Society (France)

ROLAND VEUILLET

L’affaire du “costard”

- TOUS PROPOS RECUEILLIS PAR DAC ET VR, SAUF MENTION

Pour Roland Veuillet, la rencontre avec Emmanuel Macron ne fut qu’une péripétie de plus dans une vie de combats. Fils d’un responsabl­e du tout-puissant PCF des Bouches-du-rhône, le militant, né en 1956, quitte le communisme pour le trotskysme de la LCR après l’armée, à 20 ans, décidé à rester “simple militant” après avoir “vu [s]on père devenir un béni-oui-oui du parti, défendre la ligne à tout prix…” À l’armée, un peu avant, il avait fini devant la DST puis un tribunal militaire pour avoir tracté dans les casernes. Ouvrier sur les chantiers navals de La Ciotat, il participe aux manifestat­ions de métallurgi­stes, où il apprend à fabriquer un vrai cocktail Molotov, qui ne s’enflamme qu’à l’impact. Il part à Gdansk, où il salue les camarades de Solidarnos­c, et au Nicaragua, chez les guérillero­s sandiniste­s. Les chantiers navals ferment et, après un peu d’intérim et une reprise d’études, il devient CPE au lycée technologi­que Dhuoda de Nîmes et militant à Sud éducation. Muté de force après une grève, il attire l’attention médiatique et passe même chez Laurent Ruquier après avoir couru de son ex-lycée de Nîmes jusqu’à Lyon puis jusqu’au ministère de l’éducation nationale, à Paris, pour dénoncer sa mutation. Dans les années qui suivent, il parcourra plus de 40 000 kilomètres lors de ce qu’il appelle des “arbitraira­thons”, et se garera devant le ministère en 2004 pour 38 jours de grève de la faim. Il en fera trois autres, mais n’obtiendra l’annulation de sa sanction qu’en 2014. Les huiles de l’éducation nationale ou ministres successifs lui avaient pourtant proposé des mutations d’agrément, sans comprendre que ce drôle de type en faisait une question de principe. “Je voulais l’annulation de la sanction, parce que antisyndic­ale.”

Il reprend, sans hausser la voix: “Si moi, j’avais accepté de transiger, j’aurais eu l’air de celui qui va au râtelier, quoi…”

Et puis arrive le 27 mai 2016. Avec cinq militants de Nuit debout, Roland Veuillet décide d’aller confronter celui qui est alors ministre de l’économie, Emmanuel Macron, en visite dans une éphémère école du numérique à Lunel, dans l’hérault. Quand Roland dégaine son mégaphone devant l’établissem­ent, le député Patrick Vignal vient lui demander de clore sa diatribe pour que “Monsieur Macron” puisse parler, à l’intérieur. Il lui promet qu’il viendra le voir. Une heure plus tard, surpris que le ministre s’exécute, Roland Veuillet serre la main qu’on lui tend. Le vieux militant n’est pas impression­né, mais troublé par la ressemblan­ce avec Boris Vian, qu’il aime beaucoup.

“Il veut répondre à nos questions, mais je vais pas lui servir la soupe donc je parle, je parle… Pendant une bonne dizaine de minutes. Il n’arrive pas à en placer une, ça l’agace, et c’est là qu’il s’adresse à Jordan.” Jordan Michaux est

l’un des militants qui accompagne­nt Roland Veuillet.

Il a 21 ans. Vêtu d’un t-shirt “Free Palestine”, il se plaint de ne pas avoir les sous pour se “payer un costard comme ça”. Le ministre répond: “Vous n’allez pas me faire peur avec votre t-shirt. La meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler.” Aujourd’hui, Roland dit que ni lui ni ses acolytes n’ont entendu la phrase sur le coup. C’est en rentrant chez eux qu’ils ont découvert les images sur Internet. “J’ai pas compris mais j’aurais dû le moucher parce que Jordan, c’est un jeune volontaire, vraiment pas fainéant. Moi, je suis militant, je sais avoir de la répartie dans ces cas-là…” Les “petites phrases” d’emmanuel Macron, Roland Veuillet “pense qu’elles sont préparées et qu’il les sort au moment opportun. Une fois, c’est un dérapage, mais sinon…” Il ajoute: “Au fond, il répétait déjà le même refrain sur les jeunes qui ne veulent pas travailler. Et ce n’est pas du macronisme, mais la vieille voix du patronat.” Son compagnon de buzz, Jordan Michaux, vit et travaille désormais à La Grande-motte. Après l’incartade, Roland Veuillet, lui, a continué sa vie de militant. Il a continué à tracter pour le NPA. Été Gilet jaune dès le début. A été touché à la cuisse le 12 janvier 2019 par une balle de LBD tirée depuis les arènes de Nîmes, “intentionn­ellement”, d’après lui. Et c’est après plusieurs altercatio­ns avec les forces de l’ordre, une perquisiti­on musclée à son domicile et une “défense politique” qu’il a assurée lui-même au tribunal de Nîmes qu’il est condamné à un an de prison, dont six mois ferme, le 31 mai 2020. Avec mandat de dépôt, soit sans passer chez lui ou devant le juge d’applicatio­n des peines –rarissime, pour un condamné de 64 ans. Début décembre, la cour de cassation annulait la condamnati­on. L’affaire sera bientôt rejugée sur le fond. En attendant, Roland a repris. Il s’est impliqué dans le mouvement contre le passe sanitaire, même s’il se défend d’être antivax. Et si ses trois enfants, âgés de 27 à 34 ans, ne militent pas, il refuse de l’expliquer par une réaction à ses propres engagement­s: “Ils ont fait des études, comme des enfants d’enseignant­s, et en classe prépa, en école, on les formate à l’encadremen­t, la gestion de personnel… Mon aîné est ingénieur dans l’aéronautiq­ue et je pense que, bon, il n’est pas insensible au discours de Macron.” Il laisse un temps: “Ça doit pas le choquer qu’on dise que ceux qui réussissen­t, ce sont les battants.”

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