“EELV n’a plus le monopole du discours environnemental”
Sébastien Repaire, agrégé et docteur en histoire, chercheur associé au Centre d’histoire de Sciences Po, spécialisé dans l’histoire de l’écologie politique.
Marches pour le climat, rapports alarmants du GIEC... L’écologie est l’un des enjeux du XXIE siècle. Comment donc expliquer que le parti écologiste ait fait un score si bas (4,6%)?
Les écologistes ont toujours cherché à montrer que ce que l’on appelle ‘écologie politique’ est, en fait, une alternative globale. Autrement dit qu’ils formulent des propositions sur l’ensemble des problématiques de la société. Mais les écologistes ont toujours éprouvé des difficultés à imposer une ligne idéologique claire, et cela tient notamment à la nature et à l’organisation même de leur parti. Historiquement, en effet, les écologistes sont contre les partis politiques. Dans les années 1970, ils se réunissaient en petits collectifs afin de se présenter aux élections, mais il s’agissait alors de structures ‘biodégradables’: après les élections, elles disparaissaient et il s’en recomposait de nouvelles. Puis, en 1984, est arrivée la création des Verts. Toutefois, dès le départ, c’est un parti qui ‘regrette d’en être un’. Cela se traduit, en interne, par une organisation très particulière: la voix de la minorité y est depuis l’origine extrêmement présente, tandis que la notion même de hiérarchie et de leader est systématiquement contestée. Il est donc difficile de mettre en avant une ligne directrice claire. On l’a bien vu cette année encore, avec la rivalité qui a continué à se développer, au-delà de la primaire, entre Jadot et Rousseau.
On entend souvent que les écologistes n’ont pas ‘d’envergure présidentielle’.
Cela vient-il aussi de l’histoire du parti? Cela tient au refus de la part D’EELV de la structuration verticale du parti, oui: refus qu’il y ait un chef qui serait le ‘présidentiable’ de la famille écologiste. En outre, en France, les écologistes ont été associés tardivement au pouvoir, et leur poids dans l’hémicycle et à l’intérieur des gouvernements auxquels ils ont participé a toujours été très relatif. Comme on ne les a jamais vus assumer des responsabilités régaliennes –les Affaires étrangères, l’intérieur–, peut-être qu’on les estime moins capables d’accéder à la magistrature suprême ; et qu’on doute même de leur capacité à peser pleinement dans la constitution d’un gouvernement.
Pourtant, les écologistes font des bons scores aux municipales et aux européennes...
L’un des problèmes des Verts lors de cette présidentielle a été, paradoxalement, la grande faiblesse du PS et de sa candidate Anne Hidalgo. Jusqu’à présent, il y avait eu une alliance soit tacite, soit explicite, entre le PS et les Verts, qui datait de 1997, avec la logique de la ‘gauche plurielle’: celleci reposait sur l’alliance du parti vert –qui sait très bien qu’il ne peut gagner seul ni à la présidentielle ni aux législatives dans un système électoral majoritaire tel qu’il est conçu en France– et du PS –qui trouvait dans cette alliance une façon de ramener vers lui les voix écologistes. Or, une fois cette perspective d’alliance disparue du fait de la faiblesse du PS, les Verts perdent en visibilité et en poids politique. Certes, il y a aussi eu parfois des esquisses de dialogue entre EELV et LFI, mais les deux familles politiques sont fondamentalement différentes. L’esprit des Verts est beaucoup plus libertaire. Et c’est en grande partie la figure de Mélenchon qui réfrène ce type d’alliance, je pense. Le terme même de ‘planification écologique’, employé par LFI, incarne ces différences. EELV n’utilise quasiment jamais cette expression, qui est en contradiction avec son logiciel antiautoritaire et anti-technocratique. Quoi qu’il en soit, même si à la présidentielle, les Verts n’ont jamais fait d’énormes scores, ceux-ci leur permettaient d’avoir un capital électoral pour négocier avec le PS et avoir des ministres écologistes. Avec un PS fort, les Verts pouvaient apparaître comme un partenaire qui compte. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Finalement, le fait que l’écologie soit désormais présente un peu partout n’a-t-il pas aussi desservi les Verts?
C’est sûr qu’aujourd’hui, EELV n’a plus le monopole du discours environnemental. Cette année, presque tous les candidats s’en réclamaient, à des degrés divers. Emmanuel Macron défend son bilan écologique, Jean-luc Mélenchon a élaboré tout un programme qui repose sur la planification écologique... De telle sorte que des électeurs sensibles à cette question peuvent se dire que les enjeux écologiques sont aussi portés par d’autres partis. De plus, ces dernières années, il y a eu dans les marches pour le climat et dans certains mouvements écologistes une radicalité des revendications et des enjeux qui cadre mal avec le personnage du candidat que s’est choisi EELV pour cette élection. Yannick Jadot a volontairement voulu apparaître comme posé, face au côté plus radical d’un Mélenchon, afin de montrer qu’il était prêt à assumer des responsabilités politiques. Mais une fois encore, cette stratégie tenait lorsqu’il y avait le grand allié socialiste ; le problème, c’est l’effondrement du PS. Et si cet effondrement est durable, c’est la stratégie globale du parti qui va devoir être reconsidérée. D’autant que dans le même temps, LFI a développé son propre ‘logiciel’ écologiste et apparaît désormais plus comme un rival que comme un éventuel partenaire.