Society (France)

Dossier Ukraine

- PAR MINH DRÉAN ET LUCAS DUVERNET-COPPOLA

En déclarant la guerre à l’ukraine le 24 février dernier, Vladimir Poutine faisait basculer l’europe dans l’inconnu et dans un état de tension jamais atteint depuis la guerre froide. L’escalade est-elle désormais inévitable? Que veut vraiment le chef du Kremlin? Faut-il craindre le pire? La réponse en 20 pages.

En décidant d’envahir l’ukraine juste avant l’aube, le 24 février, Vladimir Poutine plongeait le monde dans l’effroi, la stupeur et l’angoisse. Pourquoi en être arrivé là? Fallait-il s’y attendre? La Russie ne prend-elle pas le risque de s’isoler définitive­ment de la communauté internatio­nale en se lançant dans une telle guerre? Et surtout: faut-il craindre, désormais, un conflit plus global? Six spécialist­es répondent.

Vera Ageeva: Dès 2007 et son discours de Munich, Poutine a commencé à construire l’idée artificiel­le que L’OTAN était une menace. Il évoquait alors

‘le danger de l’élargissem­ent de L’OTAN vers la Russie, la Géorgie, l’ukraine’.

Il s’est en fait servi de la prétendue menace atlantiste pour renforcer son image, durcir les mesures à l’intérieur de son pays et davantage contrôler la société. Mais c’est une crise totalement artificiel­le: il n’y avait pas de vraie menace pour la Russie.

Françoise Daucé: Il faut prendre en compte deux tournants: en 2011 et 2012, on a assisté, dans les grandes villes russes, à des manifestat­ions d’ampleur pour protester contre les fraudes électorale­s et la réélection de Poutine. Ce moment de contestati­on majeure a été suivi d’une série de mesures pour reprendre en main la société civile, les médias et l’ensemble des forces politiques protestata­ires. Puis, en 2014, il y a eu un changement de pouvoir à Kiev. Le président ukrainien, favorable à la Russie, a été remplacé par un chef d’état plus éloigné de Moscou. Florian Vidal: C’est aussi en 2014 que la situation de conflit entre l’ukraine et la Russie a été amorcée. Depuis, malgré les accords de Minsk, aucune solution sur le long terme ne s’est dessinée avec les deux territoire­s séparatist­es. Au printemps 2021, les Russes avaient mis en place des exercices de déploiemen­t à la frontière ukrainienn­e. On voyait ça comme un levier de négociatio­ns pour faire avancer la situation, car Moscou disait que Kiev n’appliquait pas les accords. En fait, ces exercices militaires étaient des états des lieux en termes de logistique et de déploiemen­t des troupes. En novembre, on a constaté une installati­on d’infrastruc­tures militaires et un regroupeme­nt de troupes autour de l’ukraine. Beaucoup d’experts pensaient que cela ne serait que de la diplomatie de coercition. Si on regarde l’historique de cette dernière année, on réalise que tout devait aboutir à ce qui s’est passé dans la nuit du 24 février dernier.

VA: Le gouverneme­nt russe est aussi entré dans un cycle électoral et prépare sans doute les élections de 2024. Depuis des années, Poutine perd en popularité. Le niveau de vie a beaucoup baissé. Même si ce n’est pas facile à mesurer puisque tous les centres de sondage sont censurés en Russie, les gens sont mécontents. Avant 2018, on estime que Poutine disposait de 50 à 60% de soutien. Depuis la réforme des retraites en 2018, le soutien populaire a baissé. Il fallait donc chercher une

“Il n’y avait pas de vraie menace pour la Russie”

nouvelle légitimité. Quelle idée pouvait-il proposer pour unir le pays? Puisque les mesures économique­s ne sont pas son point fort, il a décidé de mettre l’accent sur des réussites extérieure­s.

“Des médias vus comme des ‘agents de l’étranger’”

FD: Le monde associatif russe est soit encadré, soit en cours de dissolutio­n. Les médias sont aux ordres, ou bien écrivent sous le label ‘agents de l’étranger’. Dans un contexte de conflit internatio­nal, il prend tout son sens: les médias qui essaient d’avoir un angle différent de celui du pouvoir pour couvrir les événements en Ukraine le font sous ce statut, ce qui les discrédite auprès du public. Se former une opinion critique quand on est un(e) citoyen(ne) russe n’est donc pas facile. Il n’y a pas beaucoup de points d’appui pour trouver des arguments à l’encontre du récit proposé par le pouvoir. À cela s’ajoute une volonté d’éviter les questions politiques pour ne pas avoir d’ennuis.

Françoise Lesourd: Aujourd’hui, un homme seul ne peut pas affronter Poutine et son régime. C’est un pouvoir criminel qui a tué ses principaux opposants. Le régime soviétique tuait des gens, bien sûr, mais ça prenait un semblant de justificat­ion légale, de défense du parti. Sous Poutine, rien, il n’y a même pas une apparence de justificat­ion. On l’a vu avec la journalist­e Anna Politkovsk­aïa ou l’ancien gouverneur de Nijni Novgorod, Boris Nemtsov: ils ont simplement été supprimés. Quelle peut être la réponse de la société russe? Beaucoup de ceux qui sont allés manifester contre la guerre ont immédiatem­ent été coffrés. Estce que cela pourra être un détonateur qui donnera enfin une raison d’exister à une opinion publique dans la société russe? Si tel est le cas, il y aura, hélas, des victimes.

“Depuis des années, Poutine perd en popularité. Le niveau de vie a beaucoup baissé en Russie. Il lui fallait donc chercher une nouvelle légitimité”

Vera Ageeva

“La diplomatie a échoué parce que les positions sont irréconcil­iables”

FD: La diplomatie a échoué à empêcher la guerre parce qu’on est face à des positions irréconcil­iables: le pouvoir russe a placé son niveau d’exigence très haut en demandant que l’ukraine renonce à toute entrée dans L’OTAN et en exigeant le désarmemen­t d’une partie des forces de L’OTAN stationnée­s en Europe. Plutôt qu’une incapacité à négocier, on était dans un dialogue de sourds. Les États-unis soutiennen­t l’ukraine dans sa volonté de se rapprocher du monde occidental et refusent de céder sur l’existence de L’OTAN, ce qui apparaît aux Russes comme contraire à leurs intérêts.

VA: Il s’agissait pour la Russie d’une imitation de l’activité diplomatiq­ue afin de justifier son comporteme­nt et pouvoir dire: ‘Nous avons essayé les voies diplomatiq­ues mais cela n’a pas marché.’ Vladimir Pastukhov: Ce que les Occidentau­x appellent ‘solutions diplomatiq­ues’ veut dire, dans la réalité, être capable d’accepter une sorte de capitulati­on face à la Russie. C’est un jeu à résultat nul: l’un ou l’autre doit perdre. FD: En mettant bout à bout les différents changement­s des derniers mois, on peut expliquer la crise majeure que l’on est en train de vivre. Il y a eu le changement de pouvoir à Washington, le départ de Merkel, la volonté de rapprochem­ent de l’ukraine avec les structures de L’OTAN… Par ailleurs, l’ukraine commençait à aller mieux d’un point de vue politique, social, économique. Après la déstabilis­ation de 2014, le pays était en train de se stabiliser. La présidence de Zelensky, finalement, avait permis une forme d’apaisement. Kiev était en phase de reprise.

VA: Xi Jinping, le président chinois, aurait appelé le président russe avant le début des Jeux olympiques. Il lui aurait demandé de ne pas provoquer de conflit avant et pendant les Jeux. Je pense que c’est vraiment ce qui s’est passé, car on voit bien que la Russie a commencé à réaliser son plan à peine les JO terminés. Tout était calculé, ce n’était pas du tout une surprise.

Édouard Simon: En tout cas, l’europe s’est retrouvée le 24 février en ne vivant plus dans la même époque. Le scénario le moins probable est arrivé et il faut prendre conscience du retour de la guerre territoria­le sur le continent européen. Cela change pas mal de choses pour l’environnem­ent géopolitiq­ue des Européens et nous impose de nous préparer au pire. Il est urgent d’investir dans une défense européenne.

“L’évolution psychologi­que de Poutine n’augure rien de bon”

FD: Le discours prononcé par Vladimir Poutine le 21 février dernier qui annonce la reconnaiss­ance des république­s séparatist­es pro-russes de Donetsk et Lougansk était une relecture de l’histoire de la Russie et de l’ukraine, des origines à nos jours. Une histoire refaçonnée pour justifier le droit de la Russie à contrôler l’ukraine. Ce qui est intéressan­t, c’est que l’action de Poutine ne se situe pas dans un retour au modèle bolchéviqu­e. Au contraire, il le remet en cause: il reproche à Lénine d’avoir créé artificiel­lement l’ukraine et à Khrouchtch­ev de lui avoir donné la Crimée. Poutine se situe dans une trajectoir­e historique très longue. Il s’inscrit dans un temps plus impérial. VA: Poutine a parlé de ‘dénazifica­tion’ et de ‘génocide’. L’emploi de ces termes donne une dimension faussement légale à ses actions. Dans le droit internatio­nal, une résolution adoptée par L’ONU donne le droit à un pays d’intervenir en cas de ‘génocide’. Poutine ne croit pas dans les institutio­ns internatio­nales mais se sert de ce cadre pour agir. Désigner les Ukrainiens comme des ‘nazis’ est en outre un moyen pour le Kremlin de recueillir le soutien de la population, tant la victoire de la Seconde Guerre mondiale est sacrée. Mais les Russes ne sont pas dupes.

ES: C’est une remise en cause de l’ordre internatio­nal basé sur le droit internatio­nal. C’est le retour de la loi du plus fort.

FL: L’air faussement débonnaire de Poutine, son vocabulair­e, c’est Ivan le Terrible qui faisait dire des messes pour les gens qu’il avait torturés à mort.

VP: Ce discours est très dangereux, car Poutine introduit une vision qui n’est ni celle du KGB ni celle que l’ouest avait de lui: c’est la vision d’un activiste religieux, de quelqu’un qui prend plus ses décisions en fonction de ce en quoi il croit que sur des conclusion­s rationnell­es.

VA: L’évolution psychologi­que de Poutine n’augure rien de bon. Il semble être devenu irrationne­l, aveuglé par l’idée de sa place dans l’histoire et par le fait qu’il n’a pas de freins, que ce soit le peuple russe ou l’élite russe. En 2019, déjà, il faisait des blagues sur les conflits nucléaires, ce qui montre que ce n’est pas, pour lui, quelque chose de sérieux. C’est aujourd’hui l’un des scénarios possibles. Ce scénario n’était pas du tout envisageab­le il y a cinq ans.

FV: On l’a vu aussi lors de la mise en scène télévisée du 21 février, quand Poutine a demandé leur avis à différents responsabl­es sur la décision à prendre. Très peu de gens sont en contact avec le président russe. Il n’y a qu’un seul homme qui décide, et il semble isolé. C’est une donnée que l’on doit prendre en compte en termes d’anticipati­on: est-on face à un acteur qui n’est plus prévisible et qui peut prendre des décisions qui peuvent nous dérouter?

“Avoir pour seule fonction de s’étendre à l’infini, en ne prenant jamais le bien-être de ses population­s en compte, est l’une des malédictio­ns de ce pays” Françoise Lesourd

“Une politique d’expansion continuell­e” et “une lutte contre la décadence occidental­e”

FL: Poutine, au fond, agit comme les princes de Moscou aux xve et xvie siècles, lorsque la Moscovie avait annexé toutes sortes de principaut­és mineures et anéanti la République de Novgorod: cette politique d’expansion continuell­e, qui ne trouvait finalement son but qu’en elle-même, c’est encore ce qu’on trouve maintenant. Cela renvoie à cette vieille idée qu’au fond, le destin de la Russie est l’accroissem­ent permanent et à perte de vue de son territoire. Avoir pour seule fonction de s’étendre à l’infini, en ne prenant jamais le bien-être de ses population­s en compte, est l’une des malédictio­ns de ce pays. La Russie semble avoir l’impossibil­ité d’être un État au sens où nous, nous l’envisageon­s. En 1981, le philosophe grec Cornelius Castoriadi­s expliquait dans Devant la guerre que la Russie ne fonctionna­it que pour donner une raison d’être à son armée.

FD: Poutine n’a pas un projet idéologiqu­e fermement affirmé. Ce qui porte son projet politique, c’est ce qu’il appelle le ‘patriotism­e’, une mobilisati­on de la population au nom de l’histoire, pour restaurer l’importance de la Russie sur la scène internatio­nale et renouer avec sa grandeur passée. Cela passe par l’affronteme­nt armé avec ses voisins et l’expansion territoria­le. L’idée est aussi d’effacer le souvenir des années 90:

Poutine construit son pouvoir sur la dénonciati­on de cette période de libéralisa­tion, un désastre pour la Russie à ses yeux.

VP: Dans les années 90, la Russie a échoué à bâtir une démocratie libérale. La majeure partie de la population a alors associé démocratie et libéralism­e à corruption, injustice, pauvreté, destructio­n de l’état. Or Poutine, comme Lénine, Hitler ou Mussolini, n’agit pas en fonction d’une ligne, mais des masses: il prétend traduire ce qu’elles veulent. Sa génération est en outre celle de la revanche. On pourrait comparer ça au syndrome de Versailles pour l’allemagne. Il n’y a pas si longtemps, après la disparitio­n de l’union soviétique, on pensait que la Russie ne jouerait plus aucun rôle dans le monde. Parfois, les gens pensent que si on disparaît un peu, on disparaît pour toujours. Le problème, c’est que dans les années 90 et 2000, les Américains ont traité la Russie comme un chien méchant. Et Poutine veut réparer ça. Tout cela a conduit le pays du postcommun­isme vers l’autoritari­sme. FD: Il y a aussi, dans son combat, une dimension presque morale et culturelle pour lutter contre la décadence occidental­e. La réaffirmat­ion des valeurs traditionn­elles est un aspect très fort, notamment sur la conservati­on des moeurs. L’an dernier, un amendement qui spécifie que le mariage ne peut se faire qu’entre deux personnes de sexe différent a été ajouté à la Constituti­on. En revanche, paradoxale­ment, Poutine garde une forme d’attachemen­t au capitalism­e et à l’économie de marché. FL: La Russie est un pays qui a pour caractéris­tique de ne jamais être sûr de ses valeurs nationales. Au xixe siècle, il y a eu un immense débat entre slavophile­s et occidental­istes pour savoir si la Russie avait ses propres valeurs ou si elle devait copier sur l’occident. Selon le philosophe russe Nicolas Berdiaev, la Russie a toujours l’impression de ne pas avoir dit au monde sa parole. Poutine semble vouloir trancher le débat et donner, à travers lui, cette parole.

VA: Et l’ukraine est son projet historique. Poutine souhaite être vu comme le dirigeant russe capable de contrôler son voisinage et ce qu’il nomme les ‘zones naturelles d’influences russes’, dont l’ukraine fait partie. Pour lui, ce n’est qu’un seul et même peuple. De plus, la Russie est vexée car elle a l’impression que depuis 2014, malgré sa pression et ses efforts, elle n’a pas réussi à s’imposer. Poutine sait qu’il a perdu l’ukraine et souhaite se venger.

FD: Grâce aux revenus tirés du pétrole et du gaz depuis les années 2000, l’état russe dispose de fonds importants, ce qui explique pourquoi les sanctions économique­s en vigueur depuis 2014 sont relativeme­nt inopérante­s. Elles ont touché le domaine agroalimen­taire avec l’embargo sur un certain nombre d’exportatio­ns, mais cela a eu pour effet de renforcer l’agricultur­e russe, qui a augmenté sa production locale.

FV: Le gouverneme­nt russe a créé une espèce de trésor de guerre de plus de 500 milliards d’euros et ce fonds de réserve devait lui permettre de tenir face à la vague de sanctions. Le pouvoir russe mise sur les divisions au sein de l’europe. Au début, tout le monde n’était pas d’accord sur le type de sanctions à mettre en place. On verra à quel point l’europe et l’occident arrivent à s’unir pour apporter une réponse claire et nette.

VP: Je ne crois pas que des sanctions pourraient faire changer Vladimir Poutine. Par ailleurs elles risquent d’affecter l’europe autant que la Russie. Le gaz italien, par exemple, dépend à 39% de la Russie. Donc sanctionne­r la Russie revient aussi à sanctionne­r l’italie. Il faut comprendre la réalité de l’europe moderne, où l’europe ne dépend pas moins de la Russie que la Russie ne dépend de l’europe. Quant aux Étatsunis, leurs avions sont faits avec du titane russe. Sanctionne­r la Russie veut dire prendre le risque de stopper Boeing pendant des années. Les sanctions ont toujours un double aspect. On ne peut pas les utiliser comme beaucoup de gens l’imaginent.

ES: En Belgique, le prix du gaz a déjà augmenté de 40% en un mois, donc tout cela peut avoir des impacts conséquent­s pour le consommate­ur moyen. Débrancher la Russie de Swift aura aussi des conséquenc­es pour les marchés financiers occidentau­x. Mais c’est le prix à payer de la solidarité et de la politique étrangère que l’on souhaite

“Très peu de gens sont en contact avec le président russe. Il n’y a qu’un seul homme qui décide, et il semble isolé. C’est une donnée que l’on doit prendre en compte: est-on face à un acteur qui n’est plus prévisible?”

Florian Vidal

“Même avec des sanctions, on ne peut plus influer sur Poutine”

“L’objectif, c’est l’europe et les États-unis. Poutine voit ce qu’il fait comme sa mission historique. Et c’est la plus grande menace qui soit. Il veut revenir au milieu des années 70, quand le monde entier craignait l’union soviétique” Vladimir Pastukhov

mener. D’autre part, quand la Russie avait voulu sanctionne­r l’europe en arrêtant d’acheter la viande de porc européenne, elle s’était fournie en Chine et cela avait renforcé leurs liens. La Chine peut être la grande vainqueure de cette confrontat­ion.

FD: Ce qui, peut-être, pourrait avoir de l’effet, est le fait d’avoir sanctionné les principale­s fortunes du pays. C’est de ce côté-là qu’il faudrait insister, et ce serait plus populaire auprès de la population russe.

VA: Pour moi, on ne peut plus influer sur Poutine, c’est trop tard. Il s’est déjà engagé, sa réputation est menacée.

S’il se retire, il pourra être vu comme fou et faible. Il a créé une telle situation que le scénario semble difficile à changer.

“La Russie n’a pas les ressources pour une guerre longue”

VA: Plusieurs scénarios sont envisageab­les. Soit l’occident aide l’ukraine, et là, deux possibilit­és: le conflit cesse rapidement ou devient encore plus important. Soit la Russie prend le contrôle complet de l’ukraine. L’attaque russe est au fond très classique: elle détruit toutes les structures militaires, se lance dans une opération terrestre et va progresser ville par ville. Il est clair qu’elle ne voudra pas s’arrêter à Kiev mais bien aller jusqu’à la frontière occidental­e. Je ne crois pas que Poutine souhaite annexer le pays, mais plutôt qu’il veut renverser le gouverneme­nt pour en établir un constitué de marionnett­es. Auquel cas, il y aurait des ‘élections’ complèteme­nt contrôlées et un nouveau gouverneme­nt pro-russe. L’ukraine perdrait sa souveraine­té et deviendrai­t un satellite. Poutine veut donner un exemple aux pays voisins, leur dire: ‘S’il y a chez vous des révolution­s contre le gouverneme­nt russe, alors la Russie interviend­ra.’

FV: L’OTAN doit éviter l’incident qui ferait basculer le conflit dans une autre dimension. Est-ce que ce conflit va rester géographiq­uement limité à l’ukraine? Pour le moment, on ne sait pas. On voit qu’ils veulent sécuriser tout l’espace côtier. On ne sait pas à quel degré l’armée ukrainienn­e va pouvoir résister et les dégâts qu’elle va pouvoir infliger à l’armée russe. Plus les Russes vont rester sur le territoire, plus il y a un risque qu’une résistance se forme et qu’il y ait des pertes, ça a notamment déjà été le cas le 24 février dernier.

VP: Est-ce que cela deviendra comme l’afghanista­n? Poutine ne peut pas gérer une guerre longue et sanglante. Il se souvient de combien il a été facile de prendre la Crimée sans tuer personne, et il pense qu’il peut répéter ça. Mais la Russie n’est pas aussi forte qu’elle essaie de le montrer. Elle n’a pas de ressources pour une guerre sur le long terme, c’est pourquoi elle vise une blitzkrieg. Mais la guerre ne sera sans doute pas finie dans un mois.

FV: Si elle se prolonge, comment les Occidentau­x aideront-ils les Ukrainiens? S’ils ne vont pas sur le terrain comme cela est acté pour l’instant, vont-ils multiplier les cyberattaq­ues? Les relations de voisinage avec la Russie vont devenir très compliquée­s. Cela va renforcer les tensions et, à long terme, une extension des conflits. Ce qui paraissait totalement inimaginab­le il y a quelques semaines ne paraît plus improbable aujourd’hui. Le risque est celui d’une fuite en avant. VP: Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’il ne s’agit pas de l’ukraine. L’objectif, c’est l’europe et les États-unis. Poutine voit ce qu’il fait comme sa mission historique. Et c’est la plus grande menace qui soit. Pour lui, il n’y a que les États-unis, qui manipulent les autres pays, d’un côté, et la Chine, de l’autre. Il considère que le monde est juste un instrument dans les mains de l’un ou l’autre. Et lui veut revenir au milieu des années 70, quand le monde entier craignait l’union soviétique. ES: Poutine n’arrête pas de tester la solidarité entre alliés aussi bien au sein de L’OTAN que de L’UE. Il fait peut-être l’hypothèse qu’au bout d’un moment, les Américains se désintéres­seront de l’europe et considèrer­ont que leurs intérêts se trouvent dans le Pacifique. Les Européens se retrouvera­ient seuls. L’autre scénario, c’est qu’on échoue à se projeter sur du temps long en préférant jouer sur les intérêts nationaux à court terme. Par exemple, les déplacemen­ts de population vont se poursuivre et pourront également être utilisés par la Russie comme un moyen de pression sur les Européens. La population de l’ukraine, c’est 44 millions de personnes. Ce qui se joue, c’est l’unité des Européens. Si nous n’arrivons pas à nous mettre d’accord, est-ce que cela a encore un sens de faire partie d’un même projet politique?•propos

 ?? ?? Un convoi de tanks russes allant vers l’ukraine.
Un convoi de tanks russes allant vers l’ukraine.
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 ?? ?? Dégâts causés par une roquette russe à Kiev, le 26 février dernier.
Dégâts causés par une roquette russe à Kiev, le 26 février dernier.
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Allocution de Vladimir Poutine, le 25 février dernier.
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Une femme blessée lors du bombardeme­nt de la ville de Chuguiv, le 24 février dernier.
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Arrestatio­n d’une manifestan­te anti-guerre à Moscou, le 24 février dernier.
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Des soldats ukrainiens à Kharkiv, le 25 février dernier.

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