PASSER DES CROQUIS AU PRODUIT
Massimo, souffleur de verre près de Venise. Carla, spécialiste de la verrerie elle aussi, au Portugal. Les frangins Pierre et Mathieu, ébénistes dans l’anjou. Quentin, miroitier dans les Bouches-durhône. Ou encore Catherine et Janny, tapissières françaises. Leur point commun ? Toutes et tous sont des artisans de petites structures qui participent au succès de l’e-shop de Margaux Keller, designeuse depuis une décennie. Originaire de Marseille, l’architecte d’intérieure a retrouvé son soleil du Sud après des passages dans différentes écoles réputées de Paris (École nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d’art, rue Olivier de Serres, École Boulle), en Italie à la Fabrica du groupe Benetton, ou au sein de l’agence du célèbre créateur Philippe Starck. Profitant de la transformation de sa ville, capitale européenne de la culture en 2013, Margaux fonde son propre studio de design et est alors rapidement contactée par des grandes boites pour différents partenariats (dont Yves Saint Laurent Beauté, La Monnaie de Paris, Roche Bobois, Cartier, La Redoute Intérieurs…) grâce, notamment, à un carnet d’adresses rempli et un coup de crayon qui attire, rembobine-t-elle: « Ayant croisé bon nombre de personnes avant de me lancer à mon compte et mes travaux étant partagés sur Internet ou dans les médias, je n’ai jamais eu à démarcher des clients. Je me souviens quand même de sortes de speed-datings professionnels avec de grosses entreprises, où tu pouvais présenter un projet en l’espace de quelques minutes ! » Éclectique, celle qui vit dans le quartier du Vieux-port peut s’attaquer à une boutique de chaussures comme à un meuble; à un parfumeur comme à un miroir;
à un salon de coiffure comme à un vase. «C’est en effet assez diversifié, j’ai par exemple bossé l’emménagement de l’espace chez un coiffeur: comment s’arranger pour que le passant ne voit pas des rangées de cheveux en plein shampoing, quand il jette un oeil à la vitrine ? », rigole-t-elle.
Mais assez vite, Margaux s’éloigne de ses premiers
amours. « De plus en plus de projets impliquaient une perte de lien avec l’artisanat, qui constitue l’une des bases de mes productions et avec qui je forme un binôme auquel je tiens. Là, la production pouvait se dérouler à l’autre bout de la planète comme en Chine et mon artisan se métamorphosait en adresse mail. Je ne pouvais pas mettre de visage sur l’individu qui transformait mes dessins en produit, ce n’était plus possible, explique-t-elle. Pour retrouver le vrai plaisir, j’ai donc monté ma maison d’édition de design à moi.» Chronophage, son e-shop doit attendre l’arrivée d’une associée, Anaïs Fretigny, en 2019, pour exprimer son plein potentiel. Dans les rayons virtuels du site, uniquement des créations fabriquées par les artisans préférés de Margaux et Anaïs: décoration, arts de la table, luminaires, mobilier, bijoux de mur, parfums, bougies. En parallèle, Margaux, maman de deux jeunes enfants, fait poser ses mômes vêtus d’habits pour une collection spéciale Monoprix. «Cela fait un an et demi que je travaille sur les prototypes avec le pôle Monoprix dédié à la création et les 150 références imaginées pour cette série limitée vont sortir en mai dans 90 magasins répartis en France. Passer des croquis au produit, c’est toujours fou: c’est un peu comme quand Pinocchio devient
un enfant », métaphorise cette admiratrice de Marcel Proust, à la recherche constante de la fameuse madeleine dans l’élaboration de ses oeuvres.