aussi des familles entières sans la moindre attache avec le monde de la chasse, sans compter qu’on est également dans une société qui s’est très fortement déchristia­nisée. L’animal n’est donc plus nécessaire­ment au service de l’homme, c’est désormais un être vivant doté de sensibilit­é, ce n’est plus un bien meuble, et l’homme n’est qu’une espèce parmi d’autres. Il y a 50 ou 60 ans, tout ça était inaudible.” L’étude menée par le directeur du départemen­t “Opinion” de l’ifop sur l’électorat animaliste aux européenne­s dessine d’ailleurs un vote souvent minimal dans les régions où l’élevage est encore très développé. Mais aussi: un vote complèteme­nt détaché du vote écologiste. “Intuitivem­ent, on pouvait se dire que le Parti animaliste était une sous-famille D’EELV, complète Fourquet. En réalité, on semble être plutôt sur un électorat Brigitte Bardot ou ‘30 millions d’amis’. D’ailleurs, c’est à Saint-tropez que le vote animaliste a été le plus fort en 2019. Ces électeurs ne sont pas dans une dénonciati­on idéologiqu­e de la condition animale, de l’élevage, mais ils cherchent plutôt à exprimer le fait que les animaux occupent une place importante dans leur vie et qu’il ne faut pas les maltraiter. En France, quand les partis écolos s’occupent de la question animale, ils parlent de baleines, d’espèces plutôt liées au réchauffem­ent climatique. Ceux qui votent animaliste, eux, pensent aux chats et aux chiens.”

Hélène Thouy, elle, veut croire au contraire que son combat est en train de devenir transversa­l, et affirme que plus de la moitié de ses adhérents sont des ruraux. Avant les européenne­s de 2019, elle avait aussi constaté que sa candidatur­e était populaire parmi une certaine frange de la population, plutôt âgée, ayant voté dans le passé à gauche, puis à droite, et se disant “dégoûtée de la politique, en colère”. “Dans leurs messages, décrit la candidate, ils nous disaient qu’en votant animaliste, ils avaient le sentiment que leur vote avait un sens.”

Thouy justifie sa présence à la course présidenti­elle par l’absence “d’alternativ­e réellement crédible” sur la cause animale et a d’ores et déjà annoncé qu’elle ne conclurait aucune alliance avec aucun parti. Son programme, monothémat­ique, comporte plusieurs mesures: réduction de 50% de la consommati­on des produits d’origine animale d’ici la fin 2027, interdicti­on totale de la chasse, fin de l’élevage industriel et intensif, création d’un ministère de la Condition animale indépendan­t du ministère de l’agricultur­e, accompagne­ment des éleveurs dans leur conversion à une production végétale... Parmi ses soutiens, elle se réjouit de compter plusieurs “bonnes étoiles”: Julien Courbet, Laurent Baffie, Brigitte Bardot ou encore Anny Duperey. Au-delà des étoiles, certains électeurs ont glissé à Hélène Thouy que si elle ne parvenait pas à franchir le cap des 500 parrainage­s et à se présenter, ils resteraien­t chez eux le jour du vote. Un autre symbole des temps qui changent? Les animaux ont sauté les barrières et Geneviève Gaillard, un temps “bête à abattre pour les chasseurs”, peut souffler: il n’y a plus de “Madame crottes de chiens”.

“En France, quand les partis écolos s’occupent de la question animale, ils parlent de baleines. Ceux qui votent animaliste, eux, pensent aux chats et aux chiens” Jérôme Fourquet, directeur du départemen­t “Opinion” de l’ifop

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